éditions de l'éclat, philosophie

MARIO TRONTI

Nous opéraïstes

 


Mario Tronti

Nous opéraïstes

N.d.é.

«Bien que les hommes aient une tendance constante à regarder la guerre dans laquelle ils se sont engagés comme la plus importante de toutes, puis, lorsqu'elle est finie, à admirer plutôt celles d'autrefois, il suffit d'examiner les faits pour se convaincre que celle-ci a surpassé toutes les précédentes.» Thucydide I, 21.

Pour le lecteur informé de ce que fut l'histoire de l'Italie entre la fin des années 1950 et le début des années 70, ce livre se passe de sous-titres et de notes. Il peut être lu comme l'épitomé d'une histoire plus large, qui se déploie dans la masse de témoignages et de documents dont il constituait la préface, dans sa première édition italienne, et qui fut publiée aux éditions romaines, DeriveApprodi, en mai 2008 sous le titre: L'operaismo degli anni Sessanta. Da Quaderni rossi a classe operaia, a cura di Giuseppe Trotta e Fabio Milana, accompagnée d'un CD proposant la collection complète en fac-simile de la revue classe operaia, 1964-1967.
Pour celui qui, par contre, pour une raison ou pour une autre, n'a pas à l'esprit le déroulement de ces événements et les biographies de ses protagonistes, il paraîtra sans doute, sinon obscur, du moins quelque peu crypté; c'est pourquoi l'éditeur français a jugé utile de le doter, pour éclairer quelques lanternes, de courtes notices en fin de volume, appelées par des astérisques dans le texte, pour expliquer ceci et cela, dire qui était celle-ci ou celui-là, leurs rapports réciproques, leurs relations aux autres, leur implication dans tel ou tel événement, etc.
À ce lecteur désormais mieux informé s'offre alors une expérience inédite de lecture, et ce qu'il aura sous les yeux semblera, dans un premier temps, comme le 'roman' de ces années soixante italiennes, roman de formation à la première personne, «inspiré de faits réels», comme l'annonce de plus en plus souvent la production cinématographique d'un monde où il y a bien longtemps que la réalité singe la fiction. Mais cette «inspiration» ne signifie nullement que l'auteur ait pris la moindre liberté par rapport à ces faits, mais qu'il les a suivis jusqu'à la respiration de ses protagonistes, livrant ainsi au lecteur le souffle même de ce que fut cette expérience, son souffle de vie propre aussi, subjectif, distinct quelquefois dans cette inspiration collective, qui donne à ce livre une dimension inouïe dans la collection des ouvrages parus sur le sujet. Et c'est pourquoi il donne la chair de poule. Pour le passé et pour l'avenir.
Puis, dans un second temps, viendra la question que Tronti pose lui-même en ouverture: Que nous sert aujourd'hui de revenir sur cette histoire ancienne, dont les acteurs «ont été trop clairsemés», ou n'ont pas survécu au contrecoup qu'a pu constituer la sortie par le goulet étroit d'un temps, le nôtre, étonnamment pauvre au regard de ce moment intense de vie et d'amitié humaines, et dont les résultats n'ont eu cela de probant qu'ils nous ont appris dans le meilleur des cas à reconnaître nos défaites? La réponse avait déjà été donnée vingt-cinq siècles plus tôt par l'historien Thucydide, acteur de sa propre histoire: «Il me suffit que ces récits soient trouvés utiles par quiconque voudra se faire une juste idée des temps passés, et préjuger les incidents plus ou moins semblables dont le jeu des passions humaines doit amener le retour.»
Et c'est la troisième dimension du livre de Tronti, en réflexion de cette histoire racontée: ce qui doit en amener le retour. Non que l'histoire se répète, mais que des conditions différentes, suffisamment nourries d'un passé d'une extraordinaire richesse de sentiments humains et de luttes, puissent conduire à une réévaluation, dans des termes nouveaux, de ce que fut l'histoire de la classe ouvrière, qu'on avait tôt fait de reléguer aux oubliettes, sous prétexte que le projet qui s'en prétendait l'incarnation a conduit à la faillite que l'on sait. Et que cette réévaluation mène à son tour à une pratique sociale et culturelle en mesure de combattre avant que d'abattre le nouvel ancien ennemi. C'est pourquoi, nous dit Tronti, «cela, peut-être, sert-il, et peut-être même, cela intéresse-t-il» de savoir ce que furent ces nous opéraïstes, liés autant par le sens de l'amitié que par celui de l'engagement du côté d'une partie, d'une classe, dans la lutte contre un ennemi commun, d'autant que, et c'est la thèse, «la défaite ouvrière [du vingtième siècle] a été une tragédie pour la civilisation humaine» tout entière.
À ce premier essai, publié ensuite séparément par DeriveApprodi en novembre 2009, l'éditeur italien a souhaité adjoindre trois textes courts de Mario Tronti, qui permettent d'éclairer ici ou là tel ou tel détail, même si, en substance, ils ne constituent que des «variations sur le thème», et en reprennent donc les formes et souvent les expressions.

Du même auteur

La politique au crépuscule


2000

isbn 2-84162-046-8

264 pages

11x18

14 euros

collection
premier secours

Version Lyber

Nous opéraïstes. Le roman de formation des années 60 en Italie,

2013

 

 


«Opéraïsme et politique» est une conférence tenue à Londres lors d'un colloque de la revue Historical Materia­lism, sur le thème «Nouvelles directions dans la théorie marxiste», 8-10 décembre 2006.

«Pourquoi l'opéraïsme encore?» est une intervention faite à Rome, à l'université La Sapienza, en novembre 2006, à l'occasion de la réédition de Operai e capitale [«Ouvriers et capital»], toujours chez Derive­Approdi, quarante ans après la première édition. Cet ouvrage, classique, de 1966, publié chez l'éditeur turinois Einaudi, avait paru en traduction française aux Éditions Christian Bourgois en 1977. Indisponible depuis longtemps, il devrait reparaître chez l'éditeur suisse Entremonde en 2013.


«Mémoire et histoire des ouvriers» a été publié dans Classe operaia. Le identità: storia e prospettiva, Milano, Franco An­geli, 2001, qui rassemblait les actes d'un colloque tenu à Piombino l'année précédente. Il est repris ici avec la gracieuse autorisation de l'éditeur. Différemment des précédents, ce texte contient une proposition, concrète, de constitution d'un «Atlas de la mémoire» ouvrière. «Une Mnémosyne prolétaire – conclut Tronti –, qui raconte, à travers des figures et des formes, les lieux et les temps d'une présence qui a produit une histoire, même si l'histoire, à la fin, par négation, l'a supprimée. Récupérer la richesse de cette présence passée, pour sortir d'un présent pauvre.» Programme du nouveau siècle, et qu'il nous reste à mettre en œuvre.

 

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