En Sardaigne, l’argia (littéralement la ‘bariolée’) est le nom d’un animal mythique, fourmi ou araignée, dont la morsure provoque un état de possession. À force de musique, de danse et de dialogues poétiques avec l’argia, tout le village se mobilise pour identifier l’esprit féminin qui s’est emparé de l’homme en transe. Tour à tour petite fille que l’on berce, jeune fille en mal de fiancé, femme en proie aux douleurs de l’enfantement, veuve pleurant son mari défunt, le possédé est l’objet passif d’un rituel très étonnant de travestissement sexuel auquel la communauté se livre sans aucune gêne et où toutes les règles de partage des sexes sont abolies. Chants d’amour, danses licencieuses et gestes érotiques, lamentations hésitantes entre les pleurs et le rire, accouchements simulés, berceuses, tout est bon pour guérir le possédé qui change de sexe le temps du rituel, dans une mise en scène impliquant toute la communauté. Disparue depuis les années 50, l’argia est pourtant encore présente dans la mémoire collective d’une société où tradition et modernité continuent de s’affronter par-delà le vingtième siècle.
« C’est en cela que ce voyage au cœur de la culture sarde, à la recherche des araignées de toutes les couleurs qui envahissent les hommes et parlent dans la langue des poèmes, est aussi un grand livre d’ethnologie et d’histoire culturelle. » écrivait Daniel Fabre dans Libération.
En appendice: « Contribution socio-psychiatrique à l’interprétation de l’argisme sarde»
par Giovanni Jervis & Michele Risso (1967)
Postface de Giordana Charuty (2023)
Ecoutez les musiques de la danse de l'Argia, enregistrées par Diego Carpitella et Clara Gallini en 1961
Lire l'article d'Agnès Giard dans «Les 400 culs », sur Libération
Ecoutez L'almanach de l'étrange de Céline Du Chene («Mauvais genres», France culture)
Clara Gallini (1931-2017) fut l’élève d’Ernesto De Martino, le grand anthropologue italien, dont elle a édité le dernier ouvrage La fin du monde. Essai sur les apocalypses culturelles (1977), traduit partiellement en français en 2016. La danse de l’Argia, qui date de 1967, fut entièrement refondue pour l’édition française en 1988. Elle est l'auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels:
- Incidenti di percorso. Antropologia di una malattia, Nottetempo, 2016.
- Il ritorno delle croci, Manifestolibri, 2009.
- Croce e delizia. Usi, abusi e disusi di un simbolo, Bollati Boringheri, 2007.
- Cyberspiders. Un'etnologa nella rete, Manifestolibri, 2004.
- Il consumo del sacro [1973], Ilisso, 2003.
- Intervista a Maria, Ilisso, 2003.
- La sonnambula meravigliosa, Feltrinelli, 1983.
- Dono e malocchio, Palermo: S.F. Flaccovio, 1973.
Lundi 12 février à 17h30, Giordana Charuty présentera La Danse de l'argia, à la librairie Ombres blanches à Toulouse
< Couverture de la première édition (Verdier, 1988)
« En Sardaigne, c’est l’araignée qui mène la transe. Voyage ethnologique de Clara Gallini dans l’île, à la recherche des différences avec les autres tarentismes méditerranéens.» Daniel Fabre, Libération, 3.11.88
« C’est l’argia, la « bariolée », dont l’agression engendre un état toxique et un désordre psychique. Elle tient sa victime, elle l’habite, elle parle par elle ; elle la réduit à une sorte de folie. Durant trois journées, toute la vie s’organise autour de cette intrusion en un drame collectif dont l’argia est le centre. » Georges Balandier, Le Monde, 14.3.1989
« Comme les fêtes qu’il décrit, ce Livre est joyeux et passionnant. Outre l’étrangeté que représente ce rite de possession en pays chrétien, le lecteur découvrira à travers les différents types de conjurations, une poésie populaire qui aurait enchanté les surréalistes.» Carmen Bernard, La Quinzaine littéraire, 1.6.1989
Costantino Nivola