éditions de l'éclat, philosophie

DIEGO MARCONI
LA PHILOSOPHIE DU LANGAGE AU VINGTIÈME SIÈCLE

Table du livre La philosophie du langage au vingtième siècle


 

7. Limites
de la compositionnalité

 

La valeur sémantique du tout n'est pas toujours fonction des valeurs sémantiques des parties: c'est du moins ce qu'il semble à première vue. C'est le cas des contextes énonciatifs que Frege appelle indirects, tels que (3):

(3) Copernic croyait que les orbites des planètes étaient des cercles.

(3) contient, comme son constituant, l'énoncé (4)

(4) Les orbites des planètes sont des cercles.

Or, (4) est faux (dénote le Faux); toutefois, si nous le remplaçons – dans le contexte de (3) – par un autre énoncé également faux, et donc de dénotation identique, nous n'obtenons pas nécessairement un énoncé ayant la même valeur de vérité que (3). Par exemple, en remplaçant (4) par ‘La Lune est un fromage', nous obtenons

(5) Copernic croyait que la Lune était un fromage

ce qui est faux, alors que (3) est vrai.

Ces exceptions à la compositionnalité auraient pu inciter Frege à revoir ses idées sur le sens et la dénotation des énoncés. Au contraire, il ne consent à les corriger que dans le cas particulier des contextes indirects. Dans un contexte tel que (3), un sous-énoncé tel que (4), selon Frege (1892b: 112), ne dénote pas sa dénotation habituelle (c'est-à-dire une valeur de vérité), mais dénote une pensée, et précisément la pensée qu'il exprime normalement, à savoir son sens habituel. Les mots ‘que les orbites des planètes étaient des cercles' dénotent le sens de l'énoncé (4).

Si nous admettons cela, le principe de compositionnalité est sauf, même dans le cas des contextes indirects: en effet, si, dans ces contextes, nous remplaçons un sous-énoncé par un autre de même sens (c'est-à-dire la même «dénotation indirecte»), la valeur de vérité de l'énoncé tout entier ne change pas. Le prix à payer pour sauver la compositionnalité est pourtant très élevé: les mêmes mots se trouvent avoir des dénotations différentes dans des contextes différents. En outre, le caractère nébuleux des indications de Frege à propos des conditions d'identité du sens (quand deux expressions différentes ont-elles le même sens?) rend sa proposition difficile à vérifier. On comprend donc pourquoi la recherche sémantique qui a suivi n'a pu se satisfaire de cette solution de Frege, et a cherché d'autres voies (qui n'en seront pas plus heureuses, comme nous le verrons aux §§ 15, 33).

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