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Les Cahiers du judaïsme |
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Revue publiée par l’Alliance israélite universelle et diffusée par les éditions de l'éclat Directeur: Pierre Birnbaum Responsable éditoriale: Comité de rédaction |
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N° 26: La vie au café
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Prix de l’abonnement 2009
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Sommaire |
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Editorial |
Dans l’Europe du tournant du XIXe siècle mais aussi de la première partie du XXe, on assiste au triomphe de la modernité, à l’explosion des grandes métropoles où se concentre une vie intellectuelle et artistique intense, à d’immenses mobilisations politiques, à des luttes idéologiques suscitant la participation toujours plus active des citoyens. L’espace public comme lieu de discussion s’impose dans les démocraties tout comme, plus malaisément, au sein des systèmes autoritaires. Après les salons, les cercles des siècles précédents, les cafés deviennent le cadre par excellence de la sociabilité, du brassage social, de l’inventivité. C’est aussi le moment où les Juifs entrent de plain-pied dans la société : dès lors, tout comme leurs concitoyens, ils vont, eux aussi, vivre au café où résonnent les joutes politiques tandis que les orchestres couvrent les discussions littéraires, que naissent aussi les intrigues amoureuses, les rêves de monde nouveau, que l’imagination se donne libre cours en ce lieu neutre qui échappe, en partie, au contrôle politique mais aussi à la surveillance des diverses institutions communautaires. En cet espace neutre, ils rencontrent aussi des non-juifs, nouent de nouveaux liens, entrent dans la société. Leur présence fort visible en ces lieux ouverts fréquentés par les bourgeoisies locales provoque pourtant fréquemment de vives réactions antisémites à l’encontre de ces intrus : on les exclut parfois sans ménagement, on échange des coups de poing et des injures, la police se saisit d’eux, les emprisonne. On voit en eux des révolutionnaires, des fidèles de la Révolution française ou des idéaux socialistes, des anarchistes, des contestataires qui vivent au café et répandent ainsi leurs valeurs radicales. Partout la présence juive dans les cafés suscite l’intervention de la police qui redoute l’agitation politique et, souvent, ne cache pas ses préjugés à l’encontre de ces Juifs venus d’ailleurs. Elle provoque par ailleurs la ferme condamnation de Max Nordau comme celle de Theodor Herzl qui, au nom du sionisme, s’en prennent durement à ces « Juifs de café ». Nordau se gausse d’eux en se réclamant d’un « judaïsme des muscles », rénovateur et viril, tandis que Herzl, dans Altneuland, se moque des Juifs attablés dans ces cafés de Vienne, en proie à leurs rêveries stériles. Plus loin, par-delà l’Atlantique, les millions de Juifs qui, en cette fin de siècle, préfèrent abandonner la vieille Europe, émigrent vers le Nouveau Monde : à leur arrivée à New York, ils se pressent souvent vers le Lower East Side où ils reconstruisent leurs réseaux de sociabilité. Dans cet espace urbain dense et d’une extrême pauvreté où ils reconstituent une sorte de ghetto, les cafés de la Vieille Europe renaissent rapidement, tel le café Royal, comme autant de lieux de sociabilité où les Juifs poursuivent leurs anciennes discussions politiques et refont le monde. Ces passions politiques ou littéraires relèvent pourtant d’un monde qui disparaît peu à peu des deux côtés de l’Atlantique. De nos jours, les quartiers juifs ont perdu leur homogénéité ethnique ; l’assimilation a entraîné la fin des ghettos, la dispersion, la fin d’un mode de vie. Les Juifs ne vivent plus autant dans les cafés et leurs enseignes disparaissent de l’espace urbain. Ceux qui naissent ou renaissent deviennent surtout des lieux où se pressent les touristes en mal de nostalgie ou encore des Juifs socialement intégrés qui, le temps d’une visite organisée en grande pompe, retournent sur les traces de leurs parents. Les cafés juifs ont disparu à Vienne comme à Paris. S’ils renaissent parfois à Berlin ou encore à Hambourg, à côté d’autres lieux de mémoire, comme autant de souvenirs d’un monde englouti par la tragédie, la vie juive ne s’y exprime plus intensément comme autrefois. Les cafés juifs se sont métamorphosés en cafés israéliens, du côté de Tel-Aviv ou de Jérusalem : la jeunesse s’y presse, les trottoirs sont envahis de tables bruyantes mais ils n’évoquent plus les cafés de Vienne ou d’Odessa. Et les bancs solitaires de Brighton Beach ont remplacé les cafés enfumés du Lower East Side. |