éditions de l'éclat, philosophie

JEAN-PIERRE COMETTI
LE PHILOSOPHE ET LA POULE DE KIRCHER


I

Jacques Bouveresse
et les siens
La philosophie invisible

 

 

L'idée même qu'un poète puisse dire «ce qu'ils doivent faire» aux autres poètes qui viennent après lui, ou qu'un romancier puisse dire «ce qu'ils doivent faire» aux romanciers qui viennent après lui serait et paraîtrait absurde. Pourtant nous attendons toujours des philosophes non seulement qu'ils accomplissent ce qu'ils accomplissent, qu'ils aient des idées et qu'ils élaborent des distinctions, développent des argumentations et ainsi de suite, mais qu'ils disent aussi aux philosophes qui viennent après eux «ce qu'ils doivent faire».

H. Putnam1

 

 

Les malaises imputés à la philosophie ont donné lieu à toutes sortes de diagnostics et de supputations. Au début de son livre : Le philosophe chez les autophages, Jacques Bouveresse mentionne le cas de la poule de Kircher qui, placée en position couchée à l'intérieur d'un cercle préalablement tracé à la craie, demeurait dans cette position, paralysée et incapable de se lever2. Musil, que cite Bouveresse, évoque l'exemple de la poule dans un bref essai de 1926 consacré au pessimisme culturel3 et à une catégorie de faits auxquels l'histoire nous a généreusement habitués depuis.

Qui peut savoir quel effet cela fait d'être une poule couchée au centre d'un cercle de craie? Le cercle exerce une fonction magique qui évoque la façon dont il nous arrive de penser l'histoire et notre rapport à celle-ci. Comment échapperions-nous à la paralysie qui frappe la poule de Kircher si l'art, la métaphysique, l'histoire, comme on l'entend dire, ont épuisé leurs possibilités ? Comment l'idée nous viendrait-elle de nous lever pour faire un pas de côté ? Les variantes que le cercle de craie a connues tendent invinciblement à une forme typique d'immobilisme qui, tout en favorisant différents accès de postisme, donnent un prolongement inattendu au seinesgleichen geschieht («toujours la même histoire») que la Cacanie a si merveilleusement incarné avant de disparaître4.

Face à de telles situations, diverses attitudes sont possibles. Bouveresse a souligné les nombreuses analogies existant entre les tendances avec lesquelles nous sommes aujourd'hui familiarisés et les comportements dont Musil a donné un tableau révélateur dans L'homme sans qualités. L'intérêt de l'œuvre de Musil ne se limite pas à cela. Celui-ci fait partie des rares penseurs qui, face à ce que l'on pourrait appeler le syndrome de Kircher, ont prioritairement recherché la voie d'une alternative. Comme le montre Bouveresse, le roman de Musil est à la fois «une protestation passionnée contre les maux et les calamités de toute espèce que les grandes idées et l'idéalisme verbeux qui se nourrit de leur absence de contenu et de substance ont infligés à l'humanité au cours des siècles»5, et une réelle tentative pour aborder cependant les «nouvelles possibilités d'être homme», à contre-courant des idéologies du déclin qui se partageaient alors les suffrages du grand nombre. Non seulement ce syndrome lui était étranger – après tout, comme il le fait observer, il arrive aussi que la poule «se lève et s'en aille» – mais son œuvre se situe délibérément hors du cercle.

Musil n'était pas philosophe, au sens habituel du terme. De plus, il ne pouvait être question, pour lui, de rechercher une issue à la situation que l'avènement de la «post-modernité» est supposé avoir engendrée depuis6. Dans le contexte culturel et historique qui fut le sien, Musil est au nombre de ceux qui ont eu le plus clairement conscience des difficultés auxquelles la philosophie devait de plus en plus se heurter par la suite. Il semble avoir tout particulièrement compris la nature des risques que représentaient alors les conditions décrites par Bouveresse lorsque celui-ci évoque l'état dans lequel se trouve un organisme condamné à se nourrir de sa seule substance7. Il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles il ne séparait pas une pratique sérieuse de la philosophie d'un souci rigoureux d'information dans les domaines les plus variés8. Musil s'est détourné de la philosophie, il a délibérément tourné le dos aux possibilités professionnelles qui auraient pu lui être offertes, mais il s'est personnellement imposé une attitude intellectuelle qui compense largement cet abandon9.

On s'attend généralement assez peu à une attitude comme celle de Musil de la part d'un romancier. Ce qu'il y a d'étonnant, selon Bouveresse, c'est qu'elle ne soit pas beaucoup plus fréquente chez les philosophes, et qu'à l'époque de Musil, comme lui-même l'a suggéré, une attitude opposée ait déjà commencé à s'installer en se réclamant pour cette seule raison d'une inégalable garantie de sérieux et de profondeur. Mais Musil ne s'est pas seulement détourné des comportements qui ouvraient alors les portes à un irrationalisme dans lequel se sont jetés tous ceux qui ont cru y trouver une issue à leurs difficultés de penser ou de vivre. L'homme sans qualités en offre une incomparable satire. Il ne s'agit toutefois que de l'un des versants d'une entreprise plus précisément soucieuse de ne pas se laisser dicter «ce qu'il faut faire», et de ne pas se laisser arrêter par les difficultés ou les impossibilités généralement opposées à qui se montre désireux d'y échapper. C'est un trait que partagent diversement les auteurs favoris de Bouveresse, en particulier Musil, Valéry et Wittgenstein.

On pourrait certes être tenté de croire que le mérite des auteurs mentionnés tient à leur décision de «changer de sujet», par exemple en renonçant à la philosophie, au bénéfice de ce que Rorty présente comme une culture égalitaire où aucune discipline ne prétendrait plus exercer un droit particulier sur ce qui est rationnel, scientifique ou profond 10. Je m'abstiendrai d'entrer dans cette discussion11. Ce point de vue n'est pas celui de Bouveresse. Qu'il s'agisse de Musil, de Valéry ou de Wittgenstein, l'intérêt qu'il leur porte réside principalement dans les éclaircissements qu'une meilleure compréhension de notre situation intellectuelle permet d'en tirer – même si c'est à des degrés et avec des moyens différents – ou aux efforts que chacun d'eux a conçus afin d'échapper aux impasses qu'une forme rituelle de dramatisation convertit en impossibilités, pour ne pas dire en un destin dont la philosophie seule, à défaut du remède, connaîtrait le secret. En fait, s'il faut les créditer d'une vertu, c'est plutôt celle – pour Valéry et pour Musil en tout cas – d'une «philosophie invisible», apte à conjurer le sort dont la poule de Kircher est mystérieusement frappée.

 

Philosophie ou anti-philosophie

 

Avec Musil, Valéry fait visiblement partie des auteurs dont Bouveresse, apprécie la compagnie12. L'auteur de Monsieur Teste, qui se déclarait «l'amant malheureux de la plus belle des sciences» [les mathématiques]13, est connu pour sa défiance à l'égard des philosophes professionnels et pour l'affection que lui inspiraient les formes de pensée incarnant à ses yeux un plus juste souci d'exactitude. Comme Bouveresse le rappelle, il n'est pas très étonnant de constater que, parmi les hommes vivants qu'il disait avoir admirés n'apparaisse le nom d'aucun philosophe professionnel. Même lorsqu'il ne se limitait pas à ses contemporains, comme dans «Le souper de Singapour», Valéry ne faisait une exception qu'en faveur de Descartes, et cela pour des raisons très personnelles qui en faisaient à ses yeux une sorte d'aventurier14.

Valéry se faisait, il est vrai, une idée non moins personnelle de la philosophie en général, ses sentiments le portant à y voir une chose dont on aurait mieux fait, avec le temps, de se débarrasser. Il se distinguait en cela de tous ceux pour qui la philosophie remplit la fonction d'un «excitant», dont les effets dépassent rarement l'illusion de puissance suscitée par la «mise en congé» des fonctions ordinaires du langage15. Parlant de Descartes, Valéry va jusqu'à déclarer que le Cogito était destiné à en finir avec la philosophie, et il s'agit très probablement de l'une des raisons pour lesquelles Descartes, parmi les philosophes, faisait une heureuse exception à ses yeux16.

A ma connaissance, Bouveresse n'a dressé nulle part une liste des auteurs dont il se sent le plus proche. Il ne serait toutefois pas très difficile de répertorier un certain nombre de noms dont font incontestablement partie, toute considération d'ordre ou de suprématie mise à part : Wittgenstein, Musil, Kraus, Lichtenberg, Valéry, Carnap, et quelques autres qui, pour certains d'entre eux, pourraient également figurer au palmarès que Wittgenstein, Musil ou Valéry ont eux-mêmes établi en diverses occasions17. Chose étonnante, les philosophes n'y seraient pourtant pas les plus nombreux; quant à ceux à qui cette étiquette pourrait être appliquée (sans garantie d'unanimité, il est vrai), Wittgenstein ou Carnap par exemple, ils ne font pas vraiment partie des auteurs à qui la majorité accorderait spontanément sa confiance pour maintenir la philosophie dans les rails de ce que l'on «doit faire», par égard à la tradition, ou du moins à l'idée qu'on s'en fait le plus souvent. «Un certain nombre de lecteurs me reprocheront, écrit Bouveresse18, d'avoir ignoré à peu près complètement le genre de respect inconditionnel que l'on doit à des choses "sacrées" comme la culture ou la philosophie, et également de n'avoir pas observé le code de "bonne conduite" qui prescrit de ne pas parler de certaines gloires intellectuelles, à propos desquelles il semble être entendu que "critique" doit toujours être synonyme de "célébration", si l'on n'a pas envie d'en dire uniquement du bien.» En ce sens, le goût de Bouveresse pour Valéry, Kraus ou Musil, c'est-à-dire pour «des auteurs qu'on n'a pas l'habitude de considérer comme proprement philosophiques» se conjugue avec l'intérêt qu'il n'a cessé de manifester pour Wittgenstein ou, de manière un peu différente, pour certains auteurs du Cercle de Vienne. Evoquant par exemple la dimension satirique de Kraus et de Lichtenberg, il mentionne le nom de Wittgenstein en évoquant l'attrait qu'il a toujours ressenti à leur égard par rapport aux aspects de la tradition philosophique qu'ils ont ouvertement critiqués19.

Deux traits majeurs se dégagent, il est vrai, de l'affection que porte Bouveresse à ces différents auteurs. Qu'il s'agisse de Kraus, de Lichtenberg, de Wittgenstein, de Carnap ou de Valéry, nous avons affaire à des écrivains et à des penseurs qui ont prêté une attention particulière au langage, encore que ce ne soit pas exactement de la même façon, plus particulièrement au détournement des fonctions qui sont les siennes dans les contextes où il répond à des usages précis20. On se souviendra, à ce sujet, que le premier livre de Bouveresse était intitulé La parole malheureuse21. A propos de Valéry, Bouveresse observe qu'une bonne partie des préventions qui étaient les siennes à l'égard de la philosophie reposaient en fait sur l'importance qu'il attribuait à la fonction transitive du langage22. Les analogies qui permettent de rapprocher plus d'une réflexion des Cahiers de l'inspiration qui fut à un certain moment celle de Wittgenstein ou des membres du Cercle de Vienne y ont pour une part leur source23. Ces positions ne furent pas identiques: on sait les erreurs que Schlick ou Carnap ont entretenues au sujet du Tractatus de Wittgenstein; on sait aussi à quel point sa «seconde philosophie» s'est développée dans des voies dont seule l'ignorance a singulièrement permis de sous-estimer l'originalité en faisant de lui l'un de ces positivistes pour lesquels la majorité des philosophes français n'a jamais ressenti que du mépris. Il n'en est que plus amusant de voir Wittgenstein, après une période prolongée d'indifférence ou d'hostilité, devenir un philosophe auquel on rend hommage pour des raisons exactement opposées24.

Toutefois, les héros intellectuels de Bouveresse ne partagent pas seulement le souci d'exactitude qui commandait l'attitude de Kraus à l'égard du langage, ou qui lui faisait dire : «Le préjugé est un valet indispensable qui chasse du seuil les impressions importunes. Seulement, on ne doit pas se laisser mettre soi-même à la porte par son valet25» ; ou cette forme de prudence que recommandait Valéry en suggérant : «Entre deux mots, il faut choisir le moindre. (Mais que le philosophe entende aussi ce petit conseil)26.» Les réserves, voire l'hostilité dont ils ont souvent témoigné à l'égard de la philosophie se sont également accompagnées d'une idée originale de sa «fin» autant que de ses fins. Sur ce plan-là, plusieurs fils secrets relient manifestement ce que Wittgenstein, Valéry et Musil ont respectivement pensé et écrit.

On peut tenir pour significatif le fait qu'Alain Badiou, qui consacre diverses remarques à Wittgenstein dans son livre: Conditions27, exprime ses réserves à l'égard de Wittgenstein en invoquant la nécessité de ce qu'il appelle la «fin de la Fin»28. Badiou l'accuse de «remplacer l'idée de vérité par l'idée de règle»29. «Tel est, suggère-t-il, le sens le plus profond de l'entreprise, du reste géniale, de Wittgenstein. Wittgenstein est notre Gorgias, et nous le respectons à ce titre30.» La mise en place du «couple transhistorique du sophiste et du philosophe», célébré par François Wahl comme l'une des contributions décisives à la production du statut philosophique de la vérité 31, n'est pas sans présenter quelques affinités avec le genre d'opération qui permet à la philosophie de se décerner un brevet d'intimité avec l'histoire auquel, même lorsqu'il s'agit d'en finir avec la fin, elle ne parvient pas à renoncer. Badiou entend «énoncer la fin de la Fin», et «réouvrir la question de Platon32», c'est-à-dire, à la faveur d'un «autre geste platonicien», réouvrir un «autre avenir de pensée», l'avenir, fût-il celui de la pensée, étant présumé épouser, d'une manière ou d'une autre, le seul «geste» du philosophe. Il n'est pas interdit de voir dans ce genre de conviction une version parmi d'autres de ce que suggérait Musil en évoquant le «culte des dictateurs de l'esprit33», ou en faisant dire à Ulrich: «Les philosophes sont des violents qui, faute d'une armée à leur disposition, se soumettent le monde en l'enfermant dans un système34.» Un aspect significatif d'un grand nombre de spéculations de ce genre, sur le plan historique, est de pouvoir se concrétiser, aussi bien dans la conviction d'une fin de la métaphysique, ou de quoi que ce soit, que dans la conscience d'un événement qui en marquerait la restauration et dessinerait en elle notre ultime avenir. Si un «geste» en a décidé une première fois, pourquoi un autre geste ne nous donnerait-il pas la possibilité de rebrousser chemin?

Il est à peine besoin de préciser que ni Wittgenstein, ni Musil, ni Valéry n'ont jamais songé à cela. La philosophie, quel qu'en aient été à leurs yeux le prix ou les défauts, ne leur paraissait pas détenir un tel privilège. Comme le remarque Rorty, «les philosophes français et allemands semblent juger naturel de tenir les modifications des conceptions philosophiques pour solidaires des crises historiques qui se produisent dans le monde. Ils y voient des signes, des symptômes ou des conséquences d'événements d'une plus grande amplitude35.» Non pas que l'avenir, la culture, l'histoire leur aient été indifférents, ce qui n'était certainement pas le cas pour Musil; comme Bouveresse le montre clairement à propos de Wittgenstein, leur conviction commune semble avoir plutôt résidé dans l'opportunité d'une attitude plus personnelle, ou dans ce que Wittgenstein appelait un «travail sur soi», obéissant ainsi à une tendance qui peut expliquer, dans l'œuvre de ce dernier, l'absence de suggestions constructives concernant la culture, les mœurs, la société, etc.36 Mais il est également vrai que, pour Wittgenstein, la «force de la critique provient en grande partie du fait qu'elle renonce délibérément à toutes les prétentions universalisantes et totalisantes qui ont pour effet de dépouiller la critique elle-même de toute espèce de légitimité, de point d'appui et finalement de signification37

Valéry appartenait sans nul doute à la classe de ceux que la philosophie intrigue sans convaincre. Quant à Musil, sous les divers rapports précédemment évoqués, on ne peut pas dire que ses réserves, sinon son scepticisme, l'aient jamais incliné à quelque réelle complaisance. Un point permet de mieux comprendre leur attitude à ce sujet. A propos de Valéry, Bouveresse observe que «les œuvres des philosophes sont en quelque sorte le dernier endroit où l'on doit chercher de la philosophie38». Non seulement il arrive que la philosophie propre au livre d'un philosophe demeure invisible, mais il peut également arriver que les œuvres de non-philosophes, voire d'anti-philosophes, recèle une philosophie cachée dont le prix peut être aussi précieux que celui des marchandises officiellement estampillées sous ce label. Ce n'est pas sans raison que Valéry notait dans ses Cahiers que «la philosophie est imperceptible» et, en ce sens, il n'est nullement inconséquent de parler de «la philosophie de Valéry». Mais c'est dans la mesure où la lecture de ce dernier peut légitimement nous conduire à nous demander si une «philosophie invisible» ne pourrait pas offrir d'autres issues, peut-être plus convaincantes, que la philosophie des professionnels. Bouveresse confesse que l'attrait qu'ont initialement exercé sur lui les auteurs qu'il affectionne fut en partie lié aux sentiments que lui inspira la philosophie française des années soixante39. Il ne semble pas – d'où la continuité qui se manifeste dans ses choix – que ses sentiments aient beaucoup évolué depuis. Le genre de déclarations auxquelles j'ai fait allusion en citant brièvement le livre de Badiou permet assez aisément de comprendre pourquoi. Bouveresse s'en est clairement expliqué en 1983 dans «Why I am so very unFrench». Pour lui, visiblement, s'il s'agit d'opposer aux tendances dominantes les alternatives susceptibles de se faire jour dans des œuvres qui ne doivent rien aux professionnels de la philosophie, le roman de Musil : L'homme sans qualités est tout particulièrement qualifié pour cela.

 

Construction ou déconstruction

 

L'intérêt de Bouveresse pour un roman comme L'homme sans qualités ne date pas d'aujourd'hui40. Entre Musil et Valéry, les affinités sont nombreuses41. Si toutefois Valéry peut se voir attribuer une mention philosophique, au titre d'une contribution occulte, c'est en un sens un peu différent que l'œuvre de Musil peut se voir accorder un caractère semblable. A la différence de Valéry que ses réflexions sur le langage apparentent à Wittgenstein, Musil n'a jamais réellement manifesté une attention exactement comparable au langage, ni tout à fait les mêmes réserves à l'égard de la philosophie. En revanche, les deux auteurs ont incontestablement partagé un souci comparable de l'exactitude, et un intérêt notable pour les mathématiques ou pour la science en général.

La relative indifférence de Musil pour les problèmes du langage peut paraître étonnante pour un auteur autrichien, ayant vécu à Vienne, forcément familiarisé avec ce qu'ont représenté Kraus ou Mauthner, et que l'on dit proche des philosophes du Cercle de Vienne42. Musil représente en fait un cas singulier dans le contexte autrichien43. Il est significatif qu'à la différence de Wittgenstein et de beaucoup d'autres, il n'ait jamais éprouvé une grande admiration pour Kraus44. Les intérêts de Musil se sont portés vers les sciences, dans un esprit qui ne souffre pas du genre de réserves que celles-ci inspirèrent parfois à Wittgenstein. Bouveresse, qui ne se prononce pas vraiment sur ce point, éclaire toutefois nettement l'attitude critique de Kraus à l'égard des idéaux dont la science et les techniques modernes étaient à ses yeux partie prenante. Dans une certaine mesure, ce que Kraus et Wittgenstein ont déploré correspond curieusement à ce que Musil place sous un jour qui pourrait passer pour du cynisme s'il ne s'était lui-même montré particulièrement vigilant à l'égard des confusions ou des ressentiments qui entourent les idéologies du progrès. Musil pensait que le meilleur moyen de faire face aux difficultés et à la complexité d'une époque n'est pas d'en refuser les potentialités au nom d'une condamnation globale ou de la certitude sans appel d'un irrémédiable déclin. «Explication totale, disait-il, mauvais signe45 !» Bouveresse ne pense pas différemment lorsqu'il écrit, après avoir cité Lichtenberg et l'exigence de ne pas être «au-dessous» de son époque: «Je m'estimerais déjà très satisfait de n'être pas trop en-dessous d'elle, et notamment de la complexité et de l'ambivalence extraordinaires des faits qu'elle nous impose et par lesquels nous sommes, comme dit Musil, submergés de toutes parts au point que la philosophie est devenue presque impossible. Lorsque la réalité est aussi compliquée, il y a réellement peu de chances que la vérité soit simple46

Dans le cas de Musil, on ne voit peut-être pas spontanément à quoi correspond cette attitude. Mais l'«autophagie» qui menace le philosophe n'épargne pas forcément l'écrivain. S'il est une chose à l'égard de laquelle le romancier devrait également éprouver quelque scrupule, c'est bien de refuser ou de brader les ressources de son temps, y compris celles que les sciences sont susceptibles de lui offrir. On ne voit pas pourquoi l'exigence ou le désir de compréhension – dans tous les sens du terme – devraient être chez lui inférieurs à ce qu'ils sont chez le philosophe, et rien ne devrait en principe le porter, ni plus ni moins que ce dernier, à mimer la poule dans le cercle de craie.

Un livre comme L'homme probable met particulièrement en relief à quel point le roman musilien est précisément riche d'une information scientifique dont le champ est exemplairement étendu et considérablement varié47. Comme le souligne Bouveresse, l'une des convictions profondes de Musil était que dans un monde aussi complexe que le nôtre, on ne peut s'en remettre aveuglément aux privilèges de l'intuition ou, comme les protagonistes de l'Action parallèle, aux ressources exclusives du sentiment. Cette attitude n'est certainement pas étrangère à ce que l'œuvre présente d'atypique par rapport à la littérature dominante d'alors, et à celle qui a vu le jour depuis. Musil s'est parfois plaint de n'avoir pas été suffisamment considéré comme un écrivain48; cela ne fait pas automatiquement de lui un philosophe. Son œuvre ne présente sûrement pas les caractères que l'on s'attend à rencontrer chez un auteur désigné de ce nom, d'autant que sa seule ambition fut d'être un écrivain, les deux choses ne se confondant nullement à ses yeux. Cependant, à en juger par les questions auxquelles il a voulu intellectuellement faire face, les moyens qu'il a mobilisés à cette fin ou les clarifications, sinon les solutions, auxquelles il est parvenu, on peut avoir de bonnes raisons de penser que son entreprise n'a rien à envier à ce que désigne ordinairement le mot «philosophie». Bien entendu, une question serait de savoir ce qu'il faut penser des démarches que Musil met effectivement en œuvre par rapport à l'idée que l'on est en droit de se faire des exigences auxquelles une philosophie est supposée répondre49. On pourrait ainsi se demander comment Bouveresse situe ce qu'il appelle la «philosophie» de Musil par rapport au style argumentatif auquel il se montre généralement attaché50. Après tout, Wittgenstein peut éveiller des doutes à ce sujet. Il existe toutefois différentes façons d'«argumenter»; si l'on peut douter, par exemple, que Wittgenstein soit un philosophe analytique au sens conventionnel, les Recherches philosophiques ne sont pas moins orientées, comme toute argumentation, vers un changement dans «la manière dont on voit les choses». Bouveresse peut paraître soutenir un point de vue qui n'est pas fondamentalement éloigné de celui-là lorsqu'il observe que les arguments de Wittgenstein ne se présentent presque jamais sous une forme conventionnelle51. Mais un roman comme L'homme sans qualités est-il «argumentatif», au sens où peuvent l'être les écrits de Wittgenstein ?

On pourrait appliquer au roman musilien la distinction que Valéry établit entre la philosophie qui se dit et la philosophie qui se fait, celle qui se voit parce qu'elle porte les séduisants atours qui sont à un certain moment de mise dans la profession, et celle qui ne se voit pas. Comme Valéry, Musil illustre à sa manière l'exemple de «l'homme préoccupé avant tout de construire et de se construire, de ne rien accepter qui soit simplement "donné" et qu'il n'ait pas lui-même produit52». Mais cela ne suffirait peut-être pas à mettre en évidence l'originalité de l'attitude musilienne, ni les raisons qui conduisent Bouveresse à considérer Musil comme un authentique philosophe. C'est peut-être bien parce qu'il ne se souciait pas exagérément du destin de la philosophie, que Musil s'est effectivement engagé dans la voie d'une alternative aux maux qui tétanisent le plus souvent celle-ci.

Il est cependant arrivé à Musil de penser qu'il avait recherché une solution à des problèmes philosophiques, ou de noter qu'avec L'homme sans qualités, il avait «bâti, comme il le dit, toute une philosophie de la vie»53. Sous ce rapport, de tous les livres consacrés à Musil, L'homme probable est celui qui met le mieux en lumière la portée de l'entreprise musilienne. En écrivant ce roman qui l'absorba jusqu'à la fin de sa vie, l'une des ambitions de Musil fut, selon ses propres termes, de «présenter au moins cent personnages, les principaux types de l'homme d'aujourd'hui»54. Cette idée participait chez lui d'une tentative que les Journaux présentent également comme destinée à décrire «la situation de l'esprit privé de direction intérieure»55, ou ce que l'on pourrait encore appeler la morphologie d'une époque caractérisée par son «manque d'unité». Mais, comme le souligne Bouveresse, Musil s'attachait en cela aux problèmes qu'il jugeait «constituants», et non à proprement parler aux «problèmes d'actualité»56. A quoi il est permis d'ajouter que le genre de clarification dont il a tenté de se donner ainsi les moyens s'inscrivait dans la perspective d'une contribution que la confusion ambiante rendait manifestement urgente sur le plan intellectuel.

A ce titre, l'attention que Musil n'a cessé de prêter aux questions du hasard, des probabilités et de la moyenne méritait amplement une étude précise, car cet intérêt ne se livre pas à l'état nu, encore que son grand roman en soit amplement nourri et que la compréhension de ce qu'il y tente en dépende étroitement. Plus généralement, les démarches dans lesquelles il s'est engagé, et jusqu'à l'idée qu'il se faisait du roman, ne peuvent être dissociées d'une forme d'«expérimentation» dans laquelle les expériences de pensée qu'autorise le récit jouent un rôle majeur, assez proche de la façon dont Wittgenstein a parfois présenté sa propre démarche: une manière de délivrer l'esprit de ses «crampes mentales» en imaginant des possibilités alternatives là où une façon exclusive de voir les choses compromet les chances d'une réelle compréhension. Musil appelait «essai» ce qu'il se représentait comme un effort pour atteindre le maximum de rigueur là où l'on ne peut précisément pas procéder en toute rigueur57. Sous ces divers aspects, Musil, Valéry et Wittgenstein illustrent une tentative qui vise à neutraliser les conditions – réelles ou imaginaires – qui frappent l'esprit de paralysie, cette même tentative se spécifiant, selon le cas, en un effort pour mieux comprendre les principes qui gouvernent ordinairement l'histoire58 ou pour se soustraire au genre d'attrait que pourraient exercer à ce sujet les seuls plaisirs de la déconstruction.

En un sens, ce que Musil, Wittgenstein et Valéry ont tenté à leur échelle, avant que ce dernier vocable n'entre en circulation, s'apparente certainement beaucoup plus à une variété d'«exercices spirituels» qu'à une gamme de jeux déconstructionnistes auxquels il conviendrait d'attribuer des conséquences morales ou politiques tenues pour décisives59. Entre le choix de ne servir à rien et le risque d'être appréciée à ses résultats, dilemme auquel la philosophie se trouve inévitablement exposée selon Valéry, d'autres possibilités peuvent toujours être inventées ou tentées, hors des voies balisées et en dehors des implications politiques, morales ou sociales dont on crédite régulièrement les idées dont le seul mérite, avant que d'être abandonnées, consiste essentiellement à ne pas avoir fait leur preuve. A cet égard, une attitude comme celle de Musil peut du moins se garantir d'une prudence qui l'a incontestablement préservé des ambitions et d'une catégorie de confusions dont les philosophes, dans leur majorité, ont le plus grand mal à se défaire. Il s'agit d'un trait qu'il partage avec les philosophes pragmatistes, et avec tous ceux qui considèrent, comme Nelson Goodman et Catherine Elgin, que tant qu'il s'agit de construire, «la tâche est sans fin et le philosophe ne sera jamais au chômage60».

 

«Je sens l'air d'une autre planète»

 

Les réflexions que Bouveresse a amplement développées à propos de Valéry, Musil ou Wittgenstein apportent une réponse à la question posée dans Le Philosophe chez les autophages61. Que ce soit au grand jour ou dans la clandestinité, les auteurs que Bouveresse affectionne sont en quelque sorte de sages docteurs, peut-être parce qu'ils ne sont pas à proprement parler tenaillés par «la pratique typiquement moderniste du diagnostic historicisant qui permet de décider où nous en sommes exactement aujourd'hui, ce qui est encore possible et important et ce qui ne l'est plus», dans la perspective de «démontrer l'impossibilité du mouvement à des gens qui préfèrent, de toute façon, essayer de marcher»62. Qu'ils occupent à ce titre une position exemplaire, cela explique certainement la place que Bouveresse leur a toujours donnée dans ses livres, et au cœur de sa propre démarche. Par rapport à cela, il n'est pas rare que la philosophie des professionnels paraisse déficiente, conformément à un sentiment dont les formes d'«apologia pro vita sua» qui consistent «à présenter la philosophie comme une forme d'engagement politique plus ou moins direct et explicite» ne parviennent pas à dissuader ceux qui pensent, comme Musil, qu'un philosophe ou un écrivain ne possèdent pas forcément des aptitudes particulières pour jouer un rôle dont d'autres que lui se chargent ordinairement de façon autrement efficace63.

A première vue, cela pourrait constituer un argument supplémentaire en faveur du syndrome de Kircher. A ceci près, comme Musil le faisait observer, que parfois la poule se lève et qu'à vouloir prêter à son état quelque cause pathogène, la meilleure façon d'envisager une guérison ne consiste certainement pas à lui attribuer des capacités dont le seul effet apparemment bénéfique consiste à en masquer maladroitement les symptômes. A cet égard, une conception plus modeste de la philosophie comme celle de Wittgenstein présente de meilleures garanties. D'une certaine manière, la vision que partagent le plus souvent les philosophes «continentaux», celle qui consiste à attribuer à la philosophie une pénétration particulière de la marche générale des choses, ne fait que perpétuer la croyance en un point de vue qui échapperait aux limites de tout point de vue, comme si telle était encore l'unique réponse qui se puisse envisager dans une «situation de critique généralisée et systématique qui ne repose sur aucun fondement autre qu'occasionnel et transitoire» et qui «correspond à la fois à une omniprésence et à une dépossession de la philosophie, telle qu'on la conçoit généralement»64. De manière générale, comme l'écrit Bouveresse, qui s'accorde en cela avec Rorty, «il est devenu urgent d'admettre à quel point un supplément de réflexion théorique est peu susceptible de nous aider à résoudre les problèmes les plus sérieux que le monde doit actuellement affronter [et de] cesser de s'imaginer que l'avenir et le salut du monde dépendent de découvertes théoriques et conceptuelles miraculeuses que les philosophes peuvent espérer effectuer un jour65».

Dans une étude où il discute les positions de ce dernier et ce qu'il considère, sous un autre rapport, comme une option en faveur d'un relativisme radical, Bouveresse suggère que, de toute façon, «la possibilité de formuler des jugements rationnels sur le caractère progressif ou régressif de l'évolution de la culture n'est nullement subordonnée à l'existence d'un point de vue comme celui que McDowell appelle la "perspective de l'œil cosmique", qui nous permettrait de juger notre langage et notre culture en faisant abstraction du fait qu'ils sont pour l'instant les nôtres et que même notre façon de les considérer et de les juger reste déterminée par eux66». Cette possibilité, que Rorty ne me semble contester qu'au sens où cela reviendrait à réinjecter quelque nécessité dans les formes d'évolution de la culture, ne constitue cependant une authentique alternative au genre d'illusion caractéristique qui semble avoir prévalu jusqu'à présent qu'à la condition de ne pas subordonner la discussion rationnelle à un fondement susceptible de définir par avance la rationalité devant présider à l'échange. Il n'y a sans doute pas lieu de penser que la croyance en un fondement de ce genre demeure explicitement vivante chez la plupart des philosophes qui continuent de prêter à la philosophie un rôle prédominant dans l'histoire ou au sein de la culture. Mais justement, ce qu'il y a de caractéristique chez eux, comme Searle le remarquait fort justement à propos de Derrida, c'est qu'ils commettent la faute, non pas de croire «qu'il existait des fondements métaphysiques», mais de croire que «d'une manière ou d'une autre, de tels fondements étaient nécessaires», c'est-à-dire de croire que «si de tels fondements venaient à faire défaut, quelque chose serait perdu, menacé ou mis en question». Selon Searle «cette croyance est celle que Derrida partage avec la tradition qu'il cherche à déconstruire67».

Au point où nous en sommes, puisque le cercle laisse tout de même entrevoir quelque espoir de ne pas demeurer définitivement clos – au prix d'autres cercles, il est vrai, dont les regroupements ne s'imposaient pas à première vue – on peut essayer de préciser une dernière fois la position de Bouveresse à ce sujet et la place qu'y tiennent les auteurs évoqués jusqu'ici68.

La position de Wittgenstein et la signification pouvant être attribuée à sa démarche sont certainement aussi singulières que les aspects de l'œuvre et de la pensée de Musil ou de Valéry auxquels Bouveresse se montre généralement attentif. Wittgenstein s'est engagé dans une entreprise philosophique dont on peut difficilement nier l'originalité, et qui illustre à sa manière ce que Russell suggérait à propos de l'«imagination philosophique». Selon Bouveresse, en effet : «Dire que la philosophie doit développer l'imagination, c'est dire qu'elle doit étendre ce que Valéry appelle "l'usage du possible" à des domaines où le réel règne pratiquement sans partage et sans concurrence69 ». Mais l'originalité de Wittgenstein est néanmoins telle que l'on peut en même temps s'interroger sur ce qui apparente sa démarche à la philosophie – en tout cas à ce que l'on voudra bien continuer d'appeler ainsi – et sur les raisons que l'on peut avoir de ne pas céder à une forme de relativisme que la philosophie des jeux de langage peut toujours encourager.

Sur ces deux points, il est clair que les positions défendues par Bouveresse consistent à maintenir une conception de la philosophie centrée sur une défense de la rationalité et à refuser toute issue relativiste, cela à partir d'arguments qui, tout en abandonnant volontiers aux professionnels leur idéologie, tendent à dissocier la possibilité de choix rationnels des conceptions fondationnalistes, en insistant sur les inconséquences d'une attitude qui rendrait précisément impossible tout choix à proprement parler. De ce point de vue, pour Bouveresse, le fait de renoncer à toute rationalité peut être interprété comme une attitude dont la seule issue paraît être celle qu'illustra la Cacanie, telle que Musil l'a dépeinte, ne laissant pour ainsi dire d'autre choix à l'histoire qu'entre le pas lent du chameau et l'agitation désordonnée des cultures privées d'épine dorsale, celles qui confondent nouveauté et progrès et s'adonnent ainsi au «changement pour le changement». Mais les problèmes qui sont liés à cela concernent aussi Wittgenstein, car si l'on peut apparemment renoncer sans dommages à une multitude de fantasmes portant sur la nécessité de fondations ultimes, et si l'on peut admettre sans trop de difficultés que la philosophie regroupe seulement un certain nombre de ressemblances de famille, la question qui se pose n'en est pas moins celle de savoir «ce qui pourrait subsister de proprement philosophique dans une activité qui aurait rompu définitivement avec toute idée de justification, de légitimité ou de vérité»70. Pour Bouveresse, le genre de situation en faveur de laquelle plaide un philosophe comme Rorty ne semble pas autoriser une réponse claire à cette question, encore que sa propre pratique de la philosophie ne soit pas étrangère à celle que Bouveresse se refuse à abandonner71.

Un problème analogue ne se pose-t-il pas cependant de manière tout aussi sérieuse chez Wittgenstein, comme Bouveresse paraît l'envisager en évoquant le curieux usage que celui-ci fait parfois de la notion de style72? ou en parlant de ce qui fait de lui le «prototype du philosophe édifiant au sens de Rorty»73? «Un style, écrivait Wittgenstein, nous donne satisfaction, mais un style n'est pas plus rationnel qu'un autre. Les remarques sur la science n'ont rien à voir avec le progrès de la science. Elles sont plutôt un style, qui donne satisfaction. <Rationnel> est un mot dont l'usage est analogue.» On pourrait comprendre, à défaut de l'admettre, qu'un auteur comme Kripke soit convaincu que Wittgenstein était un philosophe relativiste. Mais Wittgenstein, comme le fait observer Bouveresse, n'avait pas une conception suffisamment optimiste de l'histoire et de la culture pour confier à la seule innovation – à l'«anormalité» au sens de Kuhn et de Feyerabend – le soin de décider de nos choix sur la seule base du succès escompté74.

Pour Musil, cela avait un sens de se demander: «Pourquoi ne fait-on pas l'Histoire?», encore que ses conceptions ne l'auraient pas davantage conduit à souscrire à quelque forme de révolution que ce soit, et encore moins à une attitude favorable au «changement pour le changement»75; mais pour Wittgenstein, plus encore que pour Musil, l'idée qu'une invention émanant d'un individu puisse déterminer à plus ou moins longue échéance, sans autre condition, un mode de vie, était une totale absurdité76. Il est vrai que Wittgenstein évoque parfois les possibilités qui peuvent être liées à un changement dans la façon de voir les choses, et même à ce que peut entraîner un changement de vocabulaire. Rorty cesse cependant d'être un philosophe wittgensteinien dès l'instant où il transpose ce que suggérait ce dernier à propos de nos pratiques intellectuelles sur le plan beaucoup plus général et autrement plus complexe de la culture et nos modes de vie communs.

En fait, il se peut que la position de Rorty ne consiste pas exactement à abandonner l'histoire au hasard des innovations – linguistiques ou non – que la seule perspective du changement permet d'imaginer. La priorité accordée à la «solidarité», pour une philosophie pragmatiste, ne me paraît personnellement pas avoir de telles conséquences, et il est permis de penser que la discussion argumentée fait partie d'un programme dont Rorty suggère néanmoins qu'il accorde une priorité – certainement pas sans raison – à la «solidarité» sur l'«ironie». Mais s'il s'agit d'argumentation, la question peut légitimement se poser de savoir ce que ce mot recouvre à nos yeux, ou plutôt quelles pratiques ou quelles démarches peuvent en faire partie. Le fait que Wittgenstein ne se soit jamais proposé de défendre des thèses à proprement parler, conformément à une idée reçue, est peut-être l'une des raisons qui permet de voir en lui un «philosophe édifiant77». Mais cela ne signifie pas forcément, comme le remarque opportunément Bouveresse, que son œuvre soit totalement étrangère à toute espèce d'argumentation. «Rorty a tendance à sous-estimer, de façon générale, l'aspect argumentatif de la philosophie édifiante, qui n'est pas toujours aussi réduit qu'il le suggère. La raison de cette attitude est probablement que, comme beaucoup d'autres philosophes de la tendance qu'il représente, il donne l'impression d'éliminer plus ou moins les intermédiaires qui pourraient exister entre l'argumentation démonstrative qui entraîne l'assentiment rationnel, au sens étroit, et la simple exhortation "morale" qui vise à provoquer une sorte de conversion78

Il est évident que dans le cas de Wittgenstein cela ne suffit pas à régler la question, d'autant que d'une façon qui leur est propre, un romancier comme Musil ou un poète comme Valéry peuvent paraître finalement plus attachés que lui à un modèle de rationalité pour lequel les «arguments» de type démonstratif jouent un rôle majeur. Mais si Musil doit être considéré comme un philosophe, la question se pose néanmoins de savoir comment doivent être considérées les démarches qu'il mobilise en tant qu'écrivain, et rien ne permet de dire que cette question puisse trouver spontanément une réponse aisée dans son œuvre. S'agissant de Wittgenstein, d'autre part, il faut sans doute penser que s'il «continue généralement à être considéré comme un philosophe analytique, ce n'est tout de même pas absolument par hasard, et sans qu'il y ait à cela de bonnes raisons79.» Mais à défaut de disposer de toute la clarté souhaitable sur ce point, on peut certainement voir en lui un auteur qui, tout comme Musil ou Valéry, ne s'est jamais senti paralysé par le type de syndrome qui étreint la poule de Kircher. A ce sujet, on pourrait dire de Bouveresse qu'il privilégie le mouvement «sous contrainte de rigueur». Il ne s'agit pas seulement de sortir du cercle, mais de savoir comment il faut s'y prendre pour ne pas s'agiter dans le genre de mouvement désordonné que favorisent tout particulièrement les situations de panique. S'il faut s'inspirer pour cela de tel ou tel auteur, on choisira certains auteurs de préférence à d'autres. Les goûts de Bouveresse peuvent paraître insolites. Comme il le confesse lui-même: «J'ai gardé de mes études parisiennes une prédilection marquée pour les chemins peu fréquentés, les doctrines interdites et les auteurs mal famés [...] Je n'ai jamais attendu de la philosophie autre chose que ce qu'elle peut, à mon sens, donner, je n'ai jamais été tenté d'identifier la déception provoquée par l'échec prévisible d'entreprises philosophiques ou philosophico-politiques excessivement ambitieuses et irréalistes avec une "crise" de la philosophie elle-même80.» Il n'a jamais été facile de faire valoir ce genre de prédilection. Mais les lecteurs de Bouveresse peuvent rester raisonnablement optimistes; ils savent que pour insolites qu'ils soient, en dépit des modes qui se succèdent ou des inerties qui se prolongent, il est des goûts qui parfois essaiment avec bonheur.

1. Le Réalisme à visage humain, trad. franç., C. Tiercelin, Paris, Le Seuil, 1993, p. 270-71.

2. Le philosophe chez les autophages [PA], Minuit, Paris, 1984, p. 9; R. Musil, «Unter Dichtern und Denkern», in Gesammelte Werke in neun Bänden, Rowohlt Verlag, 1978, vol. VII, p. 585.

3. La discussion concerne la notion de génie et la constatation qu'il n'y a plus de génie, bien qu'il n'y ait plus que des génies. Voir aussi L'homme sans qualités, [HSQ], trad. franç. de P. Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1956, par ex. le chap. 13: «Un cheval de course peut être génial» et le chap. 49 du livre II: «Le Général Stumm et la génialité».

4. Cf. HSQ, chap. 83: «Toujours la même histoire ou: Pourquoi n'invente-t-on pas l'Histoire?» Cette question, qui est au cœur de ce chapitre, est l'une des questions-clés du roman; elle est au centre des investigations de Jacques Bouveresse dans L'Homme probable, [HP], L'éclat, Combas, 1993.

5. Ibid.

6. Bien que l'idée ait pu effleurer certains de voir en Musil un auteur post-moderne avant la lettre. On peut imaginer, sans risque de se tromper que, tout comme Rorty, Musil se serait senti «parfaitement incapable de détecter le genre de raz-de-marée que Lyotard et d'autres ont annoncé lorsque nous sommes devenus post-modernes» [R. Rorty, Science et solidarité, trad. franç., L'Eclat, Combas, 1990].

7. PA, cit., p. 14.

8. Voir, par exemple, la lettre à K. Baedeker du 16 août 1935, in Lettres, trad. franç. de P. Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1987, p. 235. Musil y écrit: «Je ne puis concevoir d'activité philosophique prolongée et féconde sans une étude approfondie des mathématiques et de la psychologie, de quelque façon que l'on veuille distinguer de ces connaissances préalables l'essence de la philosophie.»

9. Rappelons que Musil a écrit une thèse de doctorat sur Ernst Mach: «Beitrag zur Beurteilung der Lehren Machs», ceci en 1907 et sous la direction de Carl Stumpf. On peut lire, à ce sujet, le récit que fait Musil de sa soutenance à J. von Allesh dans une lettre du 13 mars 1908 [Lettres, op. cit., p. 43]. Voir aussi la lettre à Meinong du 18 janvier 1909 [ibid., p. 48] Musil s'y explique, cette fois, sur sa décision de choisir la littérature, et de renoncer ainsi à la possibilité qui lui était offerte de devenir l'assistant de celui-ci à Graz.

10. PA, cit., p. 187.

11. A ce sujet, voir PA, «Conclusion», ainsi que «Sur quelques conséquences indésirables du pragmatisme», avec la réponse de R. Rorty, dans Lire Rorty (collectif), Combas, L'Eclat, 1992. Sur un autre aspect de la discussion de Rorty, voir «La philosophie peut-elle être systématique?» [PS], Studia Philosophica, 41, 1982.

12. Il est peu d'ouvrages, parmi ceux que Bouveresse a publiés, où le nom de Valéry ne soit pas cité, encore que son nom soit moins présent que celui de Musil, de Lichtenberg, voire de Nietzsche dont on observera en passant qu'il fait partie des auteurs fréquemment cités, et avec qui Bouveresse dialogue assez souvent dans ses livres. J'observerais volontiers, à titre de parenthèse, que s'il venait à l'esprit de quiconque de voir en lui l'un des ces «oiseaux qui souillent leur nid» – pour reprendre une expression de Kraus qu'il affectionne, il suffirait de signaler le nombre important d'auteurs qu'il cite ou qu'il discute, parmi ceux qui font partie, si je ne m'abuse, de la tradition «continentale», même si ce n'est pas à ces auteurs que pensent spontanément ceux que hérissent, pour ne pas dire davantage, la philosophie «analytique» ou «anglo-saxonne», voir anglophone, le tout étant le plus souvent allégrement confondu.

13. Voir la lettre inédite de Paul Valéry, en préface à l'ouvrage de F. Le Lionnais : Les grands courants de la pensée mathématique, Les Cahiers du Sud, Marseille, 1948. En réponse à une demande de conseils d'initiation de l'un de ses correspondants, Valéry y écrivait: «Voilà, Monsieur, quelques suggestions. Je ne sais si elles répondent à vos désirs, mais je ne suis pas du tout un spécialiste – tout au plus un admirateur et un amant malheureux de la plus belle des sciences.»

14. J. Bouveresse, «La philosophie d'un anti-philosophe : Paul Valéry» [PAP], Zaharoff Lectures, Clarendon Press, Oxford, 1993.

15. Ibid.

16. A ce sujet, Bouveresse note que Descartes «est à l'origine de la transformation qui a abouti beaucoup plus tard à la situation de crise dans laquelle se trouve aujourd'hui la philosophie.», in PAP, p. 15.

17. Valéry dans ses Cahiers, Musil dans ses Journaux, Wittgenstein dans les réflexions publiées sous le titre Remarques mêlées. Kraus et Lichtenberg, par exemple, qui ont la faveur de Bouveresse, avaient aussi celle de Wittgenstein. Carnap bénéficie des suffrages de Bouveresse et de Musil, etc.

18. PA, cit., p. 18

19. Voir également WSU, cit. Bouveresse y évoquait entre autres ce que suggérait à Musil l'application d'un type historique de pensée au présent, ainsi que son aggravation par «une conception "héroïque" de l'histoire des idées comme constituée par une série de révolutions ou de ruptures plus ou moins spectaculaires qui, en principe, interdisent toute espèce de retour à des solutions ou à des problèmes antérieurs» [p. 19]. Est-il besoin de le dire, la conception, également «héroïque», qui se prononce en faveur de quelque «fin» que ce soit, le commencement étant attribué à un geste philosophique fondateur, la «fin» présumée ayant été reçue comme une révélation par un penseur qui en aurait exceptionnellement saisi l'accomplissement, cette conception ne participe pas d'une logique très différente.

20. PAP, cit.

21. Minuit, 1971. Bouveresse y parlait de Wittgenstein, de Carnap, de Chomsky, et plus généralement de problèmes qui étaient alors au centre des discussions sur le langage et la connaissance de son fonctionnement. Musil, Valéry, Kraus n'y occupaient évidemment pas le premier rang, mais ils y trouvaient tout de même une place, et Bouveresse remarquait, en rapprochant Kraus de Wittgenstein, que les lectures favorites de ce dernier n'étaient pas spécialement orientées vers les philosophes, mais plutôt vers des auteurs appartenant plutôt à un autre horizon [p. 18].

22. Ibid., p. 10.

23. Ibid., pp. 12 et 15.

24. Il n'est pas interdit de penser que le renouveau de la philosophie morale que l'on célèbre aujourd'hui y a sa part. Sans compter ce que présente d'attrayant l'image d'un auteur qui aurait vécu d'authentiques déchirements éthiques dans lesquels on voudrait voir la clé de sa philosophie.

25. K. Kraus, Dits et contredits, trad. franç., R. Lewinter, Champ Libre, Paris, 1975, p. 179.

26. P. Valéry, cité par Bouveresse en exergue de PAP.

27. A. Badiou, Conditions, Le Seuil, Paris, 1992.

28. Ibid., p. 64.

29. Ibid., p. 61.

30. Ibid.

31. Extrait de la préface que F. Wahl consacre au livre de Badiou sous le titre: «Le soustractif». Je souligne.

32. Conditions, cit., p. 64.

33. R. Musil, Journaux, trad. franç., P. Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1981, II, p. 421. Dans des cas de ce genre, il est vrai que la situation est toujours passablement compliquée, ou plus précisément ambiguë, car s'il est question de l'Histoire, c'est toujours à travers ce que l'on entend établir à propos de la Métaphysique, ou de la Philosophie, mais exactement comme si, de toutes façons, l'Histoire ou la Culture tout entière était concernée par le diagnostic énoncé, en raison des répercussions que cela laisse pressentir, le caractère central attribué à ce qui se joue sur la scène philosophique étant implicitement tenu pour allant de soi.

34. R. Musil, HSQ, I, p. 304.

35. R. Rorty, Science et solidarité, cit., p. 11.

36. PA, cit., p. 159.

37. Ibid., p. 150.

38. PAP, cit.

39. Voir PA, ainsi que WSU, cit., où Bouveresse déclarait, p. 9 : «C'est un fait qu'une grande partie de la littérature philosophique publiée en France depuis les années soixante m'a semblé tout simplement illisible, et que son intérêt m'a paru, dans de nombreux cas, être de nature documentaire ou sociologique plutôt que philosophique à proprement parler.»

40. L'étude publiée en 1978 dans L'Arc, sous le titre «La science sourit dans sa barbe», indiquait avec une parfaite clarté la place qui était celle de Musil aux yeux de Bouveresse.

41. C'est à juste titre que les affinités existant entre le personnage de Musil: Ulrich, et le Monsieur Teste de Valéry, investi des obsessions et des pensées qui composent les Cahiers, ont retenu l'attention des commentateurs. Voir, par ex., le livre de Gerhart Baumann: Robert Musil, ein Entwurf, Francke Verlag, Berne et Munich, 1981.

42. Elias Canetti et d'autres ont évoqué ce que Kraus et son journal Die Fackel ont représenté pour beaucoup dans le contexte viennois. Voir Histoire d'une vie: Le Flambeau dans l'oreille, trad. franç., M.-F. Demet, Paris, Albin Michel, 1982. Sur les rapports de Musil avec le Cercle de Vienne, on dispose d'éléments limités. En Allemagne, Musil fréquenta toutefois un certain temps la maison et l'entourage de Ludwig von Mises, qui était alors apparenté au Cercle.

43. Cette singularité peut partiellement s'expliquer à la lumière de particularités biographiques. Musil n'était pas viennois; sa jeunesse ne fut pas celle des écrivains viennois célèbres; il fut d'abord ingénieur, apprit dans un collège militaire, vécut en Allemagne, etc.

44. Wittgenstein vénérait Kraus; Musil ne l'appréciait pas. Plus précisément, il appartenait pour lui au decorum cacanien, à ses ambivalences, voire à ses «équivalences» caractéristiques. Un exemple de ce qu'écrivait Musil dans la période 1920-1926: «Kraus est le personnage du rédempteur; dès lors que Kraus existe et fulmine, tout s'arrange. La mauvaise conscience objectivée. Bien entendu, ce mécanisme est fâcheux. L'anti-bellicisme de Kraus est aussi stérile, moralement, que l'enthousiasme guerrier.» Ou encore, toujours dans les Journaux : «Il y a deux choses contre lesquelles on ne peut lutter, parce qu'elles sont trop longues, trop grosses et sans queue ni tête: Karl Kraus et la psychanalyse.» [II, respectivement p. 129 et 369 de la trad. franç.]

45. Sans entrer à cet égard dans les raisons de cet état de choses, on peut tenir pour significative la différence d'attitude de Wittgenstein et de Musil à l'égard de Spengler. Voir Musil, «Geist und Erfahrung: Anmerkungen für Leser welche der Untergang des Abenlandes entrönnen sind» [mars 1921], in Prosa und Stücke, Essays und Reden, Rowohlt Verlag, 1978, p. 1042 ; trad. franç., Essais, op. cit.

46. PA, cit., p. 15.

47. Bouveresse y a très précisément tenté d'identifier la nature exacte des lectures de Musil sur des questions aussi précises que l'application des probabilités à l'étude des phénomènes moraux, sociaux et politiques. Les Journaux de Musil témoignent de l'étendue de ses intérêts scientifiques. Ils ne permettent pas toujours, cependant, de s'en faire une idée extrêmement précise.

48. Cf. Journaux, II, p. 452 où Musil évoque son échec à l'Académie allemande, «sous le prétexte bouffon que je suis trop intelligent pour faire un véritable écrivain», et p. 660, où il note son «point de vue instinctif»: «Etre un écrivain qui n'en est pas un. –> Jusqu'ici, je n'ai pu me défaire de cet effroi <–».

49. Kevin Mulligan rapproche justement Musil de Wittgenstein, en faisant remarquer que «comme Wittgenstein, Musil conçoit la réussite d'un tel changement de perspective comme l'aboutissement d'un type d'écriture qui se caractérise par l'inséparabilité du plan de l'expression et de celui du contenu.» Il évoque également, à ce titre, la notion de signification secondaire chez Wittgenstein. Voir K. Mulligan, «Préface» de Wittgenstein analysé, Nîmes, J. Chambon, 1993.

50. Voir, entre autres, «Une différence sans distinction», in Philosophie: La philosophie continentale vue par la philosophie analytique, 35, été 1992. Dans le même volume, Putnam, interrogé par Joëlle Proust, suggère: «Si vous dites que la philosophie est faite d'arguments, y a-t-il une seule façon d'argumenter? [...] Si la philosophie est faite d'arguments, pourquoi considère-t-on Wittgenstein comme un philosophe analytique?». On est, il est vrai, tenté d'ajouter que ce n'est pas exactement ce qui intéresse Putnam chez Wittgenstein.

51. Ibid., p. 81.

52. PAP, cit.

53. Cf. Journaux II, cahier 33, trad. franç., p. 461.

54. R. Musil, Journaux I, cit., p. 440.

55. Ibid. II, p. 56.

56. HP, cit., p. 289.

57. R. Musil, «Über den Essay» [Ohne Titel – etwa 1914?], in Prosa und Stücke, op. cit., p. 1334; trad. franç. de P. Jaccottet in Essais, Paris, Le Seuil.

58. Cf. HP, op. cit., le chap. VI: «Pourquoi ne fait-on pas l'Histoire et peut-on la faire?», à partir de la p. 248, où Bouveresse expose les six principes fondamentaux auxquels peuvent être ramenés les éléments d'explication fournis par Musil pour déterminer la nature des obstacles qui empêchent de «faire» l'histoire.

59. Sur la portée morale et politique présumée de la déconstruction derridienne, par exemple, on peut toutefois lire les réflexions de Simon Critchley: «Deconstruction and Pragmatism – Is Derrida a Private Ironist or a Public Liberal», in European Journal of Philosophy, vol. 2, n° 1, April 1994.

60. N. Goodman et C. Elgin, «Pour changer de sujet», in Esthétique et connaissance, trad. franç. R. Pouivet, Combas, L'Eclat, 1990, p. 91.

61. Minuit, Paris, 1984

62. WSU, passage non publié dans la version anglaise.

63. PS, cit., p. 27.

64. «Une différence sans distinction», in Philosophie, 35, cit., p. 87.

65. PS, cit., p. 37.

66.La discussion des positions de Rorty dans Le philosophe chez les autophages, ainsi que l'échange plus récent publié dans Lire Rorty , cit.: «Sur quelques conséquences indésirables du pragmatisme» et «Réponse à Jacques Bouveresse», apportent au lecteur des éléments intéressants.

67. J. Searle, Déconstruction : le langage dans tous ses états, trad. franç., L'Eclat, 1992, p. 24-25.

68. PA, cit., p. 38.

69. Ibid., p. 181

70. PS, cit., p. 38.

71. Ibid., p. 33.

72. Ibid., p. 23.

73. Ibid., p. 25.

74. Ibid., p. 20, 24 et 35.

75. Musil, qui n'aimait pas le mot «révolutionnaire», se disait volontiers «évolutionnaire» [HP, p. 288].

76. PS, p. 23.

77. Ibid., p. 23.

78. Ibid., p. 33.

79. «Une différence sans distinction», cit., p. 81.

80. WSU, cit., p. 3.

...       ...


SOMMAIRE