éditions de l'éclat, philosophie

LUIGI PAREYSON
ONTOLOGIE DE LA LIBERTÉ


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Philosophie
de la liberté

 

1. L'abîme de la liberté et la question fondamentale. Heidegger et Schelling.


Quand parut, il y a de cela soixante-dix ans, la leçon inaugurale de Heidegger, Qu'est-ce que la Métaphysique?, on ne peut pas dire que le contexte en favorisait la compréhension. Cette leçon posait le problème du néant, mais pour les philosophies alors dominantes, l'idéalisme en Italie, le bergsonisme en France, le phénoménologie en Allemagne, le néant n'était pas un problème, tout au plus le terme d'une opposition logique. Je dois dire que lorsque je pris connaissance de ce texte dans les années trente, et malgré l'impression à vrai dire peu enthousiasmante que j'en reçus, j'étais loin de l'avoir vraiment compris. Heidegger lui-même ne fut peut-être pas tout à fait conscient de sa portée novatrice, si bien qu'il éprouva le besoin d'y revenir à plusieurs reprises. Après tant d'années, je crois qu'on peut finalement le considérer comme un pas décisif vers la réalisation de cette philosophie de la liberté qui fut le véritable programme de la philosophie moderne, de Descartes à Fichte. Ce programme, entravé par une limitation progressive du champ de la liberté dans le domaine moral et par le fait que le concept de liberté a été incomplètement débarrassé de celui de nécessité, n'a pas été réalisé et on peut même dire qu'il a échoué; mais, au terme de la philosophie moderne précisément, il s'est trouvé quelqu'un pour le relancer avec des propositions pleines de promesses: ce fut Schelling. Il faut espérer que du lien souterrain, mais très étroit, qui unit Heidegger à Schelling on puisse tirer des indications importantes à ce sujet, car on ne peut faire de la liberté un problème authentique qu'à la condition de la rapporter non pas à la nécessité, comme l'a fait de façon infructueuse la philosophie moderne, mais au néant, si opportunément évoqué par Heidegger.
Heidegger a remis au premier plan la question fondamentale: "Pourquoi l'être plutôt que le néant?", formulée pour la première fois par Leibniz qui, toutefois, pris entre la simplicité supérieure du rien et la perfection supérieure de l'existence, en reste sur le plan strictement métaphysique à l'invention du principe de raison suffisante. Mais la position de Heidegger est plus en accord avec la mentalité d'aujourd'hui, immergée dans l'expérience du nihilisme, sensible à la fascination du néant, envahie par l'angoisse de l'existence. En cela, Heidegger procède plutôt de Schelling, qui considérait que la question fondamentale était celle du "désespoir". C'est en suivant deux idées kantiennes que Schelling était parvenu à une telle conclusion: le sublime que l'on éprouve tout particulièrement en contemplant le ciel étoilé qui, comme image des espaces infinis, emplissait déjà Pascal d'effroi; et ce que Kant appelait "l'abîme de la raison", l'ivresse face à l'infini, l'étourdissement au seuil de l'éternité, le vertige au bord du gouffre qui s'ouvre lorsque l'on se représente dramatiquement en train de se poser une question inquiétante: "Tout vient de moi, mais moi d'où viens-je?".
Tout cela laissait Hegel indifférent: son identification du réel et du rationnel ne ménageait pas de place à l'abîme. L'idéalisme absolu, établi sur le concept d'être nécessaire, pilier fondamental du rationalisme métaphysique moderne, ne permet pas la moindre ouverture, ni pour le rien ni pour la liberté. Il n'est pas étonnant que Hegel ait été parfaitement indifférent à la contemplation du ciel étoilé: les astres lui semblaient une "lèpre du ciel", et les passages kantiens sur le sublime autant de "tirades" insupportables. De plus, son attention ne fut jamais attirée par l'extraordinaire passage de Kant sur "l'abîme de la raison", tout à fait insolite chez un écrivain aussi rationnel et précautionneux et, disons-le, quelquefois même sec et terne.
Face à ce rationalisme dur et compact, la perspective de Schelling et de Heidegger apparaît plus proche de l'esprit de notre époque, si attentive aux aspects obscurs et inquiétants de l'existence. Mais il faut à la fois débarrasser Schelling de toute préoccupation pour l'idée de nécessité subsistant encore chez lui, et Heidegger de l'épineux problème des rapports entre le néant, l'être et les étants; de telle manière que du premier provienne, dans sa pureté, le clair écho de la liberté et du second l'image précise et authentique du néant.
Pour retrouver l'idée de liberté dans sa pureté, il faut se référer aux catégories de la modalité qui sont, comme on le sait, au nombre de trois: possibilité, réalité, nécessité. Des trois, la plus importante est sans aucun doute la réalité. La possibilité n'est que l'ombre de la réalité qui en a été détachée et placée derrière; la nécessité est une réalité si lourde et obstinée qu'elle s'enroule autour d'elle-même et y demeure enracinée. La réalité au contraire est souple et légère, dépourvue de pressentiment antérieur comme de pesanteur intérieure, ni annoncée par le possible, ni fondée par le nécessaire. D'un côté, elle surgit, devançant toute attente et arrivant en avance, de l'autre elle n'a ni raison d'être ni poids qui l'entraîne et la fixe. Il ne suffit pas de dire de la réalité qu'elle est contingente, car cela renverrait encore à la nécessité et même à la possibilité. De la réalité comme telle on ne peut dire ni qu'elle est parce qu'elle pouvait être, ni qu'elle est parce qu'elle ne pouvait pas ne pas être. Elle est totalement gratuite et sans fondement: entièrement suspendue à la liberté qui n'est pas un fondement mais un abîme, ou alors un fondement qui se nie sans cesse comme tel.
On peut considérer la réalité en tant qu'elle est suspendue à la liberté dans sa gratuité ou dans son absence de fondement. Considérée dans sa gratuité, elle apparaît comme un surplus: don authentique provenant d'un geste de générosité, pur excédent devenu objet d'admiration. Qui la voit de cette façon se rend contemporain de la création et participe de l'émerveillement que Dieu même a éprouvé, son œuvre à peine accomplie, et que ne cesse d'éprouver l'auteur du psaume: Tu es Deus qui facis mirabilia [Tu es Dieu qui fais des miracles]. Considérée dans son absence de fondement, la réalité, en revanche, montre son côté obscur; la vie apparaît comme une condamnation qui provoque à la fois le remords d'exister et le regret de ne pas exister: mieux vaut ne pas être qu'être. Et le mh; fu`nai des tragiques et des lyriques grecs, le "mieux vaut ne pas être né" de Sophocle et de Théognis; le non nasci de Silène, le regret de Job de ne pas être passé directement du giron maternel ad tumulum, à la tombe, tout cela trouve un écho amer dans la poésie moderne et contemporaine: Pues el delito mayor/del hombre es haber nacido; Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître?; ‘T'were better Charity: To leave me in Atom's Tomb; Not to be born ist the best for man; el horror de ser y de seguir siendo. Pour ne rien dire du cri, terrible et terrifiant, qui retentit de Shakespeare à Conrad: l'Horreur, l'Horreur!, et sans oublier, en Italie, Leopardi qui, de ce thème soumis à un nihilisme total et lucide, a fait le centre de son inspiration. En soi donc, la réalité suscite en même temps surprise et horreur, angoisse et étonnement, de sorte que sa caractéristique essentielle est l'ambiguïté. L'autre face de l'être est le néant; l'ontologie est toujours accompagnée de la "méontologie" qui en est l'envers inséparable.
Qu'y a-t-il dans l'abîme de la liberté que la philosophie est appelée à explorer? Non seulement l'ambiguïté de la réalité, objet d'extase autant que d'effroi, mais aussi la duplicité de la liberté, tout à la fois positive et négative, désireuse de s'affirmer, de se confirmer et capable de se nier et de se perdre; la négation sous tous ses aspects, allant du simple non-être d'une limite première à la négativité absolue du mal, du néant agissant et actif au tourment de la souffrance; le visage ambigu de la divinité, à la fois Dieu du courroux et de la grâce, Dieu de la colère et de la croix. On se trouve en somme dans la situation dramatique de l'homme égaré dans l'ambiguïté seulement pleinement manifestée dans la pensée tragique, toute stérile opposition de l'optimisme et du pessimisme dépassée; ces termes mis sur le même plan sont liés entre eux, de sorte que l'on ne fait que rebondir de l'un à l'autre. Mais ce sont des catégories plus psychologiques qu'ontologiques, donc parfaitement insuffisantes pour interpréter la condition humaine.


2. Dostoïevski. Le lien originaire entre la liberté et le néant.


Ainsi est ouverte la voie pour rechercher le lien originaire entre la liberté et le néant. Cela semble être le problème fondamental de nos jours et pourtant il est regrettable de constater que les suggestions que nous offre à ce sujet l'histoire de la philosophie sont bien rares. Au cours des siècles, la philosophie a opposé une résistance farouche à l'examen des problèmes du mal et de la liberté ne s'inscrivant pas dans une conception désireuse de tout expliquer. La raison philosophique supporte mal ce qui échappe à sa volonté de compréhension totale et tend à négliger, à minimiser et même à oublier ou supprimer tout ce qui la dérange dans cette entreprise.
Ainsi la philosophie a voulu comprendre le mal, mais soit en raison de son caractère radicalement inexplicable, soit à cause du type de rationalité mis en œuvre, elle n'a fait que le supprimer. La philosophie a soit complètement nié le mal, comme dans les grands systèmes rationalistes, soit elle a réduit ou même quelquefois éliminé ce qui le distingue du bien, comme dans l'empirisme contemporain, ou encore elle l'a minimisé en l'interprétant comme simple privation ou manque, ou l'a intégré dans un ordre total et harmonieux en lui assignant une fonction précise suivant une dialectique qui considère même Satan comme collaborateur nécessaire de Dieu. La théodicée a fait de Dieu et du mal les termes d'un dilemme exclusif, sans comprendre qu'on ne peut les affirmer qu'ensemble. De cette façon, l'incandescence et la virulence du mal ont été perdus et on a jeté sur tout ce problème un voile d'oubli et d'insouciante négligence.
Face à la liberté considérée dans sa pureté, la philosophie a toujours montré une méfiance ouverte, voire même carrément une certaine appréhension. Il faut reconnaître que la liberté vraie et profonde provoque en l'homme un sentiment d'embarras et de peur comme l'a montré Dostoïevski avec sa perspicacité incomparable dans la Légende du grand inquisiteur, en représentant les hommes incapables de supporter le terrible poids de la liberté que le Christ a donnée à l'humanité. Le fait est que la liberté du Christ est comme celle des démons: illimitée. En plus d'être un poids insupportable, elle a semblé une circonstance extrêmement dangereuse. Cependant, soit la liberté est illimitée, soit elle n'est pas. Elle ignore toutes limites et toutes lois, si ce n'est celles qu'elle a volontairement acceptées. La contestation est la première forme de son exercice, comme possibilité d'approbation ou de refus. Elle ne cesse pas non plus face à Dieu, revendiquant le droit de le mettre en question; et d'ailleurs ne serait pas Dieu qui lui contesterait ce droit et n'en solliciterait pas l'usage. Il veut lui-même se mettre en péril, bien conscient du risque encouru en exigeant que la réponse humaine à sa question soit absolument libre. Il se place dans la condition de pouvoir condamner la rébellion, mais seulement en ce qu'il ne l'empêche pas, puisque celle-ci est l'unique arrière-plan sur fond duquel l'obéissance puisse se distinguer et avoir de la valeur. Personne ne songera sérieusement à nier que mieux vaux le mal libre que le bien imposé: le bien imposé contient en soi sa propre négation, car le vrai bien est seulement celui que l'on fait librement, en étant capable de faire le mal; tandis que le mal librement voulu a en soi son propre correctif qui est la liberté même dont pourra un jour jaillir le bien libre. Malgré cela, un spiritualisme languissant a pu penser que la liberté possède en soi, par définition, sa propre loi au sens où, dans le cas contraire, elle ne serait pas liberté, mais licence. Cet optimisme commode, mais imprudent, pourra rassurer les naïfs, mais se montre totalement ignorant du caractère tragique de la liberté qui, consciente de pouvoir être aussi bien un principe de perdition que d'affirmation, assume la dure responsabilité de mettre en question chaque loi et de n'en adopter une que librement choisie.
La conception d'un Dieu doué d'une liberté absolument arbitraire est également objet de méfiance et de suspicion de la part de la philosophie. En témoigne le fait que dans l'histoire de la philosophie les formes d'arbitraire divin sont très rares, souvent accompagnées de l'hypothèse du malin génie. D'un Dieu arbitraire on estime qu'il faut se défendre, craignant qu'il en puisse provenir non seulement une inquiétante incertitude dans son attitude envers les hommes, mais aussi une préoccupante indistinction entre le bien et le mal. Et pour se rassurer à cet égard, la philosophie en appelle au fameux intellectualisme qui distingue en Dieu raison et volonté et subordonne celle-ci à celle-là; sans penser que la raison divine soit appartient vraiment à Dieu et, en ce cas, s'identifie avec sa volonté, soit en est véritablement distincte, et n'est alors que la raison humaine absolutisée. Que la volonté divine soit absolument arbitraire ne signifie pas qu'elle soit capricieuse ou accidentelle, comme si elle agissait au hasard ou qu'il lui "arrivait" de vouloir ceci ou cela; ce qui est le propre d'une volonté faible et incertaine et non souveraine et dominatrice, comme on pense que doit être celle de Dieu. Pour la religion, en revanche, la volonté de Dieu n'est subordonnée ni à la raison ni au hasard, et sa liberté est complètement arbitraire: la Bible ne se lasse pas de répéter que Dieu fait tout ce qu'il veut. Mais ce n'est pas pour autant que Dieu suscite plus l'anxiété et l'inquiétude que l'abandon le plus confiant qu'il a inspiré.
De cette manière, la philosophie cherche à se libérer des éléments jugés importuns pour une conscience rationnelle, en annulant la violence du mal et la véhémence de la liberté que la religion, en revanche, maintient intacts dans leur urgence obsédante et provocatrice. Pour approfondir ces problèmes d'une façon adéquate il ne reste donc qu'à tenter une interprétation philosophique du mythe tel qu'il se présente dans l'art et la religion, non pas comme une fable ou une légende à démythifier ou à traduire en langage rationnel, mais comme la manifestation de vérités inobjectivables, qui ne se révèlent qu'en se voilant, ne peuvent se dire que de cette manière, de sorte qu'il est philosophiquement important que ce soit seulement ainsi qu'elles puissent être dites. Il s'agit en somme, dans ce cas, de recourir à une herméneutique de l'expérience religieuse dont le but est aussi bien d'en clarifier la signification largement humaine que d'en tirer des sens philosophiques, c'est-à-dire universels ou largement universalisables, tels qu'ils impliquent dans un même intérêt, sinon dans un consensus, tous les hommes croyants ou non croyants.


3. La liberté comme commencement et comme choix.


Il n'y a rien alors de plus opportun que le récit biblique de la Genèse. Il en ressort que le premier acte de Dieu a été la création du monde: acte libre par excellence, absolument gratuit et arbitraire; acte de liberté et en même temps libéralité, tout à la fois concentré dans sa propre affirmation et généreusement expansif. Mais cet acte a été certainement précédé d'un acte de liberté encore plus originaire, de l'acte qui est premier dans l'absolu, celui par lequel Dieu s'est engendré lui-même. Il est vrai qu'un texte rabbinique interdit toute recherche sur ce sujet: "Tu n'as le droit de rechercher qu'après le jour où le monde a été créé." Le premier mot de la Tora est tywarb (Bereshit): "Au commencement", et la première lettre est beth, b, qui est fermée à droite, c'est-à-dire du côté où, en hébreu, on commence à lire, tandis qu'elle est ouverte à gauche, direction vers laquelle la lecture se poursuit. Ainsi doit procéder l'enquête, non pas avant mais après la création. Toutefois le même texte raconte la protestation de la lettre aleph (a) parce qu'elle n'a pas été choisie pour commencer le récit de la création bien qu'elle soit la première de l'alphabet, et la réponse de Dieu est: "Alors que je donnais les Lois sur le Sinaï, j'ai commencé par toi"; en effet, il est écrit: "Je suis Ton seigneur Dieu", le mot "Je", ykna, (anoqi) commençant par un a (aleph). Il est peut-être alors possible de conclure que même la théologie rabbinique renvoie à un événement plus originaire de la création, c'est-à-dire à l'avènement de Dieu qui dit de lui-même "Je"; et c'est justement cela le commencement absolu, l'acte premier par lequel Dieu s'engendre lui-même. La première manifestation de la liberté divine n'est donc pas la création, mais bien cet avènement de la liberté, l'acte par lequel la liberté originaire s'affirme elle-même, l'identification totale de Dieu et de la liberté, la naissance de la liberté positive qui est au fondement de la création.
La liberté est origine première, pur commencement. Elle s'engendre par soi: l'origine de la liberté est la liberté même. La liberté n'est précédée que d'elle-même. Ce qui la caractérise est l'instantanéité de son origine: elle ne suit rien qui la précède, et rien de ce qui la précède n'en explique l'avènement. Elle se présente comme une paroi raide et lisse, sans aucune aspérité. Aucune attente ne l'attire et aucun préparatif ne l'anticipe. Elle est irruption pure, imprévue et soudaine comme une explosion. C'est à ce caractère imprévu que l'on fait allusion quand on parle, comme il arrive souvent, du "néant de la liberté". Dire que la liberté commence par soi veut dire essentiellement qu'elle commence par le néant. L'instantanéité du commencement ne peut être pensée si ce n'est comme sortie d'un non-être. Mais l'expression le "néant de la liberté" est significative, car elle place la liberté en rapport avec une négativité au moment même où elle s'affirme.
Et ceci est le point le plus difficile du problème de la liberté qui consiste à comprendre comment elle peut être en même temps commencement et choix. Comme pure origine, la liberté est un commencement tel qu'il ne cesse pas de commencer; mais l'origine ainsi conçue est déjà un choix, en ce que la liberté pourrait ne pas commencer, c'est-à-dire ne pas sortir du non-être et pourrait cesser, c'est-à-dire rentrer dans le non-être dont elle est issue. Dans l'instantanéité même de l'origine est déjà contenue l'alternative: la liberté peut sortir du non-être ou y rester, elle peut s'affirmer elle-même ou retomber dans son néant. Que la liberté commence et s'affirme n'a de valeur que par rapport à la possibilité qu'elle ne commence pas ou qu'elle vienne à manquer. Son affirmation de soi tire son prix du contraste avec la possibilité de sa négation. La liberté dans l'acte même de commencer se divise et se dédouble, montrant qu'elle n'est liberté que comme choix, comme décision d'une alternative. La liberté est donc en soi double, équivoque, ambiguë et sa dissociation intrinsèque s'explique comme une opposition de deux termes: positivité et négativité, liberté positive et liberté négative, liberté qui s'affirme et se confirme et liberté qui se renie et se détruit. Unique origine de la dyade, de l'opposition, de la contradiction est la liberté, car il n'y a pas d'autre contradiction, d'autre opposition, d'autre dyade que l'alternative que constitue la liberté en elle-même, à la fois comme origine et comme choix.
Ainsi la liberté n'est pas telle sans la négation. Mais la négation comme terme du choix est chose bien différente de la négation comme non-être originaire de la liberté. C'est une simple délimitation, une frontière de non-être, un non-être inerte dont il s'agit de sortir; c'est un néant dans lequel on pourrait tomber, un néant opératoire qu'il s'agit de combattre, une négation active qui pourrait devenir victorieuse. Il s'est produit un passage de qualité, où le non-être originaire a augmenté son propre quotient de négativité, devenant une force contraire et une puissance destructrice qui est le mal. Voici l'arithmétique de la liberté: ne plus être liberté équivaut au mal. Telle est l'énergie de la liberté qu'elle transforme le néant statique et inerte en néant dynamique et actif, la vacuité du non-être en puissance du mal, une simple limite en une force anéantissante, un simple point de départ en négation dévastatrice. Il ne s'agit pas, comme on pourrait le croire, de ramener le néant et le mal à la simple négation, ce qui serait extrêmement simpliste et réducteur, mais, inversement, de voir comment, de la simple négation a pu surgir la négativité active, c'est-à-dire le mal et le néant. L'élément enrichissant c'est la liberté, qui est en même temps énergie bénéfique et créatrice et force létale et destructrice, accroissement ontologique qui enrichit la réalité et tourbillon destructeur qui traverse et dévaste l'univers, mouvement de vie neuf et lumineux, et impulsion de mort sombre et funeste.
C'est ici qu'apparaît le rapport originaire recherché entre la liberté et le néant. La limite négative de la liberté ne tarde pas à se transformer en un véritable contact avec le néant, que seule une philosophie de la liberté — et non une philosophie de l'être — est en mesure d'illustrer. Ce n'est pas l'être qui est en contact avec le néant: le contact vraiment originaire est celui entre le néant et la liberté. Où se présente le problème du néant, là est la liberté et inversement. Le contact avec le néant ne qualifie pas la seule liberté négative, mais la liberté en elle-même comme choix. La liberté ne peut être positive que si elle a connu la négation et l'a éliminée, se présentant comme victoire sur le néant et sur le mal. Dans une philosophie de l'être, en raison de l'absence d'alternative inhérente à la liberté comme choix, il n'y a que positivité, unitaire et compacte, qui ne laisse aucune place au néant et ainsi réduit le mal au non-être, manque, privation, par lesquels le néant et le mal sont trompeusement annulés. Dans une philosophie de la liberté, en revanche, le néant n'est pas périphérique et superficiel, mais central et profond: ne mérite le nom de positif que ce qui aurait pu être négatif, de bien que ce qui a risqué d'être mal. Aucun de ces termes ne subsiste sans référence à l'autre et cela non par nécessité logico-dialectique, mais grâce à l'énergie puissante et vive de la liberté qui est en mesure de les animer alternativement. C'est à cause de la liberté que jaillit et s'affirme le bien, mais c'est aussi à cause d'elle que naît et déferle le mal.
La naissance de la liberté positive est donc strictement liée au contact originaire entre liberté et néant et consiste dans l'acte absolument premier — tout à la fois origine et choix — par lequel Dieu s'engendre lui-même et se pose comme positivité originaire. Dans les ténèbres immémoriales, une lampe s'allume soudain; c'est une volonté qui veut s'affirmer et y parvient. Cela est Dieu, c'est-à-dire la liberté qui, par cet acte primordial, s'est affirmée comme pouvant se nier et devient ainsi résultat positif et victorieux sur la négation. Rien n'est aussi dramatique que l'acte par lequel Dieu s'engendre lui-même, car c'est une lutte entre sa volonté et son désir de s'affirmer, d'une part, et le néant et le mal qui menacent de triompher, d'autre part. Dans cette lutte, le mal joue sa carte suprême, de sorte que l'engendrement même de Dieu est en danger et risque d'échouer. La positivité divine naît quand le choix originaire a mis le mal en déroute et s'en est définitivement débarrassé. Ce fut une opération terrible et formidable à l'issue de laquelle l'alternative a été résolue: ou la liberté positive ou le triomphe de la négation, ou la victoire sur le mal ou la victoire du mal, ou l'existence de Dieu ou le "néant éternel". Dire "Dieu existe" n'a d'autre sens que dire "c'est le bien qui a été choisi".


4. Possibilité et réalité du mal.


Qu'est-ce d'autre que Dieu sinon la victoire sur le néant et sur le mal, la positivité originaire qui a écrasé la puissance de la négation? Mais c'est ici qu'intervient un élément bouleversant et inquiétant: le mal en Dieu. La splendide et éclatante victoire divine est comme enveloppée d'un voile de brouillard et d'obscurité. Pour être vraiment positif, Dieu a dû connaître la négation et faire l'expérience du négatif. Pour pouvoir vraiment endiguer la possibilité négative, il a dû la maintenir présente. Parce qu'il a vraiment voulu être, il a dû vaincre le négatif, le mal et le néant qui mettent son existence en danger.
Il est sans aucun doute surprenant de devoir dire que le mal est contemporain de Dieu et que c'est Dieu qui l'a institué et introduit; mais au regard de la vérité, de telles affirmations sont inévitables. Avant tout, le mal est contemporain de Dieu parce qu'il est un événement de son engendrement et un épisode de son avènement, parce qu'il naît dans cet acte intemporel où la liberté originaire ne s'affirme elle-même qu'en triomphant de l'autre terme de l'alternative, celle du néant. En outre, c'est Dieu qui a institué le mal au sens où, dans l'acte de s'engendrer lui-même, il a transformé le non-être originaire, inerte et vide, en ce néant actif qu'est le mal, et c'est donc lui qui, en un certain sens, l'a introduit dans l'univers où il n'était pas d'abord. Il est bien vrai que, dans l'engendrement divin, le mal naît déjà vaincu et est institué non pas comme réel mais seulement comme possible. Le mal a été arrêté sur le seuil de la réalité sans pouvoir y entrer et à peine a-t-il pris pied qu'il s'est aussitôt effondré dans l'inactualité. C'est comme un passé qui ne fut jamais présent et une image qui ne fut jamais réelle. Cela n'empêche pas que le mal a laissé sa trace et son empreinte en Dieu et c'est cela que nous appelons le mal en Dieu. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un aspect ténébreux de la divinité ou de son fond obscur, mais simplement d'une ombre, d'une espèce d'obscurcissement de sa splendeur. De l'alternative du mal il reste en Dieu un vestige comme une possibilité que la défaite subie a enfouie dans le passé, et rendue inerte par sa réalisation manquée: un simple indice, faible et incertain, une trace pâlie, une possibilité désormais tue et sommeillante, mais toujours pourtant une présence inquiétante. C'est comme si ce résidu inopérant pouvait encore constituer un danger, non certes de la part de Dieu qui a vaincu le mal ab aeterno, mais de la part de quelqu'autre parvenu à trouver dans le mal latent et demeuré en sommeil dans la profondeur divine une stimulation et presque une incitation à une néfaste reviviscence et à une réalisation catastrophique.
Celui qui réveille le mal, suivant le récit biblique, c'est l'homme. Dieu est l'origine du mal, mais son véritable auteur en est l'homme qui porte l'entière responsabilité de cette réalisation. L'homme n'est pas auteur de la négation mais il la ranime, la poursuit dans la réalité et s'offre à elle comme collaborateur et instrument. Et l'énergie insoupçonnée qu'il manifeste dans cette entreprise lui vient de la liberté, de cette même liberté qui, en revanche, a réalisé en Dieu le bien en défaisant le mal. La négation, née déjà vaincue par la liberté (divine), ne peut tirer une vie nouvelle et une vigueur neuve que de la liberté (humaine). Cet usage ou cet abus de la liberté révèle chez l'homme une impressionnante réserve de négativité et une extraordinaire vocation anéantissante. Le troisième chapitre de la Genèse est une désagréable et timide description de l'enchevêtrement d'ambiguïtés et d'équivoques, de mensonges et de falsifications, de subterfuges malhonnêtes et de pièges sournois intervenus dans la chute de l'homme. Que l'homme ait réveillé le mal qui sommeille en Dieu est déjà bouleversant, mais comment il a pu le faire, voilà qui est vertigineux et terrifiant, tant est profond, sombre, ténébreux et disons même insondable, l'abîme du mal.
A la chute de l'homme concourent trois éléments: la possibilité du mal caché en Dieu, l'énergie de la liberté qui, extrêmement puissante en Dieu, ne l'est pas moins en l'homme, et une charge de négativité qui prend l'allure d'une attitude blasphématoire face à la divinité. Ce qui en naît est la fameuse révolte de l'homme. Mais en quoi précisément consiste cette rébellion ? Dans la prétention de reproduire l'engendrement divin. Dans la prétention de pouvoir se placer au cœur même d'un tel engendrement, prenant la place de Dieu en se fiant à la promesse du "serpent antique": Myhlak Mtyyhv (wehiitem kelohim), eritis sicut dii [vous serez comme des dieux (Gen. 3, 5)]. Au cours de cette folle et épouvantable tentative, l'homme ne réussit pas à contrôler la négation qui s'était présentée comme une alternative au choix divin et que Dieu avait su éliminer par l'acte de la liberté positive dont est résultée son existence même. La négation échappe aux mains de l'homme et se révolte contre lui qui a osé la ranimer; et celui-ci, non seulement ne réussit pas à être Dieu mais tombe en deçà de son niveau humain, se laissant entraîner dans un destin de perdition et de mort, d'auto-destruction complète. Non seulement l'homme traduit la simple possibilité du mal inscrite en Dieu en une réalité incandescente et existentielle, mais encore il convertit la positivité divine elle-même en provocation comme si elle s'employait à défier sa liberté, à l'inciter à la révolte et à lui suggérer les voies de la transgression. C'est ainsi que dans le prolongement du colossal blasphème allemand des débuts du dix-neuvième siècle, Dostoïevski a attribué à son "saint pécheur" le rêve de renverser Dieu pour prendre sa place, et Nietzsche a déclaré Hybris ist unsere Stellung zu Gott : devant Dieu, l'attitude de l'homme est de présomption et d'arrogance.
En vertu du lien qui la lie originellement avec le néant, la liberté est en tout cas un pouvoir formidable et effrayant: en Dieu, elle est le pouvoir d'exister contre le néant et le mal après les avoir expugnés, et de se constituer comme positivité originaire, c'est-à-dire de siéger sur son trône de gloire en se servant de la terre comme marche-pied; en l'homme, elle est le pouvoir de se perdre s'il le veut et de choisir la destruction de soi et du reste, s'abîmant dans le lac de feu et de souffre et dans les ténèbres extérieures où retentissent pleurs et grincements de dents.
Le premier acte de liberté a été, en Dieu, un acte de liberté positive et en l'homme un acte de liberté négative. Une divergence immense, un déclin épouvantable et irréversible. Est-il possible d'arrêter cette sinistre décadence et d'inverser le cours des choses ? Y a-t-il moyen de remédier à cette tragédie cosmothéandrique à laquelle s'est résumée l'histoire de la liberté ? Encore une fois revient la Bible qui, aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, voit dans la souffrance l'unique remède efficace et décisif. Seule la religion réussit à donner une signification à la souffrance dans son rapport à la faute, car elle la comprend non seulement comme peine et punition, mais surtout comme expiation et comme rachat, plutôt que comme révélation du sens dernier des choses.


5. Valeur rédemptrice et révélatoire de la souffrance.


Les conceptions dialectiques des dix-huitième et dix-neuvième siècles ont exalté la puissance du négatif en y voyant le moteur de l'histoire; mais elles n'ont pas suffisamment distingué le mal véritable, la faute et le péché, de la souffrance. Le mal ne peut pas être constructif; même poussé à l'extrême il n'est pas nécessairement porté par un renversement dialectique à la positivité. Il est en soi dévastateur et ruineux: son pouvoir est grand, mais uniquement destructeur: il n'est pas le ressort du progrès, mais le chemin de la perdition. L'issue positive, en revanche, appartient à la souffrance, l'unique force supérieure à l'immense force du mal. La puissance du mal est grande, mais la puissance de la douleur l'est d'avantage. Seule la douleur est plus forte que le mal: l'unique espoir de vaincre le mal est subordonné à la douleur qui, pour laborieuse et déchirante que soit son œuvre, est l'énergie cachée du monde, la seule capable d'affronter chaque tendance destructrice et de vaincre les effets mortels du mal.
La souffrance apparaît en premier lieu comme punition: c'est le châtiment infligé à l'homme à cause de sa chute. Mais réduite à cela, elle risque d'être un accroissement de la négativité: un mal ajouté à un mal. Maintenant, dans la grandiose économie de l'uivers, il importe moins que le méchant soit puni plutôt qu'il ne parvienne à se racheter. La punition n'équilibre ni n'égalise rien; ne peut en sortir satisfaite que la stricte justice qui, sans possibilité de rachat, instaurerait son règne dans le désert de la désolation: fiat justitia, pereat mundus [que la justice soit faite, que le monde aille à sa perte]. La punition ne sort pas des limites du mal; au contraire elle peut faire que le méchant empire, l'enfermant dans la farouche obstination de l'impénitence, devenir point de départ du ressentiment, occasion de révolte, principe d'abêtissement.
Comme douleur seulement subie la punition ne fait que multiplier le mal. Mais la douleur, plus forte que le mal et qui l'emporte sur lui, est celle de l'expiation, la douleur acceptée, plutôt voulue, désirée et recherchée. Dans l'expiation, le pécheur, qui anticipe peut-être déjà la souffrance dans les sombres tourments du remords et dans les angoissantes péripéties du repentir, la désire pour racheter sa faute et payer sa dette, l'exige même comme châtiment capable d'apporter le réconfort, comme un cilice qui se transforme en soulagement. Sans cesser d'être supplice et torture, la souffrance devient alors baume et adoucissement; le pécheur, même s'il est enfermé dans la prison de la punition, a le sentiment d'en être libéré en vertu de l'expiation rédemptrice. Dans l'expiation, la souffrance la plus déchirante est capable de devenir un lieu de pure félicité. Kolja, quand il apprend que Dimitri Karamazov, bien qu'innocent, va être déporté, s'écrie: «Quel homme heureux!» Cette volonté de souffrir n'a rien à voir avec la trouble et douteuse alchimie de la voluptas dolendi ou avec le plaisir sinistre et équivoque du masochisme, mais elle est récupération de pureté originaire et ressourcement d'authenticité.
Ici intervient, avec toute son efficacité, l'algèbre de la souffrance: moins par moins égale plus. Le mal plus la souffrance n'est pas une augmentation du taux de négativité de l'univers. Il n'est ni le redoublement ni la multiplication du mal, mais son élimination. La liberté a introduit le mal dans le monde, et avec le mal la souffrance. Deux excès qui ne s'additionnent ni ne se neutralisent mutuellement, mais dont le second l'emporte sur le premier. De deux négativités est née une positivité. Par sa chute, l'homme a voulu l'engendrement divin et a misérablement échoué. Il se rend compte alors que la vraie répétition humaine de l'engendrement divin est la souffrance comme expiation et donc comme victoire sur le mal.
Mais la puissance de la douleur ne s'arrête pas là. Consciente de sa propre valeur rédemptrice la souffrance est devenue révélatoire: elle ouvre le cœur souffrant de la réalité et dévoile le secret de l'être. Elle enseigne que le destin de l'homme est l'expiation et que, étant plus forte que le mal, la douleur est le sens de la vie et l'âme de l'univers. La souffrance apparaît comme le renversement du négatif en positif, la charnière de l'histoire de la liberté, la clef pour comprendre le destin de l'homme et la réalité du monde.
D'ou vient la puissance de la douleur? Du fait que même Dieu souffre. Même la souffrance est propre à Dieu: divinum est pati. Dieu veut souffrir. À cela le prépare le reflux kénosique inhérent à la création dans lequel il s'est retiré, s'est volontairement limité et enfermé pour faire place à l'homme et à sa liberté. La liberté humaine a commencé par un sacrifice volontaire et conscient de la part de Dieu. Mais depuis que l'homme a commis la faute, la création est devenue une longue suite de souffrances: à commencer par la douleur de voir sa propre œuvre réappropriée par l'homme, de constater que le véritable désir d'entente et de collaboration de la part de l'homme est resté inassouvi et déçu, d'assister à la ruine de l'homme pourtant doué de l'inestimable prérogative de la liberté, jusqu'aux souffrances intentionnellement assumées en s'incarnant pour racheter l'homme, au point de prendre sur soi le péché, de se soumettre à la mort, de s'exposer à l'abandon de Dieu et de descendre dans l'abîme du désespoir. La racine unique du mal et de la douleur qu'est le mystère de la souffrance, dont seule la religion peut soulever le voile, réside dans cette volonté divine de souffrir pour l'homme.
La douleur est le lieu de la solidarité entre Dieu et l'homme: c'est seulement dans la souffrance qu'ils peuvent réunir leurs forces. Il est au plus haut point tragique que Dieu ne réussisse à secourir l'homme et que l'homme ne parvienne à se racheter et à s'élever vers Dieu que dans la douleur. Mais c'est précisément dans cette souffrance commune à Dieu et à l'homme que la douleur se révèle comme l'unique force capable de vaincre le mal. Ce principe est l'un des fondements de la pensée tragique: il n'y a pas collaboration entre l'homme et Dieu dans la grâce s'il n'y en a déjà eu dans la souffrance; dans la douleur, le monde apparaît énigmatique et la vie absurde; sans la douleur le mal ne peut être racheté et la joie demeure inaccessible. En vertu de cette souffrance commune, la douleur se manifeste comme le point névralgique entre divinité et humanité, comme une nouvelle copula mundi ; c'est pourquoi la souffrance va être considérée comme l'axe de rotation du négatif en positif, comme le rythme de la liberté, le pivot de l'Histoire, la pulsation du réel, le lien entre temps et éternité; en somme comme un pont lancé entre la Genèse et l'Apocalypse, entre l'engendrement divin et l'apocatastase.
La souffrance met en crise toute métaphysique objectivante et démonstrative, tout système soucieux avant tout d'une totalité harmonieuse et achevée, toute philosophie de l'être uniquement préoccupée de fondement. La souffrance seule, possède le sens de la liberté et révèle le secret de cet événement universel qui implique Dieu, l'homme et le monde dans une tragique histoire de mal et de douleur, de péché et d'expiation, de perdition et de salut.

1.[ N.d.t.] "Yahvé dit encore: "Voici une place près de moi. Tu te tiendras sur le rocher et quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher, et je t'abriterai de ma main durant mon passage. Puis j'écarterai ma main et tu me verras de dos; mais ma face on ne peut la voir!"" Ex. 33, 21-23.
2. [N.d.t.] J'ai préféré conserver ici ce néologisme plutôt que de traduire par "caractère physique" qui rend moins cursivement ce que le terme italien fisicità veut dire et que le lecteur français comprend très bien sous cette forme.
3. [N.d.t.] E. Kant, Critique de la Faculté de Juger, trad. franç, A. Philonenko, Paris, Vrin, 1968, p. 143-144.
4. [N.d.t.] Au sens d'imagination créatrice qui équivaut à la Phantasia que les Allemands opposent à l'Einbildungskraft ou imagination reproductrice.
5. [N.d.t.] L'Evhémérisme est une doctrine philosophique suivant laquelle les dieux païens seraient des personnalités humaines divinisées après leur mort.
6. [N.d.e.] Le texte original porte semel (lms), qui signifie en hébreu "symbole", mais Gen. 1, 26 utilise le mot tselem (µlx): "image". À ces deux termes, quasiment anagramatiques, on pourrait en effet associer le mot latin similitudino, comme le suggère Pareyson.
7. [N.d.t.] Le Lei italien plus formel que le "vous" français.
8. [N.d.t.] "Seul, l'être qui se meut soi-même, comme il ne fait pas défaut à soi-même, ne cesse jamais d'être mû ; mieux encore, il est source (phghv) et principe du mouvement pour tout ce qui est mû." Trad. Paul Vicaire, Les Belles Lettres.
9. [N.d.t.] "Et toutes ses propriétés lui sont venues d'une source (phghv) unique qui, sans calcul, lui fournit d'un coup sa cause et son être." Trad. E. Bréhier, Les Belles Lettres.
10. [N.d.a.] Cf. Verità e interpretazione, Mursia, Milan, 1971, 1982 3e éd., pp. 197-199.

 

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