l'éclat |
Introduction |
Arlequin
Je dédie mon livre à Arlequin, saltimbanque en hardes, haillons, guenilles et lambeaux, rapiécés de rouge, de bleu et de vert. Agile coquin, masqué de noir. Caméléon qui prend toutes les couleurs. Acrobate aérien, aux culbutes bondissantes, dansantes et tournantes. Enfant du chaos.
Tout en teintes et rusé Changeant de peau Riant derrière ses mains Prince des tricheurs et voleurs Bouffée d'air frais.
Docteur : Et comment êtes-vous parvenu à atteindre la lune? Arlequin : Eh bien ça s'est passé comme ça (Louis Duchartre, La Comédie italienne)
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Blotti dans l'excédent d'or au pied d'un arc-en-ciel, je rêve de couleur. Le Bleu International du peintre Yves Klein. Blues et chanson lointaine. Je sais que l'il, selon la description qu'en donne Leon Battista Alberti, architecte du quinzième siècle, «est plus rapide que tout». Couleur véloce. Couleur fugitive. C'est ce qu'il écrit dans son traité De la peinture, achevé le vendredi 26 août 1435, à 8 heures 45. Puis il s'est pris un long week-end
(Leon Battista Alberti, De la Peinture) Lorsque Mark, mon éditeur, est venu me rejoindre à Prospect Cottage*, nous avons parlé de la couleur. Des bleus et des rouges. De la manière dont cette recherche qui a commencée l'année dernière pour le «Concert Bleu», m'a projeté en plein cur du spectre. Un concert dont Simon Turner donne en ce moment même une représentation devant le Temple d'Or, à Kyôto. Mark est parti maintenant. Je suis assis dans le silence de ma nouvelle chambre, d'où je peux observer la centrale électrique dans le crépuscule:
«Au point où nous en sommes, nous devrions aborder le sujet de la lumière et des couleurs. Il est évident que les couleurs varient suivant la lumière, puisque toute couleur apparaît de manière différente selon qu'elle se trouve à l'ombre ou à la portée de rayons lumineux. L'ombre ternit la couleur et la lumière la rend claire et brillante. La couleur est absorbée par l'obscurité.» La nuit, je rêve de couleur. Je rêve d'un «Festival de Glastonbury». Des milliers de personnes campent autour d'une maison traditionnelle d'un blanc pur, isolée sur une pelouse parfaitement verte. Au-dessus de la porte d'entrée, la frise du tympan est peinte avec des couleurs pastel pures et elle décrit les bonnes uvres de son propriétaire. À qui appartient cette maison? L'un des joyeux convives me répond: «C'est la maison de Salvador Dali.» Enfant, j'ai pris conscience de la couleur et de ses changements en peinturlurant un préfabriqué rouillé de la Royal Air Force. Mon père avait installé un canot pneumatique jaune vif sur le gazon, il l'avait rempli avec le tuyau d'arrosage et lorsque nous avions fini de travailler, nous allions nager dans l'eau dorée. Depuis cette époque, j'ai toujours associé l'eau à la couleur jaune et, lorsque j'étais adolescent, j'éprouvais même des difficultés à peindre les reflets. Puis les «Modernes» sont arrivés avant que j'aie le temps d'entrer à la «Slade*». «Je rejette l'esprit et l'intuition, comme non nécessaires. Le 19 février 1914, lors d'une conférence, j'ai rejeté la raison.» Ou encore ce conseil avisé
«Seuls les artistes faibles et impotents dissimulent leur art sous la sincérité. En art, il faut de la vérité, non de la sincérité.» Puisse mon encre Waterman noire répandre la vérité. Chimie et noms romantiques violet de manganèse, bleu de cruleum, outremer. Lieux lointains jaune de Naples. Géographie des couleurs bleu d'Anvers, terre de Sienne naturelle. Couleur s'étendant jusqu'aux planètes lointaines violet de Mars. Ou bien d'après les noms des anciens maîtres brun Van Dyck. Contradictoire Noir de lampe* pour «Noir de fumée». Héraclite* dit: «En vérité, les yeux sont des témoins plus fidèles que les oreilles», bien qu'il ne soit pas fait mention de couleur dans les fragments qui nous restent de son uvre. A l'école, quand je ne jouais pas les Impressionnistes ou les Post-impressionnistes (copiant les floraisons de Van Gogh, et gagnant ainsi les bonnes grâces de Mme Smith, la matrone du lieu, à qui je remettais ma copie tremblante), j'essayais de rendre des couleurs qui se repoussaient les unes les autres
En arrière-plan, des images noires et blanches vacillaient à la télévision. J'ai échappé à cela à travers le cinéma où la couleur est meilleure que dans la réalité. En art, les gens ne sont pas des gens, Toute couleur sent l'essence de térébenthine et l'huile de lin riche, pressée après la récolte dans les linières bleu pâle. Couleur locale des champs colorés. La batte de cricket, trempée avec le pinceau. La mort qui rôde autour du pinceau soie de porc, écureuil et zibeline, et la toile préparée avec une colle à base de peau de lapin. J'apprenais la couleur, mais ne la comprenais pas. Je collectionnais les petites pastilles d'aquarelle, poisseuses dans leur emballage argenté, mais sans jamais les ouvrir. Laque de garance. Noir d'ivoire. Bleu Windsor. Nouvelles gomme-résines. Je travaillais à la découverte des peintures à l'huile. Voyages à Londres, pour les vacances, chez Brodie & Middleton, les marchands de couleur de Covent Garden, fabricants de peinture à l'huile en pot bon marché. Le «vert Brunswick», ma référence préférée. Le vermillon, «very expensive, my dear friends, very expensive*» ces rouges-là. Eh oui, les rouges nous coûtent très cher. Les couleurs de mes tableaux étaient déterminées par leur prix. Sur une palette en verre je mélangeais des couleurs qui allaient au-delà de Windsor et d'Isaac Newton des couleurs innommables
Et d'autres, que nous nommions nous-mêmes
vert caca d'oie ou vomi. Qu'est-ce que la couleur pure? Si je dis d'un morceau de papier qu'il est d'un blanc pur, et que, placé à côté de la neige, il paraît gris, je n'en continue pas moins à le nommer blanc, et non gris clair*. Où est le vrai rouge dans le rouge? La couleur primaire initiale à laquelle tous les autres rouges aspirent? Les rêveries adolescentes se cantonnaient aux tubes de peinture Georgian pour étudiants (les tubes pour artistes étaient au-dessus de nos moyens). J'ai quitté l'université et suis allé jusqu'en Grèce en stop. Îles blanches, murs badigeonnés de bleu, phalloï de marbre blanc à Délos, bleuets, fragrance du thym. Je suis rentré à Londres à l'arrière d'un camion, et j'ai commencé à étudier la peinture à la Slade, alors que les feuilles brunissaient sur les platanes et qu'une brume légère voilait les églises noires de suie. Dans les années soixante, les garçons ont commencé à se laver entre les jambes. Vous souvenez-vous de ces pubs pour Body Odour? Avec les garçons, Londres se débarrassait de sa patine de suie dix-neuvième siècle. À la même époque, grâce à Monsieur Lucas, les tableaux de la National Gallery étaient libérés de la patine séculaire qui les recouvrait. D'aucuns prétendent qu'en fait, il les repeignait lui-même entièrement. Lorsqu'il ne retapait pas un Sodoma*, il nous enseignait comment moudre les pigments ou comment apprêter une toile. Voyage jusqu'à Cornelissen dans Great Queen Street. La boutique n'a pas changé depuis deux cents ans, avec ses bocaux de pigments scintillants comme des bijoux dans la demie pénombre. C'est là que j'achetais les couleurs pour créer mes propres nuances. Violet et bleu de manganèse. Bleu outremer, violet et le plus éclatant des verts permanents. Ces couleurs étaient accompagnées d'un logo de mise en garde un crâne et des tibias croisés, écarlates et noirs, avec écrit: danger ne pas inhaler. Mon premier jour à la Slade
je me suis perdu dans les couloirs au petit matin, seul, attendant nerveusement le cours de nu dans l'immense salle de dessin, quand soudain une femme joviale, entre deux âges, avec des cheveux au henné tape-à-l'il et un kimono à fleurs, est sortie de derrière un paravent. Je ne l'avais pas vue en entrant. Je la regardais fixement, les yeux écarquillés, tandis qu'elle se débarrassait promptement de ses fleurs et se tenait devant moi complètement nue non pas pudiquement à la manière de la Vénus de Botticelli, comme je pouvais m'y attendre, mais plutôt du genre Duchesse d'York'. «Tu me veux comment, chéri?» Remarquant mon silence gêné, elle ajouta: «Oh, un artiste!» et prit une pose, en m'indiquant que je devais dessiner autour d'elle avec de la craie bleue. Le visage tout rouge, la main tremblante, j'obéissais à ses ordres. J'étais encore jeune et vert, vous comprenez. Sir William Coldstream, professeur à la Slade, apparut sur la coursive supérieure qui conduisait de son bureau à la salle de nu, pour observer ce qui se passait. Assis sur mon tabouret, j'essayais de l'empêcher de voir les premières traces de fusain malhabiles. Ma vie de peintre avait commencé. La couleur de la Slade, c'était le gris. Sir William portait des costumes gris. Maurice Field, mon directeur d'études, qui avait des cheveux gris métal, portait une blouse de laborantin gris métal. Louchant derrières ses lunettes aux montures dorées, il m'avait dit: «Je ne connais rien à la couleur moderne mais nous pourrions parler de Bonnard.» Alors nous avons parlé de Bonnard. Et c'est tout juste s'il m'a dit un mot de mon travail. Maurice avait appris à Sir William à peindre lentement; et Sir William avait appris à tous les autres directeurs d'études à peindre plus lentement encore. Mais nous étions une génération pressée. Après tout, la Bombe pouvait nous tomber dessus d'un moment à l'autre. C'est pourquoi le style de la Slade, d'après modèle avec de petites zones grises et plates et des croix roses pour montrer qu'on l'avait mesuré bras tendu avec un crayon, travaillant ainsi selon les moindres règles de la peinture, n'avait que peu d'intérêt à mon sens. A l'école, j'avais laissé le post-impressionnisme de côté et, un peu à la manière d'un enfant dans une confiserie, je m'étais précipité dans le cubisme, le suprématisme, le surréalisme, le mouvement dada (qui n'était pas un «-isme»), jusqu'au tachisme et à l'action painting. Après avoir traversé la période moderne dans le grenier de ma voisine Güta, je me suis consacré au paysage britannique traditionnel, premier travail que je pouvais reconnaître comme mien. Le délice des jours d'été passés à dessiner dans les Quantocks, sur les routes de campagne qui mènent au Canal de Bristol à Kilve. Haies vert foncé et terre rouge. Mes demoiselles de tantes admiraient les résultats. Je devins plus audacieux et peignis une série d'intérieurs totalement roses, puis les abandonnai et me remis aux coloris bigarrés. Les verts arsenic combattaient allègrement avec les roses, jusqu'à ce qu'ils soient à leur tour engloutis et vaincus par le monochrome. |
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