05
dé
Bonjour,
Aux approches des fêtes, l’actualité ne nous fait pas de cadeaux. Nous avons rassemblé ici quelques livres inactuels sur une situation face à laquelle nous sommes sans armes, et les pétitions, déclarations, manifestations tonitruantes ou silencieuses n’y font pas grand chose.
Nous partons d’une phrase tirée d’une lettre de Gershom Scholem à Walter Benjamin, et qui a encore et toujours sa raison d’être.
Scholem parle alors de la nécessité d’un foyer juif en Palestine, nécessité qu’il considère comme suffisante, sans aucune dimension messianique ou étatique, mais qui permettrait simplement au peuple juif de ”revenir à sa propre histoire”. Nous sommes avant 1933.
« Ce qui a toujours été et reste évident pour moi, écrit Scholem le 1er août 1931 (Le Prix d’Israël), c’est simplement que la Palestine est nécessaire, et cela me suffisait ».
En 1948, cette nécessité suffisante est devenue réalité. Elle a permis de redonner une terre et une histoire à des populations d’Europe ou d’Orient, exterminées ou chassées de leurs terres d’exil. Que cette réalité soit devenue complexe ne fait pas de doute, depuis qu’à la proposition du jeune État mené par le parti travailliste, membre de l’Internationale socialiste – « Deux peuples côte à côte sur une terre » – les États arabes alentours ont répondu par la guerre, renforçant à long terme une droite israélienne foncièrement nationaliste, au mépris des populations locales, et dont le récent gouvernement, avec sa majorité de bric-à-brac, est l’ultime avatar. C’est cette guerre qui dure depuis 75 ans maintenant, avec son “terrible cortège”, et qui a connu ces dernières semaines ses moments les plus dramatiques.
Il faut dire que la gauche israélienne a été lâchement abandonnée par une ‘gauche internationale’, incapable de comprendre ce qui se jouait alors et empêtrée qu’elle était dans l’histoire de la colonisation avec laquelle elle voulait rompre à tout prix (y compris celui du soutien à des théocraties ou des dictatures corrompues). Cet abandon, qui a affaibli considérablement les idéaux d’économie communautaire, de partage de la terre, d’“alliance pour la paix”, est en partie responsable de la situation dramatique dans laquelle se trouve la région. De même que l’abandon par cette même gauche internationale de ses propres fondamentaux auquel on assiste depuis quelque temps, risque d’entraîner le monde dans une dérive fasciste, déjà amorcée un peu partout, livrant le monde à des Javier Milei – suprématisme blanc – d’un côté, et à des organisations terroristes – suprématisme islamiste – de l’autre, deux facettes d’une même répugnante réalité.
Il faut lire la lettre de Loui Haj, arabe israélien à ceux qui, depuis les campus universitaires cossus du monde entier, prétendent le ‘libérer’ du “fleuve jusqu’à la mer”, reprenant un vieux slogan exterminationiste : «Nous, Arabes et Juifs de notre pays, celui que vous cherchez à ‘libérer‘, nous nous inclinons devant la douleur de notre passé, de nous-mêmes, de nos peuples, et aspirons à ce que la mémoire ne s’efface jamais pour nous. De cette façon, notre espoir, notre salut et notre réveil seront ici en Israël, notre pays, parce que ni l’un ni l’autre de nous n’a une autre terre et ni l’un ni l’autre n’a nulle part où aller.»
* * * * *
Et voici donc les livres, les ‘simples’ livres, à commencer par ceux de Gershom Scholem. Qu’ils puissent apporter quelque lumière en ces “sombres temps” :
L’œuvre de Gershom Scholem est, à chaque page, d’une extraordinaire richesse pour apprécier les enjeux d’une pensée “à haut risque”, qu’il définit quelquefois comme “anarcho-mystique” ou “anarcho-sioniste”. Qu’il s’agisse de ses correspondances avec Walter Benjamin ou avec Leo Strauss, ou du recueil d’essais politiques, Le Prix d’Israël que nous avons publié il y a vingt ans maintenant, la clairevoyance et l’honnêteté sont toujours de rigueur. La biographie que lui a consacrée David Biale, Gershom Scholem. Cabale et contre-histoire est, à ce titre, exemplaire. Dans une lettre à Hannah Arendt de janvier 1946, Scholem écrivait :
« Le problème de l’État m’est complétement égal, car je ne crois pas que le renouvellement du peuple juif dépende de la question de son organisation politique, ni même de son organisation sociale. Ma croyance politique est, si elle est quelque chose, anarchiste […]. Je crois à la durée ‘éternelle‘ – à l’échelle humaine – de l’antisémitisme, que les analyses de ses motifs du moment, aussi intelligentes soient-elles, n’empêchent pas de se reproduire dans de nouveaux contextes ».
Dix ans plus tôt, en juin 1936, il avait écrit à l’ami Walter Benjamin :
« Depuis plusieurs semaines, et avec une violence toujours croissante, les Arabes mènent une véritable guerre de résistance, qui révèle une puissance inattendue – et prend des aspects de guerre terroriste et barbare. Il est vrai que la grève générale des villes arabes est imposée aux Arabes eux-mêmes par une terreur interne, comme l’est également son financement, mais le fait même qu’elle est un succès, et que ses adversaires ne parviennent pas à l’enrayer, témoigne d’une forte discipline. Dans la mesure où les Juifs – au lieu de répondre par une contre-terreur, comme il serait facile de le faire – ont fait preuve d’une retenue étonnamment disciplinée, qui constitue un succès d’ordre moral, ils ont jusqu’à présent conservé une position très forte dans la sphère politique. Si les Juifs ou les groupes de Juifs ne perdent pas le contrôle de leurs propres nerfs – ce qui est évidemment l’objectif de ces nombreux actes de terrorisme et de sabotage – on ne voit pas comment les Arabes pourront tirer le moindre avantage de cette politique de terreur. »
À quoi Benjamin répondra:
« La situation européenne, dans sa structure latente, ne me paraît pas plus rassurante que la situation en Palestine. Elle semble tendre vers une évolution face à laquelle je me trouverais presque désarmé. » (Scholem-Benjamin, Théologie et utopie).
Si l’heure n’est plus, du côté israélien, à la « retenue étonnamment disciplinée », même si l’objectif d’une guerre est d’éliminer l’ennemi, surtout quand il est aussi l’ennemi de son propre peuple, il ne fait pas de doute que la réponse apportée aux massacres du 7 octobre, sert à la fois les intérêts particuliers d’un gouvernement du désastre et ceux des factions armées du Hamas et consorts qui engrangent et s’accaparent les centaines de millions d’euros annuels de l’aide ‘humanitaire’ pour renforcer encore leur arsenal, tandis que meurent chaque jour des femmes, des hommes, des enfants palestiniens et de jeunes soldates et soldats ou civils israéliens.
- Un livre de Jean-Louis Bertocchi sur Moses Hess, compagnon de Marx et figure presque oubliée d’un communisme social et d’un proto-sionisme, qui établit un lien entre la fraternité sociale et la possibilité d’une terre du retour.
- Un livre de et sur Gustav Landaeur, figure exemplaire de l’anarchisme et proche de Martin Buber, dont les écrits sur la communauté, introduisent l’idée de “bien commun”, qui, avec une tout autre approche, a fait l’objet d’un livre de Carlo Vercellone, Francesco Brancaccio, Alfonso Giuliani intitulé Le commun comme mode de production.
- Les deux livres de Martin Buber évoquent sur un temps long, les prémisses du sionisme dans les notions de communauté et de souveraineté invisible, sans manquer d’en condamner certains errements politiques, face auxquels Buber prône la ‘désobéissance civile’, dont une partie de la population d’Israël a témoigné encore récemment contre son propre gouvernement, et c’est aussi cette partie-là qui fut la cible des massacres du 7 octobre.
- La place de l’anarchie dans le mouvement des kibboutz est étudiée par James Horrox, dans ce petit livre de 2007, tandis que Juifs et anarchistes élargissait le champ et, revenant à Landauer, Buber ou Scholem, montrait les liens entre les mouvements révolutionnaires et le judaïsme.
- Denis Charbit, politologue israélien, avait préfacé Altneuland, le roman utopique de Theodor Herzl, aujourd’hui épuisé. Sa longue préface a reparu dans L’éclat/poche, largement augmentée sous le titre Retour à Altneuland : la traversée des utopies sionistes. Il est également l’éditeur du livre collectif : Les Intellectuels français et Israël, et a participé au volume sous la direction de David Biale: Les Cultures des Juifs.
- Ivan Segré, dont les éditions Lignes avaient édité un excellent ouvrage sous le titre : Les pingouins de l’universel, au sous-titre plus explicite : Antisémitisme, antijudaïsme, antisionisme, résume assez bien la situation. Il publié à L’éclat, Misère de l’antisionisme, qui revient sur les thèses des Pingouins avec une grande concision.
- Et puis de la poésie et de la littérature, avec les recueils des poètes israéliens, Yehuda Amichai, poète ‘national’ parmi les fondateurs du mouvement ”La Paix maintenant”, ou Avot Yeshurun, qui a inventé une langue poétique faite d’hébreu, de yiddish et d’arabe et qui a défendu sans relâche une fraternité entre les peuples de cette terre ‘sujette à tous les tremblements’; des conférences de Hayyim Nachman Bialik sur, entre autres, Le dualisme en Israël, ou le roman de Patricia Farazzi, L’Archipel vertical, récit d’une photographe dont la maison est détruite dans un attentat à Tel Aviv et qui s’ouvre par ses mots d’Amichaï,
« … nous ferons une maison repliée dans le
cœur, et une route enroulée
comme un ruban dans l’âme,
et nous ne mourrons jamais.
Les gens, ici, vivent à l’intérieur
de prophéties réalisées
comme à l’intérieur d’un nuage épais
après une explosion
qui ne se disperse pas. »
(trad. Michel Elial)
Le programme du premier semestre 2024 est désormais disponible sur la page des titres à paraître. Huit livres pour le moment. Nous y reviendrons en janvier…
Pour mémoire, tous les titres du premier semestre (et quelques autres) sont rassemblés ici.
Merci de votre fidélité et n’hésitez pas à faire suivre cette lettre d’information,