ANNEXES
1. SUR LA « GRÈVE CIVILE »
La crise sociale actuelle est due (en grande partie), à l'incapacité de l'État (de tous les États) à s'adapter à ses nouvelles dimensions, (le nombre des citoyens), lorsque celles-ci dépassent certaines limites critiques. (Voir sur ce sujet mon livre Comment vivre entre les autres sans être chef et sans être esclave, éd. J.-J. Pauvert).
Les problèmes que je vais aborder concernent surtout les États de grandes dimensions, et sont beaucoup moins graves dans les petits États, isolés du reste du monde; mais n'oublions pas que tous les États ont appartenu à cette dernière catégorie il n'y a pas si longtemps!
L'État moderne est un mécanisme du type mafia (je n'utilise pas le mot dans un sens péjoratif). Ce type d'organisation utilise la menace d'une pression, menace qui n'est pas exécutée si l'on accepte de payer un impôt à l'organisation. Une mafia vend donc quelque chose de négatif, une sorte de non-produit: elle est payée pour ne pas faire quelque chose.
En même temps, une mafia vous défend contre les autres mafias, car on ne peut pas tondre un mouton deux fois dans la même semaine.
La faiblesse de ces organisations commence à se manifester quand elles ne peuvent plus tenir leurs promesses (donc défendre leur client contre les autres organisations de pression), et nous pourrons dire qu'une organisation de ce type devient faible dès qu'elle perd sa crédibilité. D'autre part, si une organisation mafieuse perd sa crédibilité, celle des autres organisations semblables va augmenter.
L'un des modes d'action les plus efficaces pour augmenter la crédibilité d'une organisation et pour faire baisser celle des autres est la grève: par exemple, la grève d'un service public peut nous démontrer ce qui arrive quand ce service cesse de vous protéger. Cette pression, dont vous supportez les conséquences, n'est pourtant pas tournée contre vous: elle est destinée, en tant qu'avertissement, à une autre organisation mafieuse et vous n'êtes que la victime d'un règlement de comptes.
Le problème qui se pose alors au citoyen est de trouver un moyen de se défendre lui-même contre les mafias. Existe-t-il une sorte de grève civile qui lui permette de faire pression sur ces organisations?
Prenons un exemple. Dans notre pays, il existe un service des postes. Les travailleurs de ce service sont des employés du gouvernement (c'est-à-dire de l'État «anonyme»). Dans les circonstances normales, ce service garantit à chaque citoyen (c'est-à-dire à l'État réel) la possibilité d'envoyer ses lettres qui seront acheminées par la poste, et de recevoir toute lettre qui lui est envoyée.
Les employés (réels), qui assurent ce service, peuvent vouloir, pour des raisons parfaitement justifiables, exercer une pression sur leur employeur direct, sur l'État anonyme. Ils cessent donc le travail; mais c'est l'État réel (le citoyen) qui en subit les conséquences: il ne recevra pas son courier. Quant à l'État anonyme (le gouvernement), ces conséquences ne le concernent pas directement, il lui est très facile d'être ferme.
Être ferme, c'est très important pour l'État anonyme (le gouvernement), puisque ça signifie qu'il est capable de résister à la pression (surtout quand cette pression s'exerce sur les autres), afin de maintenir sa propre crédibilité de pression. C'est d'autant plus facile que, dans la situation actuelle, l'État réel, le citoyen, ne dispose d'aucun moyen de pression sur l'État anonyme (gouvernement).
Imaginons maintenant, qu'un beau jour, le citoyen réel de l'État réel, se lasse du combat des mafias sur son dos. Imaginons qu'un beau jour, ce citoyen réel commence, lui aussi, sa grève: à son tour, il arrête de travailler. C'est alors l'escalade qui peut mener à l'écroulement de la société.
Comment prévenir cette grève civile sauvage?
Il suffirait de la légaliser.
Je m'explique. Examinons tout d'abord la situation: partout les gouvernements perdent leur crédibilité de pression. Rétablir la confiance dans les États suivant les conditions anciennes n'est plus possible. La communication entre les dirigeants et les dirigés est définitivement rompue: les dirigés ne suivent plus les instructions des dirigeants. Quant à ces derniers, par quel miracle pourraient-ils connaître les désirs des citoyens réels (et non pas des citoyens inventés par les statisticiens)?
Dans cette société où les dirigeants ne peuvent plus diriger, la seule solution paraît être de rendre l'initiative à l'État réel, au citoyen, en lui donnant les moyens constitutionnels de faire jouer l'autorégulation sociale.
À mon avis, il y aurait trois amendements à apporter à la Constitution pour parvenir à cette fin:
1. Admettre l'initiative d'en bas pour les consultations populaires (référendum) pour toute proposition qui serait soutenue (par exemple) par au moins deux millions de signatures (ce chiffre représente environ 8 % du corps électoral);
2. Le droit à la sécession devrait être admis pour toute communauté géographiquement définissable et dont le nombre dépasserait une limite inférieure convenue (par exemple, deux millions de citoyens); ces communautés obtiendraient l'indépendance politique, tout en entrant dans un cadre d'État fédéraliste;