l'éclat

 

Marsile Ficin

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Le présent est peuplé d'échos du passé…

À la National Gallery, les anges jouent à cache-cache derrière le trône de la petite Madone boulotte de Masaccio. Ils apparaissent, puis disparaissent. La perspective est moqueuse.

Tandis que Ficin naissait, le 19 octobre 1433, sous le signe mélancolique de Saturne, le peintre Uccello*, possédé par Perspective, se cloîtrait dans son atelier pendant des jours et des nuits. Sa femme, furieuse, pensait qu'il avait pris Perspective comme maîtresse – que Perspectiva était l'une de ces filles que l'on aperçoit au fin fond de la route du Sud, la poitrine découverte, même par les plus froids matins d'hiver, accrochant les clients.

Dame Perspective lui ouvrait l'horizon.

Elle faisait des trous dans les murs.

Elle donnait au monde d'Uccello une nouvelle perspective.

Le maître de Florence, Cosme de Médicis, accueillit la nouveauté à bras ouverts… Sa Cité s'enorgueillit de sa modernité.

En 1439, l'Empereur byzantin Jean VIII Paléologue et un jeune disciple âgé de huit ans, Ghémiste Pléthon, arrivèrent d'une Constantinople aux abois pour demander du renfort contre les Arabes musulmans, et engager le débat sur le schisme entre les Églises d'Occident et d'Orient. Pléthon fit preuve d'une maîtrise prodigieuse à l'occasion d'une conférence sur Aristote. Le public écoutait, captivé. Mais sa deuxième conférence sur Platon et Plotin le néoplatonicien fut moins bien accueillie. Platon était considéré comme un fomenteur de démons – et le public ne connaissait de lui qu'un fragment du Timée. Tout le reste, pour eux, c'était du Grec. La philosophie platonicienne percutait de plein fouet la scolastique aristotélicienne, comme un météore dans un iceberg, foudroyant le Dieu de la Justice chrétienne, avec Saturne et Jupiter, Junon, Vénus et Mercure le messager. Est-ce que tout cela pouvait être excusé par le fait que le biographe de Plotin, Porphyre, le décrivait comme un homme humble et tendre? Ces deux-là étaient sans aucun doute de belles canailles.

Mais Cosme voyait les choses autrement. En 1453, un an après la naissance de Léonard à Vinci, il eut une idée lumineuse –. Il créerait une Académie platonicienne. Mais qui allait la diriger? Quelques années plus tard, le problème était résolu après sa rencontre avec Marsile, le jeune fils de son médecin. Marsile avait reçu une éducation aristotélicienne et connaissait un peu de Grec. Cosme l'encouragea à se perfectionner dans la connaissance de la langue, et lui demanda de traduire les textes hermétiques, l'élevant ainsi au rang de maître de sa nouvelle Académie.

Cette décision ouvrit une porte dans le labyrinthe.

Platon – avait-il découvert – permettait une nouvelle vision de la vie – une Renaissance.

Dans les années 1430, un garçon de 14 ans pouvait être brûlé vif pour un acte de sodomie. Cela n'arriverait plus désormais à Florence. Le Platonisme confirmait qu'il était normal et juste d'aimer quelqu'un de son propre sexe. Une manière plus pragmatique d'envisager la sexualité que la liste officielle des interdits de l'Église. Le monde moderne accueillait le message à bras ouverts, et Botticelli, Potormo, Rosso, Michel-Ange et Léonard sortirent de l'ombre.

Je sais que tout cela est loin de la lumière et de la couleur… mais l'est-ce vraiment?iLéonard fit le premier pas dans la lumière, et Newton, célibataire notoire, lui emboîta le pas avec son Optique. Dans notre siècle, Ludwig Wittgenstein a écrit ses Remarques sur les couleurs. La couleur semble avoir un sacré penchant gay!

En cette année de droit chrétien 1993, tous mes amis vivent en régime de droit civil restreint.

Nous devrions nous souvenir de la traduction que fit Ficin de Platon, dans son plus bel italien, «de jeunes hommes instruits par de vieux maîtres au contact amoureux», bien que Porphyre démente que Platon ait eu des rapports charnels avec ses disciples. Il s'agissait d'un amour entre âmes sœurs. Laurent, petit-fils bisexuel de Cosme, allait se charger, dans sa propre demeure, de l'instruction du jeune Michel-Ange, alors âgé de 15 ans.

Ficin s'installa dans le bâtiment de la nouvelle Académie et sans plus attendre en décora les murs de fresques représentant les dieux antiques et les anciens philosophes. Ce geste (Ficin leur adressait des prières) fit tache d'huile et l'on peut trouver déjà à la fin du siècle des peintres imprégnés par ce nouvel enseignement classique, Botticelli et sa Vénus, Mantegna et son Triomphe de César.

Laurent avait un double penchant, mais bon nombre de ses élèves n'avaient d'yeux que pour les autres hommes. La cour embrassait la moralité sexuelle du Banquet. L'Église réagit, mais claqua la porte un peu tard, lors du concile de Trente, qui aboutit à la Contre-réforme en 1548. À cette époque, la chapelle Sixtine, hymne homo-érotique, avait conquis la Papauté.

Ficin, le premier ‘thérapeute':

Je vous encourage tous à vous inspirer de Vénus – et tandis que nous nous promenons au milieu de toute cette verdure, demandons-nous pourquoi la vision du vert nous apaise plus que tout autre et pourquoi elle nous réjouit autant. Le vert est l'étape médiane de la coloration, c'est aussi la plus tempérée…

(Ficin, Le Livre de la Vie)

Telles sont les lois qui prolongent la vie.

Tout ce qu'il écrit est sous le signe des dieux antiques, et particulièrement de son Saturne mélancolique, dont la bile noire apporte la tristesse.

…Si quelqu'un se purge les yeux de cette lumière [la lumière de Dieu], il ressent soudain sa splendeur l'envahir, brillance magnifique des couleurs et des formes des choses, comme dit le divin Platon, une vérité divine coule dans l'esprit et éclaire joyeusement toutes les choses qui y sont contenues…

Il y a trois couleurs singulières et universelles; le vert, l'or, le bleu saphir – et elles sont consacrées aux trois Grâces.

Le vert, bien sûr, est pour Vénus; et la lune, dispensatrice de rosée, convient aux choses humides… elle est donc appropriée pour tout ce qui concerne la naissance, et particulièrement pour les mères. On ne doutera pas de l'attribution de l'or au soleil, qui n'est étranger ni à Vénus ni à Flora.

Mais nous dédions la couleur bleu saphir à Jupiter, de qui l'on dit que le précieux minerai lui-même lui a été consacré – c'est pourquoi les lapis-lazuli portent sa couleur, à cause de son pouvoir bénéfique contre la bile noire. Il a un statut particulier auprès des docteurs et il est né en même temps que l'or, marqué de signes d'or. C'est donc le compagnon de l'or au même titre que Jupiter est le compagnon du Soleil. La pierre d'outremer possède un pouvoir similaire, qui porte la même couleur avec un peu de vert.

Il n'est pas surprenant que Ficin n'ait pas eu les faveurs de la hiérarchie ecclésiastique. Jupiter s'empare de la pèlerine bleue de la Reine du Ciel, et Vénus subtilise le vert de l'Eucharistie.

Les Chrétiens restaient bouche-bée, face aux couleurs dérobées sous leurs yeux, tandis que les néoplatoniciens sortaient de l'ombre. En un rien de temps, la vieille scolastique poussiéreuse devenait obsolète.

Ficin a écrit son De vita dans un pré, par un beau jour d'été plein de soleil, al fresco, et non pas enfermé dans une cellule. C'était un mélancolique, mais sa conversation était pleine de rires et de bonne humeur. Il mourut en 1499, et ses livres allaient bientôt être oubliés, mais leur influence sur l'histoire des idées est considérable.