l'éclat |
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« Marchands de bits »
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Michel Valensi Version 2.0 du 21 novembre 2008 |
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Merci à Rembrandt de nous avoir autorisé à reproduire ici son "boeuf écorché", qui est au Louvre. | ||||
« Mais c’est ta malveillance et ce sont tes actes qui me contraignent à faire cela.» Sophocle, Electre, v. 620 (cité par Carlo Michelstaedter, La persuasion et la rhétorique) |
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Depuis quelques semaines, les éditeurs sont la cible de spams émanant d’«Agrégateurs » ou « E-distributeurs agréés pour le projet SNE-BNF »[1]*. Ces spams leur rappellent l’échéance des dépôts de dossier auprès du Centre National du Livre en vue de la numérisation de leurs fonds, et ils sont accompagnés 1) d’une lettre-type, qu’il suffirait semble-t-il de remplir aux endroits laissés en blanc (nom, adresse, somme demandée, etc.) et de retourner au CNL pour obtenir la subvention, et 2) d’un devis de numérisation par lesdits Agrégateurs, lesquels se proposent d’« accompagner [les éditeurs] pour (sic) la création du dossier de demande de subvention ». «Le CNL dispose d’un budget de plusieurs centaines de milliers d’euro pour fin 2008. Ne manquez pas cette occasion!» clament encore ces spams[2]. Il convient donc de rappeler en quelques mots de quoi il s’agit. Le projet Gallica2, partenaire français du projet de Bibliothèque Numérique Européenne, oblige les éditeurs à passer par les services d’E-distributeurs agréés pour faire figurer leurs fonds numérisés sur le portail de la Bibliothèque Nationale. Cette riche idée d’un nouvel intermédiaire dans la chaîne du livre vers les bibliothèques est sortie du cerveau malin du fondateur de l’une de ces sociétés de E-distribution à qui la BNF a confié moyennant finances (publiques, bien sûr !) la rédaction d’une étude en vue de la création de la Bibliothèque numérique européenne. Dit autrement : on a demandé à Machin de dire quel était le plus court chemin du livre numérique vers la bibliothèque ; Machin a répondu et a trouvé « des gens assez simples pour le croire » : « Du livre numérique à la bibliothèque, il n’y a qu’un seul chemin : il doit passer par moi, Machin, quitte à ce qu’il y ait quelques autres sous-Machins pour noyer le poisson… ma non troppo». Ce qui suppose, dans l’esprit de Machin, qu’il n’existe plus en France de structures dont le métier consiste à vendre des livres, ou alors que les efforts que ces structures font en vue de se mettre à l’heure du numérique sont nulles et non avenues ; cela suppose également que les éditeurs ne sont pas en mesure de numériser eux-mêmes leurs fonds (ils travaillent encore sur des machines à écrire et certains utilisent la plume d’oie) ; qu’en outre, ils ne savent pas où se trouve la Bibliothèque Nationale de France, et que les quelques économies qu’ils parviennent encore à faire devront servir à payer un nouvel intermédiaire… que je ne résiste pas désormais à baptiser du nom de « marchand de bits »[3]. De plus, un organisme comme le Centre National du Livre, au fonctionnement quasi irréprochable, ou en tout cas autant que peut l’être un organisme d’Etat, dont les fonds proviennent des différentes taxes sur la photocopie et les photocopieurs et dont la mission est d’aider l’édition française en lui redistribuant le manque à gagner causé par la photocopie à grande échelle le Centre National du Livre, dis-je, consacrera désormais une partie de son budget à accorder des subventions à des éditeurs pour qu’ils les reversent intégralement à ces « marchands de bits » sans lesquels ils n’auront pas accès à Gallica2[4]. C’est tout simplement une opération de racket à grande échelle, à l’endroit d’une profession confrontée toujours plus à des situations difficiles et que la récente crise économique risque de malmener plus encore. Il est urgent de se demander alors : 1) Si le portail d’une Bibliothèque Nationale est véritablement le lieu approprié pour la vente de fichiers de livres numériques. 2) Quand bien même ce serait le cas[5], est-il raisonnable alors d’imposer aux éditeurs un nouvel intermédiaire dans la chaîne du livre, quand il existe en France des gens dont le métier consiste à vendre des livres et qui pourraient de la même manière, à travers la mise en place de sites marchands, prendre en charge la vente de ces mêmes livres sous leur forme numérique ?[6] 3) N’est-ce pas aux éditeurs eux-mêmes à gérer leurs fonds numériques et accomplir ainsi la mutation à laquelle les contraint internet ? Encourager et subventionner par ricochet pervers la sous-traitance de la numérisation des fonds des éditeurs et sa commercialisation revient, à moyen terme, à considérer l’édition une certaine édition comme une profession condamnée à disparaître, ne serait-ce qu’en réduisant les aides spécifiques à l’édition de livres ‘papier’ dans le domaine de la littérature, des sciences humaines, et des traductions. Ce n’est pas, que je sache, la vocation du Centre National du Livre, à moins de le rebaptiser le Centre National de l’e-book. Si l’on veut absolument aider l’édition à passer l’épreuve du numérique, il faut l’aider à « devenir ce qu’elle est ». Il est important que les « gens du livre » prennent conscience de ce qui se trame ici à leur insu. Les nouvelles technologies du livre numérique ne sont pas plus adaptées à la lecture que n’a pu être naguère l’escroquerie, suivie de faillites retentissantes, de l’e-book et du cy-book. Elles peuvent accompagner le livre, au titre de l’information ou de la consultation, mais ne sont pas encore en mesure de se substituer à lui. Elles doivent être conçues comme des «compagnons de route». L’éco-système constitué par les auteurs, les éditeurs, les distributeurs, les libraires et les lecteurs est mis en danger par ces nouveaux venus, qui n’ont pu trouver leur place que parce que l’édition et la librairie n’ont pas su à temps prendre internet à bras le corps et y inventer de nouvelles manières d’éditer qui renforcent leur pratique traditionnelle. De cela, les éditeurs et les libraires sont, certes, en partie responsables. Mais cette prise de conscience tardive commence à porter ses fruits. La librairie indépendante investit la vente en ligne, l’édition met en place ses propres structures pour valoriser ses fonds sur internet. Le lecteur de livres n’est pas dupe « d’une encre électronique qui n’est pas de l’encre et du papier électronique qui n’est pas du papier ». Différents projets de bibliothèques numériques voient le jour en prenant en compte à la fois la réalité des éditeurs et celles des libraires ; elles font l’objet, il est vrai, de procédures hypocrites et chauvines qui témoignent du caractère rétrograde des instances fédératives (et exclusives) de l’édition française[7]. Le projet de Gallica2 tel qu’il est conçu et que ces mêmes instances soutiennent et encouragent est un déni de ces efforts. Il plante dans le dos de l’édition française des e-bandrilles qui finiront par avoir raison du livre.
Quelques réactions - et mes réponses - à ce texte sur: http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1053
Une réponse argumentée et urbaine de François Gèze, directeur des Editions La découverte, suivie d'une réponse.
Voir également le Droit de Réponse paru dans la Revue des Ressources de Denis Zwirn, Président de Numilog. [1]. Ces noms barbares désignent une nouvelle ‘race’ d’intermédiaires dans la chaîne du livre. « Agrégateurs », parce qu’ils auraient pour mission d’agréger les électrons libres de l’édition traditionnelle et, par là-même de leur conférer un statut grégaire, sous le bâton d’e-bergers privés subventionnés par l’Etat. C’est sans doute cette ‘manne’ publique qui a convaincu Hachette de faire l’acquisition de l’un d’entre eux (Numilog), pour une somme « relativement modeste » (selon le communiqué d’Hachette) de quelques millions d’euros. [2]. Voici un extrait de l’un de ces spams dont nous vous laissons apprécier l’outrecuidance. Les termes en gras et en couleurs sont de l’E-distributeur (nota bene: lequel n'est pas "Machin", mais "Machin-Chose"!!) ; le soulignement et les commentaires entre crochets sont du rédacteur de ce coup de gueule: «Dans le cadre du projet SNE / BNF d'aide à la diffusion numérique de documents sous droits, Le Centre national du Livre subventionne votre projet à hauteur de 50% des coûts. Machin-chose.fr <http://xxxxx> , E-Distributeur agréé, vous accompagne pour la création de votre dossier de demande de subvention ! Il vous suffit de compléter les deux documents ci-joints et de les adresser au CNL AVANT le PREMIER NOVEMBRE 2008 [JOUR DES MORTS !] (la date limite de dépôt de dossier pour une demande de subvention, ouvert à tous adhérents et non-adhérents SNE, est le 2 novembre) Le CNL dispose d'un budget de plusieurs centaines de milliers d'euro pour fin 2008. Ne manquez pas cette occasion ! Les étapes : - Vous obtenez l'accord pour la subvention [sic et simpliciter]. - Vous nous expédiez les exemplaires à numériser et votre commande de services. - Nous réalisons la numérisation, l'OCR (reconnaissance des caractères) et la création du PDF (PDF en mode image devant et texte caché) - Nous mettons les ebooks en vente sur www.machin-chose.fr aux tarifs que vous définissez. - Nous remontons les contenus et métadonnées vers Gallica 2 pour un indexage de vos titres (le moteur de recherche de Gallica 2 réalise un indexage complet et renvoie vers www.machin-chose.fr <http://xxxx> en cas de requête) - Nous vous reversons 60% du montant des ventes en ligne. [3]. Ce qu’ils sont pour la plupart, à l’exception toutefois de Tite-Live, partenaire du livre depuis déjà plusieurs années et dont le projet a l’énorme avantage (éthique) d’impliquer les libraires dans ce processus de vente, rétablissant ainsi la chaîne traditionnelle du livre. [4] Quelques jours après la mise en ligne de ce texte, et après des échanges de vues avec François Gèze, entre autres, ce dernier m'apprend, qu'à sa demande, le CNL ne réservera plus les aides à la numérisation au seul projet Gallica2. C'est déjà un grand pas de fait. On ne peut que saluer cette initiative et saluer aussi celle de François Gèze, qui tout en soutenant - c'est son droit - le projet tel qu'il a été conçu, ne manque pas de suggérer des corrections là où la copie doit être revue... [5]. Les récentes expériences-test tendent à prouver qu’il n’en est rien et que les ventes de fichiers sont quasi nulles. Sur neuf mois d’expériences menées par l’un de ces agrégateurs, sur un livre des Editions de l’éclat et non des moindres, puisqu’il s’agissait de la traduction de l’Ethique de Spinoza par Robert Misrahi les ventes de fichiers étaient de … 2 exemplaires... [6]. C’est d’ailleurs ce que propose le portail Tite-Live (voir note 3), d’où la différence qu’il convient de faire entre leur projet et ceux des autres Agrégateurs. [7]. Je veux parler, évidemment, des procès en cours à l’initiative du SNE et du groupe La Martinière contre le projet Google-recherche-de-livres. Pour une approche saine du projet Google-recherche de livres, se reporter aux déclarations de Mr Bazin, bibliothécaire de la Bibliothèque de Lyon, qui vient de conclure un accord avec l’‘ogre’ américain et qui semble ne pas craindre d’être mangé tout cru, au contraire. |
* Les notes sont des gloses complémentaires. Nous suggérons de les lire séparément. |