ANTHOLOGIE DE L'ASSOCIATION |
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Une terreur paranoïaque liée à l'incapacité à contrôler la démographie galopante a trop longtemps régné sur cette planète. Est-ce pour autant une raison suffisante pour se laisser hypnotiser par le mythe de la «Conquête de l'Espace»? Pourquoi ce désir commun de quitter la planète, mais seulement quelques «élus», et la misère en contre-point pour la majorité restant sur la Terre-Mère? Pourquoi ce conflit historique? Pourquoi cette quête ancestrale d'un horizon lointain, d'un Tirnanog, d'un Paradis, d'un Eldorado? C'est sur plus de trois milles ans d'Histoire que nous devrions nous retourner pour déterminer les racines du mythe, même si l'histoire de la «Conquête de l'Espace» correspond plutôt à cent ans de guerre qu'explorent ces quelques notes, fil rouge de lecture pour prisonniers du système pénitentiaire planétaire, astronautes autonomes et voyageurs du temps. Qui ne serait pas inquiet de reproduire ailleurs le modèle dominant solidement installé sur cette planète? À quel moment la «course à l'espace» sera-t-elle enrayée par les contradictions terrestres? Que ferons-nous des mots dans l'espace? Autant de questions que nous pouvons nous poser et qu'a voulu aborder l'Association des Astronautes Autonomes, mais qui ne se posent guère dans la construction de ce «Nouvel Ordre Mondial» ultra-libéral et ultra-contrôlé, où les voies de l'espace (gravifique, solaire) aujourd'hui ouvertes, hors des scientifiques et des militaires, ne seront réservées qu'à une petite minorité de personnes excessivement riches (ainsi le milliardaire Denis Tito en mai 2001) qui auront la possibilité de se payer ce luxe. Et ils pourront nous raconter combien la Terre est belle vue de là-haut, combien leurs aventures galactiques sont merveilleuses, combien ils regrettent que nous ne puissions les rejoindre. Comme les plus illustres récits des Dieux du Panthéon de nos Ancêtres. * «Pour les hommes de la Terre, les mondes de l'Espace abriteront les maisons de leurs ancêtres, et ces mondes seront accessibles aux ressuscités et à ceux qui ressusciteront. L'exploration de l'Espace Intersidéral signifie la recherche de ces mondes habitables, et la préparation de ces maisons. Au-dessus des villes et des villages, on peut maintenant observer le vol de nombreux ballons dirigeables, comme autant d'invitations pour nos cerveaux à réfléchir sur les moyens d'ouvrir la route du Ciel. Cette conquête de la route de l'Espace nous est absolument imposée comme un devoir pour préparer la Résurrection. Sans la prise de possession de nouveaux espaces, il n'y aura pas assez de place sur Terre pour la co-existence de toutes les générations ressuscitées. (...) La possibilité de passer d'un monde à un autre semble appartenir au fantastique, mais elle n'a que l'apparence d'une fiction. La nécessité d'un tel passage est évidente pour ceux qui ont réfléchi aux difficultés de la naissance d'une société idéale, où les vices sociaux seraient abolis. Renoncer à la conquête de l'Espace signifierait renoncer à résoudre les problèmes économiques du Futur, tels qu'annoncés par Malthus, renoncer à une existence idéale pour l'humanité.» Nikolaï Fedorov, «L'Avenir de l'Astronomie et la Nécessité de la Résurrection», 1880(1). * À partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, de nombreux écrits prophétiques évoquent la nécessité pour l'homme de la conquête de l'espace et de la colonisation, face à l'épuisement des ressources et à la surpopulation. Dans un climat où les profondes avancées et remises en question scientifiques interrogent les esprits, la recherche d'un idéal politique terrestre et le messianisme eschatologique traditionnel (mythe ancestral de la catastrophe historique) s'affrontent sur l'interprétation de l'Histoire et favorisent l'émergence d'un conflit historique sur l'espace de vie humain. C'est l'époque des grandes spéculations para-scientifiques sur les espaces cosmiques, de la construction d'un mythe pour une nouvelle étape dans l'évolution et du renouveau d'un certain «messianisme cosmique» pour un nouvel «Age d'Or» de l'humanité. Depuis l'avènement des premières montgolfières, le vol humain avait cessé d'être un rêve absurde. Dans son essai sur la Palingénésie humaine et la résurrection, Charles Nodier avait souhaité «l'être résurrectionnel» qui amènerait la continuation de l'homme et son perfectionnement comme un être pourvu de qualités aérostatiques, l'homme-aérostat, sorte de préfiguration naïve de l'homme en micro-gravité. Dans les tourments de la Russie tsariste, l'effervescence de la rêverie cosmologique va atteindre un point crucial à partir de 1880 avec le caractère prophétique des écrits du théologien orthodoxe Nikolaï Fedorov et de ses disciples, ce qui stimulera les recherches de scientifiques comme Konstantin Tsiolkovsky visant à matérialiser le passage à une conquête technique. Un des précurseurs de l'astronautique est Nikolaï I. Kibaltchich, chimiste du groupe terroriste «Narodnaïa Volia», la «Volonté du Peuple», condamné à mort en 1881 pour l'assassinat du Tsar Alexandre II. Durant sa brève incarcération, il rédige un projet original d'objet volant propulsé par fusée, et prévoit un moteur-fusée à poudre, le contrôle de la trajectoire par modification de l'angle d'inclinaison du moteur, le régime de combustion, la stabilité de l'appareil, etc. Son traité ne sera publié pour la première fois qu'en 1918. C'est Konstantin Tsiolkovsky en 1883, qui présentera dans L'Espace libre les concepts fondamentaux pour la construction de fusées à réaction comme unique moyen de quitter la gravité. Alors qu'un nouvel espace sans fin va s'ouvrir pour l'imaginaire sur les questions relatives à l'insurmontable gravité et aux applications de la science, disparaît définitivement une certaine vision du monde inaccessible et rêvé de la nuit étoilée. L'art et la littérature ont témoigné douloureusement de cette période de désenchantement et de questionnements sur la science, la force gravifique et l'Univers que l'on découvre infini. Ainsi dans la peinture s'exprimèrent forces et tensions de forces: forcesÓde germination, forces de plissement, centre de forces, rapport entre des forces. Vincent Van Gogh qui, tout comme les impressionnistes, s'intéresse aux phénomènes célestes, illustre ces forces comme la fascination pour le soleil attracteur, lorsqu'il peint son «Semeur» en 1888. Science pesante, «pathos des grandes dimensions», que, plus tard, Louis-Ferdinand Céline illustrera dans Mort à crédit, en racontant son enfance à l'entrée du vingtième siècle auprès de son maître Courtial Des Pereires, passionné de sciences, mais dévoré par le jeu, qu'il assistait dans ses démonstrations avec son ballon «le Zélé» (le ballon est devenu le symbole du nationalisme français au fil du dix-neuvième siècle). Céline l'accompagnera jusqu'à sa fin tragique par suicide après de multiples et vaines tentatives comme celle de monter un périodique pour promouvoir l'«astronomie domestique», qui ambitionnait modestement dnt de mettre en application l'«astronomie populaire» véhiculée par Flammarion et sa Société Astronomique de France (fondée en 1887 et «reconnue d'utilité publique»), ou celle de faire accélérer la germination et de faire doubler en taille des pommes de terre par la seule force électrique dans son refuge familial de campagne, le «Familistère Rénové de la Race Nouvelle». Ultime confusion sectaire dans l'imaginaire suscité par les progrès de la science? Dérision des voies spirites qu'exploraient Camille Flammarion, Swedenborg ou d'autres? Mort funeste d'un pataphysicien? Désespéré et loin de l'humour de Jarry, Courtial (avec Céline) ne put que regretter la victoire des plus lourds que l'air les avions contre les plus légers que l'air les ballons.
«Il courait après son âme, héroïque peut-être, mais désorbitée, qui vagabondait ordinairement dans les intervalles infinis du ciel étoilé, du ciel cristallin et de l'inimaginable empyrée.» Léon Bloy, «Le Musicien du silence», Sueur de sang.
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A l'aube du vingtième siècle, la cosmologie de structure doit trouver des symboles qui parlent du temps et du devenir et apporter la justification de ce qui est périssable. En 1905, Albert Einstein pose les bases de la relativité restreinte et parachève la théorie de la gravitation. Alfred Korzybski, théoricien de la Sémantique Générale, relève qu'en 1908, peu de temps après la publication des travaux d'Einstein sur la relativité restreinte, le mathématicien Minkowski déclarait dans son mémoire Espace et Temps présenté à la quatre-vingtième Assemblée des Physiciens et Médecins Allemands à Cologne: «Les vues sur l'espace et le temps que je voudrais exposer devant vous ont jailli du terreau de la physique expérimentale, et c'est à cela qu'elles doivent leur robustesse. Elles sont radicales. Dorénavant l'espace en soi et le temps en soi sont condamnés à s'estomper jusqu'à ne plus être que des ombres, et seule une sorte de combinaison des deux préservera une réalité indépendante.» Korzybski commente cela ainsi: «Cette union' de ce qu'on avait coutume de considérer comme des entités séparées et distinctes devait fatalement s'accompagner d'un changement dans la structure du langage; dans ce cas particulier, ce fut la formation par Minkowski de la nouvelle géométrie quadri-dimensionnelle de l'espace-temps', dans laquelle l'espace' et le temps' sont réunis de façon permanente par un simple trait d'union grammatical, rendant ainsi possible la théorie générale de la relativité(2).» Alors que le Voyage dans la Lune de Méliès fait le tour de la Terre, le futurisme italien fait une entrée bruyante dans le siècle en dépassant les écoles artistiques traditionnelles et en se positionnant sur le terrain de l'avant-garde politique. Avec Filippo Marinetti, les futuristes systématisent le travail artistique sur les forces, exaltent la modernité, la vitesse, la machine, le bruit, et prônent une reconstruction futuriste de l'Univers. Un travail qui trouve des échos en Russie, où, concernée par le sentiment lié au Futur et à un idéal social planétaire, l'avant-garde russe, avec Maïakovski, Khlebnikov, Malevitch, les frères Bourliouk, s'empare du futurisme comme vecteur d'action. Les «nouvelles frontières» cosmologiques de l'humanité qui ont inspiré le discours prophétique de Fedorov et de Tsiolkovsky il a exposé publiquement en 1903, dans Exploration de l'espace cosmique à l'aide d'engins à réaction, les bases techniques de la fusée qui suggèrent d'utiliser des propergols liquides contre la fusée à poudre classique dans un premier temps, pour aller ensuite vers l'utilisation de l'hydrogène et l'oxygène interrogent également l'avant-garde artistique russe. En 1913, paraît le tome II de la Philosophie du devoir universel de Fedorov dans lequel il propose de rejeter la contemplation passive du monde, la métaphysique abstraite, pour établir une régulation de la nature où la philosophie est remplacée par le «devoir universel» et encourage à considérer l'uvre architecturale à entreprendre pour organiser le «théâtre de créativité cosmique universelle». Avec l'influence de ses écrits se précisent, au-delà du néoromantisme futuriste, les bases du développement conscient de deux nouveaux mouvements esthétiques liés entre eux, le suprématisme et le constructivisme. Sans jamais mentionner Fedorov ou Tisolkovsky à propos de son travail, Kazimir Malevitch pose des conceptions visionnaires, projections abstraites et préfigurations d'imaginaires stations spatiales, qui conduiront par la suite aux «planites» et «architectones» tri-dimensionnels. Le suprématisme est conçu comme un système de transformation de l'environnement spatial objectif du monde dans sa globalité. Mais, très vite, la planète est confrontée à l'escalade vers la Première Guerre Mondiale, première guerre aérienne et première guerre à l'échelle du globe. «Terminer la grande guerre par le premier vol sur la Lune». Voilà ce qu'écrira Vélimir Khlebnikov au cur des événements(3).
En 1917, alors que la guerre est dans l'impasse et que la Russie connaît sa Révolution, Albert Einstein aboutit à la théorie de la relativité générale. L'armature de la pensée physique est dès lors: espace, espace-temps, temps, matière-énergie. Nous devons raisonner en quatre dimensions et redéfinir le sens de la question sur la structure de l'Univers. Ce n'est plus seulement la question du devenir des choses dans l'espace mais celle du devenir même de l'espace et de l'être même du temps. Après la révolution bolchevique et avec la résolution de la guerre, le travail des suprématistes s'orientera progressivement vers l'architecture. L'imagination de Malevitch est insatiable. Pour lui, «notre siècle court dans quatre directions à la fois: de même que le cur, en s'élargissant, écarte les parois du corps, de même le vingtième siècle écarte les espaces en s'enfonçant dans toutes les directions(4)». Mais alors que le constructiviste Tatlin érige un monument à la Troisième Internationale, Malevitch, qui prône l'abstrait total (et spatio-temporel), carré blanc sur fond blanc, subit les contradictions de l'Etat-Parti. En 1919, alors que Tsiolkovsky est élu à l'Académie Socialiste, qui deviendra par la suite l'Académie des Sciences d'URSS, Malevitch quitte Moscou pour Vitebsk et rassemble autour de lui un groupe d'architectes, qui prend le nom de Ounovis, Affirmation du nouvel art.
«L'appareil suprématiste, si l'on peut l'appeler ainsi, sera d'une seule pièce, sans le moindre joint. Une poutre métallique est la fusion de tous ses éléments, à l'image du globe terrestre qui porte en lui la vie des perfections, de sorte que chaque corps suprématiste construit s'insérera dans l'organisation naturelle et formera lui-même un nouveau satellite. Il suffit de trouver le rapport entre les deux corps qui courent dans l'espace. La Terre et la Lune. Entre eux, un nouveau satellite pourra être construit, un satellite suprématiste équipé de tous les éléments voulus, et il se mouvra sur sa propre orbite.» Kazimir Malevitch, Ounovis, 1920 (5).
Sa conviction architecturale cosmique est clairement posée et le satellite artificiel est conceptualisé. L'Ounovis imagine, dans la revue Aero, les premiers modèles de structures orbitales. Soutenus à Vitebsk par l'architecte El Lissitzky, ses travaux seront ensuite rationalisés plus avant par le groupe Asnova (Association des Architectes Nouveaux) (6). Alors que les architectes suprématistes étudient la science de l'Espace, Khlebnikov se questionne lui sur la science du Temps. Selon lui «la jeunesse de la science du temps est séparée des premiers jours de l'existence terrestre de la science de l'espace par environ sept années des dieux'». Il pense qu'une étude précise des pures lois du temps doit permettre de rendre les murs moins sanguinaires. Il faut permettre par l'étude du temps de résoudre les problèmes du partage des sciences qui concernent le pouvoir. «Route ouverte devant la science du temps l'étude des lois quantitatives du nouveau monde découvert (7).»
(à suivre...) |
1) COSMOS, du Romantisme à l'Avant-garde, Musée des Beaux-Arts de Montréal, Gallimard. 2) Alfred Korzybski, " Le rôle du langage dans les processus perceptuels " (1950), " Une carte n'est pas le territoire, L'Eclat, 1998, p.59. 3) Vélimir Khlebnikov, " Fragments 1914-1916, parus dans Vremennik, no. 2, en 1917 ", Le Pieu du Futur, L'Age d'Homme, p. 249. 4) Kazimir Malevitch, " L'architecture comme gifle au béton armé ", (Anarchie, 6 avril 1918), Le Miroir Suprématiste, L'Age d'Homme, 1977. 5) cf. note (1). 6) Vélimir Khlebnikov, " Fragments 1921-1922 ", Le Pieu du Futur, L'Age d'Homme, p. 232. 7) Vélimir Khlebnikov, " Fragments 1921-1922 ", Le Pieu du Futur, L'Age d'Homme, p. 234. |