éditions de l'éclat, philosophie

YONA FRIEDMAN
UTOPIES RÉALISABLES


 


le schéma non paternaliste

 

Nous venons d'examiner ce qu'est une utopie et quelles sont celles que l'on peut qualifier de réalisables. Avant d'aller plus loin, je voudrais encore insister sur ce que j'appelle les utopies non paternalistes.
   Tout d'abord, voyons ce qu'est le paternalisme. Nous allons, pour ce faire, prendre l'exemple le plus typique: celui du père de famille qui veut le bien de ses enfants et pense être seul capable de savoir ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire; il prend alors les décisions qui engagent l'avenir de ses enfants. Pourtant, malgré toute sa bonne volonté, il n'est pas infaillible – il commet donc des erreurs, c'est inévitable – et certaines de ses décisions auront des conséquences fâcheuses; fâcheuses pour qui? Pour les enfants qui auront à supporter les conséquences des erreurs paternelles. Le comportement de ce père, plein de bonne volonté et qui se croit infaillible, est un comportement paternaliste. Je qualifie de paternaliste toute organisation au sein de laquelle quelqu'un est habilité à prendre des décisions pour les autres, décisions dont les conséquences, parfois catastrophiques, seront supportées uniquement par les autres et non par celui qui porte la responsabilité de la décision.
   Un médecin, par exemple, est toujours paternaliste (le paternalisme est souvent bienveillant): ce n'est pas lui qui souffrira de ses éventuelles erreurs de diagnostic ou de traitement, mais son patient.
   Non seulement les médecins, mais tous les experts sont paternalistes – par définition –, ce sont des individus qui savent mieux que les autres ce qui est bon ou n'est pas bon pour ces autres.
   Par contre, une organisation non paternaliste est une organisation au sein de laquelle ceux qui décident auront également à supporter les conséquences, quelles qu'elles soient, de leurs décisions. Ceux qui décident sont ceux qui prennent le risque; il n'y aura personne d'autre qu'eux-mêmes pour souffrir des retombées d'une éventuelle erreur de jugement dans les décisions prises.
   Une démocratie parlementaire ou un despotisme éclairé, par exemple, sont des organisations paternalistes; une démocratie directe suit le schéma non paternaliste. Voyons maintenant comment peut être réalisée une utopie non paternaliste.
   La clé du schéma non paternaliste sera, bien entendu, celle de l'information préalable, qui doit répondre aux impératifs suivants:
   1. Apprendre à connaître les alternatives possibles qui permettent à Monsieur X de choisir parmi celles-ci la solution qui semble lui convenir le mieux (autrement dit établir un répertoire de toutes les solutions possibles).
   2. Monsieur X devra connaître toutes les conséquences possibles qui peuvent découler de sa décision d'adopter une solution quelconque du répertoire (autrement dit, il s'agit d'établir l'avertissement quant aux retombées de toute décision, sur celui qui a décidé).
   3. Il faut aussi connaître les règles particulières qui relèvent du contexte dans lequel la décision de Monsieur X va être appliquée (autrement dit, connaître l'infrastructure extérieure existante).
   4. Il faut encore savoir calculer les conséquences entraînées par la décision de Monsieur X, sur les autres, ceux qui cohabitent avec lui à l'intérieur du même contexte (autrement dit, établir un avertissement quant aux retombées de la décision d'un individu sur les autres, retombées qui intéressent toute la collectivité).
   Le petit croquis qui suit expliquera le schéma non paternaliste.

 

Notre définition du non-paternalisme montre combien il est nécessaire que ces informations soient mises à la portée de chaque membre, quel qu'il soit, d'une collectivité. Pour être compréhensibles par tous, les quatre groupes d'informations énumérés plus haut doivent être décrits et énoncés dans un langage suffisamment simple pour être accessible à chacun des membres de la collectivité.
   C'est le but que nous rechercherons dans le chapitre suivant.


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