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Gershom Scholem : Le prix d'Israël |
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1. Mouvement de jeunesse juif (1916)
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Le texte original allemand, «Jüdische Jugendbewegung», a été publié dans la revue de M. Buber, Der Jude, vol. I, n° 12, mars 1917, p. 822-825. Dans un entretien avec Muki Tsur et Avraham Shapira, Scholem déclare: «Je me suis élevé contre laspect romantique du mouvement [de jeunesse juif] dans plusieurs articles que jai écrits entre 1916 et 1918. Ils ont suscité beaucoup de commentaires. Je critiquais ce romantique contrefait qui en faisait un romantisme allemand revêtu doripeaux sionistes bien plus quun mouvement orienté vers la Terre dIsraël.» dans Fidélité et Utopie, trad. fr. Bernard Dupuy, Calmann Lévy, Paris, 1978, p. 30. Sur ce texte, voir les lettres à Siegfried Lehmann des 4 et 9 octobre 1916, dans A Life in letters 1914-1982, Harvard University Press, Cambridge Mass., 2002, p. 33-37, et le chapitre consacré à Va controverse de Scholem avec les mouvements de jeunesse sionistes dans David Biale, Gershom Scholem. Cabale et contre-histoire, trad. fr. J.-M. Mandosio, Éditions de léclat, Paris, 2001, p. 42 sq. [Bibliographie 8].
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Pas plus au cours de ces dernières années quà lheure actuelle nous navons ici de mouvement de jeunesse juif: aucun mouvement qui ne soit ressenti et représenté par des jeunes gens en tant que Juifs. Nous avons telles ou telles organisations, nous entendons souvent et abondamment parler delles et de leurs programmes comme étant les troupes et les étendards du mouvement de jeunesse juif; pourtant, ce quon y cherche en vain, cest souvent, non seulement le judaïsme et la jeunesse, mais toujours et sans cesse le mouvement. À toutes, sans exception, quelles soient grandes ou petites, manque ce qui caractérise un mouvement: totalité, esprit et grandeur. Il se peut que, sous bien des aspects, ces organisations soient nécessaires, et cest là que leur existence vient puiser sa légitimité, mais elles ne le sont pas quant à la seule chose qui soit ici décisive, à savoir quelles renaissent continûment dans le flux du mouvement. Certes, il y a eu un mouvement de jeunesse juif dans les premières années du mouvement sioniste, tant que lidée de Herzl était vivante et structurée; mais son contenu ne pouvait que disparaître lorsque la situation intellectuelle sest modifiée, et, jusquà présent, aucun contenu nouveau, reconnu de tous, na vu le jour. Pourtant, ce premier mouvement avait semé son germe parmi les nouvelles générations et celui-ci na que trop magnifiquement proliféré: cest la confusion dont il nous faudra parler ici, ainsi que de son dépassement. Ni la jeunesse dhier ni celle daujourdhui na été en mesure dintroduire un changement dans ce domaine; au contraire, elle na cessé de sappauvrir en forces et en contenus: tout ce quelle dit, pense et fait est schématique, tout ny est que simple ébauche, objet de conférences et de discussions, programme et mot dordre, mais rien qui soit efficace et vivant en vérité. Le mouvement de jeunesse était si peu présent, il avait acquis si peu de pouvoir sur la volonté des esprits, quau moment décisif, notre jeunesse sest soumise à la guerre1. Ce fut lultime et suprême triomphe de la confusion, et le plus profond péché que nous ayons connu. La guerre est probatoire. |
1. N.d.e. Le mouvement de jeunesse juif, hormis le groupe «Jeune Judée» auquel appartenait Scholem, était en effet favorable à une participation des Juifs dans le premier conflit mondial aux côtés de lAllemagne. Près de 12000 Juifs allemands sont morts dans ce conflit. Voir Biale, Gershom Scholem, p. 30-31; De Berlin à Jérusalem, p. 101 sq. |
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Cest la guerre qui a précipité lavenir de la nouvelle jeunesse. Une nouvelle génération se retrouve face à cette tâche: devenir un mouvement. Quelque chose a toujours été présent ne loublions pas et lest aujourdhui de nouveau: le désir. Mais on ne saurait trop y insister: on ne bâtit aucun édifice sur du désir; un mouvement ne peut se justifier du fait quon parle toujours et sans arrêt du désir, ni de ce quil en serait le contenu, la forme et la manifestation. Si le désir nengendre pas la vie, sil ne porte aucun fruit de sorte que dun vrai désir juif surgisse un véritable dévouement, qui soit pénétration et approfondissement du judaïsme , il sera voué à la mort éternelle. Il peut fort bien arriver quun beau jour, un grand jour, notre désir se rassemble et engendre de lenthousiasme, que nous nous mettions en marche et que nous croyions que le mouvement soit parmi nous; mais si nous ne nous sommes pas appropriés lélan vers la construction, ce naura véritablement été quun feu pâle qui se dissipera rapidement. Or, que le désir contribue à produire des contenus, voilà qui, jusquà présent, ne sest pas encore réalisé. Chez les quelques-uns dentre nous qui ont su vraiment susciter la vie à partir de leur désir, pour qui le judaïsme ne fut pas seulement un étendard, mais un ordre davancer, la voie est ouverte au mouvement, car le mouvement est en eux; il est donc possible que quelque mouvement se constitue parmi eux. Il ne sagit pas dexiger que chacun de ceux qui intégreront plus tard le mouvement y entre déjà fin prêt, non, car cest le mouvement qui, par la suite, lui fournira des contenus, parce quil grandira en même temps que le mouvement et sy identifiera, de sorte quil sera tout à fait absurde de parler du mouvement et de ses représentants comme de deux choses différentes. Mais ce nest pas de cela dont il est question maintenant. Nous ne parlons pas de ceux qui sont à lextérieur, ni de ceux qui un jour le rejoindront, mais de ceux qui en font partie: nous parlons de ceux et à ceux qui, aujourdhui, fiers et arrogants, sont installés dans leur «mouvement», et pensent quil suffirait de travailler et de le structurer un peu plus (ou beaucoup plus) à ceux qui suscitent la confusion et à ceux qui en sont victimes. Et nous parlons de nous, qui savons que nous ne disposons encore daucun mouvement et qui nous demandons: comment en créerons-nous un? Ou bien, si les choses ne dépendent pas de nous: comment y participerons-nous? Il est possible, en effet, que cette dernière étincelle, qui passe de lun à lautre des individus en mouvement et donne à ce mouvement sa marque divine et son parachèvement, ne soit pas entre nos mains. Or, de même que les sciences exactes distinguent entre condition nécessaire et condition suffisante dun phénomène, la réalisation de notre exigence est la condition nécessaire, et cette condition est de notre ressort; ce qui ne lest pas néanmoins, cest ce qui en fait une condition suffisante: mais nous ne doutons pas que, lorsque nous aurons accompli notre part, Dieu nhésitera pas à faire la sienne. Cest certain: si Dieu ne bâtit pas la maison, les maçons sagitent en vain; mais lorsquils ne font aucun effort ni naccomplissent ce qui leur incombe et leur est possible, lorsque, tout au contraire, ils se tiennent à lécart en se pavanant et simaginent en avoir terminé, il est sûr qualors Dieu ne bâtit rien. On peut exprimer lessentiel de cette tâche en un mot, et lexposer à partir de lui: totalité. La jeunesse ne forme pas un tout achevé, elle est dans la confusion. En tout premier lieu, nous exigeons ceci: que ceux qui nous rejoindront devront en fait réapprendre autrement, car, pour sortir de la confusion actuelle, il ny a pas dautre moyen; et celui qui veut importer la confusion dans notre cercle prouve quil est resté à lextérieur. Si notre attitude nest pas totalement différente de celle des victimes de la confusion, nous navons aucun droit à proclamer le «départ». À la jeunesse, à qui incombe la tâche de devenir un mouvement, incombe également celle, à titre de condition, de devenir autre, au sens le plus profond, en un sens radical: cesser dêtre confuse. Il nest pas impossible aujourdhui de deviner ce qui va se passer dans ces affaires, comme semblait le penser Hugo Bergmann dans le premier numéro de cette revue. Cest, au contraire, bien plus possible que jamais auparavant: en effet, depuis que certaines personnes, issues des cercles que lon qualifie souvent de radicaux, ont poussé la confusion jusquau plus vertigineux des paradoxes, en faisant preuve dun sionisme «conséquent» et en greffant les aspects les plus étonnants empruntés à lextérieur, pour tout un chacun qui veut bien constater les choses, le «départ» est une séparation clairement acquise et requise. Les paradoxes infinis suscités par notre colère et notre indignation nous ont enseigné à nous concentrer sur notre voie propre. Notre voie, cest-à-dire, en tant que totalité et totalement nous mettre en mouvement vers Sion. Actuellement et jusquau plus profond delle-même, la jeunesse sest empêtrée dans la tactique: les exigences qui sy formulent ne sont que partielles et timides, aucune na le courage ni la force de la totalité; les points de vue que nous adoptons sont des tentatives de porter furtivement nos regards dans toutes les directions, et le courage de nen adopter quun seul est étouffé sous des justifications internes et externes. Justifications internes, du fait que lon est confortablement installé et les idéologies du confort sont nombreuses. Il est inconfortable de simposer des exigences entières lorsquon est prêt dès le départ à nen remplir que la moitié; on ne peut exiger Sion lorsquon pense Berlin. Justifications externes, car ce nest pas tactique. Les sacrifices que nous réclamons sont parcellaires et superficiels, car exiger des sacrifices entiers effraie notre jeunesse, elle qui a la propagande chevillée au cur. De toutes parts, on nous a objecté quil ne fallait pas effaroucher ceux qui étaient à lextérieur. Argument diabolique! Mais cest bien ainsi quil en va chez nous: tout tourne autour de ceux qui sont à lextérieur, cest en fonction deux que tout est adapté, que respire le «mouvement» plein dégards, que seffectue le moindre travail. Que le sionisme ne cesse pas avec le programme de Bâle, mais quil commence à partir de lui, voilà qui a été parfois combattu sur le plan théorique, mais cest ce dont la jeunesse ne sest pas encore trouvée prête, jusquà présent, à tirer effectivement les conséquences. La profession de foi en faveur de lhébreu na pas été liée, pour autant quelle ait trouvé en Allemagne le moindre écho, à la conscience du fait quun mouvement de jeunesse qui na pas été fondamentalement hébraïsé, nest plus aujourdhui pensable; or cette hébraïsation passe pour une activité secondaire dimportance relative. Ce serait, pour le statisticien, une triste tâche que détablir combien de temps il faut chez nous entre le moment où lon adhère à un mouvement de jeunesse et celui où lon pratique effectivement lhébreu, même à titre de violon dIngres. Il est certain quaucune totalité du judaïsme, aucune plénitude de contenu ne peut naître au sein de pareille jeunesse si elle nabandonne pas les moyens qui ont conduit à un tel résultat: la tactique et lastuce. Il ny a pas de totalité dans le dévouement, car les gens qui sont avec nous sont partagés. On nest pas dans le mouvement, mais dans des associations, et celui qui en est membre laisse apparaître davantage sa totalité au «mouvement» plutôt au sein lassociation; il na pas seulement Sion pour but, mais Sion plus quelque chose dautre de la réforme agraire à la théorie des nombres qui nest pas un objectif subordonné, mais qui a la même légitimité et tout en étant ajouté, nen est pas moins présent. Or cela nest pas acceptable: nous devons nous fixer un unique but auquel tout, mais vraiment tout, quand bien même ce serait la théorie des nombres, est subordonné. La totalité à laquelle nous pensons ne saurait être constituée dune pluralité de composantes, elle doit être dun seul tenant. Ce qui implique quil faut trouver le courage de se restreindre, dêtre partial. Si la jeunesse navait pas tenu si absolument à préserver sa pluralité on se contentera dévoquer le problème corollaire du «judaïsme allemand» (Deutschjudentum), nous nen serions pas là: si lon ne cherchait pas toujours à réaliser des synthèses, mais à établir des dogmes, si lon ne passait pas son temps à réconcilier, mais à combattre, si, à lheure du danger, on ne nouait pas constamment des alliances avec lautre lautre en nous et autour de nous , une grande force pourrait véritablement se rassembler et, à cette concentration, pourrait succéder une forte percée du mouvement. Nos ruisseaux sécoulent et se perdent dans toutes les directions, ne formant ainsi jamais une chute grondante.
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Si lon ne trouve pas de volonté de clarté et de grandeur, jusquà lultime conséquence, débarrasser le regard des lunettes bleu-blanc1 (blau-weisse Brille), on ne parviendra pas à surmonter la confusion. Et la jeunesse naura aucun droit à faire de la vraie propagande tant quelle ne sera pas elle-même devenue ce pour quoi elle en fait. Les rues résonnent de nos cris dont nous rebattons toutes les oreilles, et ce sont les cris de gens en proie à la confusion et à la dispersion, des cris de surface qui sombrent entièrement dans les diverses strates du mille-feuille sans être entendus; la jeunesse que nous espérons, au contraire, devra se manifester et crier autrement et nous sommes bien loin de considérer cela comme superflu , car son cri viendra des profondeurs et exprimera de la clarté. On nest pas fondé à élever la voix si lon veut être à la fois ici et là-bas, à Berlin et à Sion. Nous, en revanche, nous saurons où nous devrons nous trouver pour que notre cri soit entendu. |
1. N.d.e. En 1915-1916, Scholem édita avec son ami Erich Brauer, du mouvement «Jeune Judée», une revue lithographiée intitulée «Les lunettes bleu-blanc» [«Die Blauweisse Brille»] dans lequel il critiquait violemment la confusion ambiante du mouvement de jeunesse juif Blau-Weiss [Bleu-Blanc], et défendait ses positions pacifistes. Trois numéros furent imprimés sur les presses de son père (à son insu) [Bibliographie, 1-6]. Sur le mouvement Blau-Weiss, voir «Entretien avec Gershom Scholem», dans Fidélité et Utopie, p. 28 sq. et David Biale, Gershom Scholem, p. 26. |
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