À l'égard de ce que trop d'exemples récents autorisent à appeler les vantardises ou les fanfaronnades de la philosophie, notre époque semble hésiter constamment entre la crédulité et l'admiration naïve, l'indulgence sceptique et amusée et le mépris et le ressentiment nés de la déception ; et elle passe sans transition et avec une rapidité déconcertante de l'une de ces attitudes à son contraire. Notre estimation de l'importance de la philosophie et des grands philosophes est, de façon générale, beaucoup moins rationnelle qu'on ne pourrait l'espérer et je ne trouve pas scandaleux de suggérer à la philosophie, qui se plaint habituellement plutôt d'être ignorée et méprisée, de se demander également de temps à autre ce qu'elle fait réellement pour justifier la considération très réelle et parfois excessive dont elle bénéficie. On peut craindre que l'attitude du public envers elle ne continue à osciller indéfiniment entre l'attente déraisonnable et la désillusion complète, aussi longtemps que nous ne serons pas parvenus à une appréciation un peu plus correcte de la nature exacte de la demande philosophique et des chances que la philosophie a de réussir à la satisfaire.
La demande philosophique est la version intégrale de la leçon inaugurale de la chaire de philosophie du langage et de la connaissance du Collège de France, prononcée le 6 octobre 1995.