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Gershom Scholem : Le prix d'Israël |
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ADIEU (1918) Lettre ouverte à Siegfried Bernfeld
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Loriginal allemand, «Abschied», est paru dans Jerubbaal. Eine Zeitschrift der jüdischen Jugend, 1ère année, n° 4, 1918-1919, p. 125-130. Cette «Lettre ouverte» a été rédigée à partir des notes du Journal du 11 et 12 juin 1918. Scholem est alors en Suisse avec Benjamin et cest avec lui quil songea alors à écrire et à signer lAdieu, en réponse à linvitation de Bernfeld de publier dans sa revue. «Ce nest que de lextérieur que la lettre à Bernfeld peut être écrite (et nous la signerons tous les deux, mon ami [Benjamin] et moi, et si les choses se passent comme je le pense, tu en seras surpris. Nous y dirons la vérité toute nue telle quelle doit être dite sur lattitude métaphysique des jeunes sionistes. Et puisque, grâce à Dieu, je ne lai plus sous les yeux, je peux voir de loin la situation dans son ensemble avec une plus grande clarté» (Briefe I, p. 182). «Mais par la suite écrit Scholem , Benjamin y avait renoncé. Nous avions eu de longues discussions sur le texte que je finis par rédiger et publier seul » (Histoire dune amitié, p. 90). Scholem envoie lAdieu le 21 juin 1918; cf. Blätter für Murische Kunst du 23 juin 1918. Sur la genèse de ce texte, cf. la lettre de Scholem à Bernfeld du 19 juin 1918 (Briefe I, n° 62, ainsi que Blätter für Murische Kunst, 31 juillet 1918). À cet article de Scholem ont répondu Rudolf Menzel, «Lieber Wanderbruder Gerhard Scholem!», in Jerubbaal, n° 6, p. 225-227, et Benö Freistadt, «Pro Domo», ibid., p. 228. Voir également David Biale, Gershom Scholem, p. 42 sq. [Bibliographie 13]. |
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Cher Docteur Bernfeld !
Jai sous les yeux les deux premiers numéros de la revue Jerubbaal à laquelle vous mavez fait lamitié de solliciter ma collaboration. Daprès le tableau quoffre au spectateur le mouvement juif de la jeunesse, un tableau dont les teintes inquiétantes nont pu être corrigées par lactivité croissante quon voit sy développer depuis quelque temps, et qui na fait, au contraire, que les accentuer, daprès ce tableau, je ne pouvais me faire aucune illusion sur la nature de ce que serait une revue émanant de cette jeunesse pour sadresser à cette jeunesse, sans même quelle songeât à sexprimer contre elle. Et, de fait, ce contre quoi la passion se mobilise ici ne vaut pas la peine; or lunique objet significatif et adéquat de cette lutte, cette jeunesse même qui ne cesse décrire, célèbre son caractère absolu en chantant ses propres louanges1. Le tableau quon devait espérer a évolué de la manière la plus terrible et il a anéanti tout espoir. Il ne sagit plus de linnocente bêtise, du philistinisme (si agréable à combattre) dépourvu didées qui confesse lui-même ce quil est, et dont lhonnêteté exclut tout dommage, non, cette jeunesse a voulu rivaliser avec tous les autres mouvements de notre époque: elle a des idées. On ne peut la réfuter, car il ny a rien de grand sur quoi elle ne fasse des exposés; aucune objection, aucune réclamation à quoi elle ne sache rétorquer: cest cela aussi que nous voulons dire. Comment passer à côté de Sion dans cette jeunesse, puisquelle proclame que cest le critère de sa vie. Vue sous langle moral, cette jeunesse est une sphère: il faut se tenir en son centre pour apercevoir sa fausseté, car, de lextérieur, elle est insaisissable, et tout autre point de vue en elle déforme la perspective. Il ne sagit pas de la malmener; contre elle, il ny a quune chose qui vaille: la percer à jour. Elle ne peut être réfutée, elle ne peut être que dépassée. Le seul instrument dun tel dépassement, et qui ne saurait être perverti, cest le silence. Ce que je puis dire ici nest pas lélément positif qui, au contraire, ne peut être rendu visible quà titre de fondement de mon refus. Le travail est enseignement oral et rien nen peut être transcrit qui serve de méthode; seule la démarche de mon silence est ce que je veux et dois exprimer ici, non pour convertir ce qui, dans cet environnement, reste interdit à toute parole ne jouissant pas dune pureté prophétique, mais pour témoigner dune jeunesse qui accueille, développe et transmet en silence Sion et sa doctrine, une jeunesse qui, selon cette seule et nécessaire déclaration de séparation, ne sera visible dans Jerubbaal que sur lunique mode dont elle soit digne: en sy taisant. La grande exigence du sionisme, qui est toujours la même: être un peuple saint, a un présupposé dont la méconnaissance est la raison la plus profonde, proprement chimérique, de cette fausseté objective contre quoi on témoignera ici. La communauté veut la solitude: non pas la possibilité de vouloir tous ensemble la même chose, mais seule la solitude commune fonde la communauté. Sion, la source de notre peuple est la solitude commune, voire, en un sens extraordinaire, identique à tous les Juifs, et laffirmation religieuse du sionisme nest autre que celle-ci: le centre de la solitude est en même temps précisément le lieu où tous se retrouvent, et il ne saurait y avoir dautre endroit pour une telle rencontre. Tant que ce centre nest pas rétabli dans sa clarté rayonnante, la disposition de notre âme, que lhonnêteté nous contraint à confesser, ne peut être quanarchique. En galout, il ne peut y avoir de communauté juive qui ait la moindre valeur aux yeux de Dieu. Et si, de fait, la communauté des hommes est ce qui peut être exigé de plus haut, quel serait le sens du sionisme sil pouvait se réaliser dans le cadre de lexil? Sil faut donc répondre à lexigence sioniste, cela ne peut avoir lieu en communauté. Et cest cette pétition de principe que signifie limprécation contre le sionisme: le mensonge communautaire, pseudo-sioniste qui se réfère à une volonté affirmée. Ce mensonge est le véritable contenu du mouvement de jeunesse, dont labsurdité profonde se révèle de la manière la plus concrète dans labsence totale de forme qui en est la conséquence. Cette anticipation de la communauté a son origine dans lhorreur métaphysique ressentie face aux strictes prescriptions sionistes dont on ne trouve plus le courage de nier lexigence selon la vieille méthode. On pressent que le sionisme, déployé dans sa pureté, est un terrible tribunal condamnant le désordre auquel sest vouée cette jeunesse, qui ignore au fond tout à fait ce quest la solitude, et qui, lorsquelle la connaît, est incapable de la supporter1. Cela va de pair avec un autre point: de même que la jeunesse est incapable dêtre seule, elle ne sait pas non plus se taire. Le silence, où se rejoignent la parole et laction, lui est étranger, car elle na jamais soutenu de parole pure ni daction pure. Or des hommes qui sont incapables de se taire, sont finalement incapables aussi de dialoguer. Ils ne se comprennent pas, car leur langage na ni limites ni fondement. Il est chimérique. Cest ainsi que surgit cette affreuse perversion qui prétend être la sphère de la jeunesse juive, qui veut être le mouvement: le bavardage. En lui se mêlent et se gauchissent indistinctement toutes choses: Sion y devient lÉtat de lavenir, le judaïsme y signifie lesprit (ou un quelconque des mille autres termes quon voudra), la vision passe pour lexpérience vécue, et lon pourrait ainsi en établir le lexique infini, bien quil se maintienne toujours au point zéro, de la terminologie du bavardage. |
1. Les documents attestant de ce désordre se succèdent au moins depuis la publication du livre Vom Judentum [ouvrage collectif édité par lAssociation pragoise des étudiants Bar Kochba, Leipzig, 1913] qui est devenu un véritable arc de triomphe de la confusion, ouvrant sur la série imprévisible et la progression géométrique de sa nullité, et il ne vaudrait pas la peine den dire un mot si les influences dévastatrices que, par exemple, bien des choses dans la littérature du courant Blau-Weiss exercent sur les enfants, ne suscitaient laffliction et le blâme.
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Le pire de ces gauchissements sannonce actuellement: cest celui qui concerne le travail. Le concept légitime du travail na pas de nom. Le bavardage est en mesure de nommer le travail, et sapprête à le justifier. Le travail na pas didéologie, mais laction pure est une idée. La faiblesse du travail sioniste, à propos de laquelle comités et commissions se lamentent, repose sur la justification du travail, ô combien éblouissante pour les sionistes, par le bavardage. Car cest bien là son principe: on peut tout confondre, substituer tout à tout, et rien ne changera. Pourquoi ne pas confondre le travail avec la démagogie ou quelque autre concept relevant de cette sphère. Même ladjectif «hébraïque» sest vu ravir son sens1, car lhébraïque des bavards ne pourra jamais être la révélation dune communauté, révélation qui révélerait sa réalité dans la possibilité de se taire en hébreu au sein de cette communauté. La jeunesse na pas de langage. Cest la raison de son incertitude et de son malheur. Elle na pas de langage, cela veut dire: sa vie est fictive et sa connaissance sans teneur. Son existence se dissout jusquà nêtre plus discernable sur la scène complexe. Elle a perdu les critères de sa propre réalité lorsquelle sest mise à tromper Dieu en bavardant, et a fait de livresse la mesure tacite de sa pseudo-existence2. La tâche consiste à redonner un langage à la jeunesse. Cette tâche exige une autre voie que celle du langage, qui ne peut plus conduire à la jeunesse depuis quelle a perverti dans le bavardage le principe supérieur du langage, la Révélation, sur quoi repose toute compréhension. Accompagner la démarche de la jeunesse nest daucun secours; seul le renoncement radical au mouvement de jeunesse, au nom de cette tâche qui est la nôtre, peut nous préserver du déclin. Car nous sommes sur un navire qui sombre, et aucune exultation, aucune satisfaction à propos de la «direction générale» suivie ne pourront faire illusion quant au fait que nous nallons pas vers Sion et que nous sombrons à Berlin; «ils sécrient shalom, shalom ! mais il ny a pas de paix». Il ny a quun lieu à partir duquel il est possible datteindre Sion et de restaurer la jeunesse: la solitude. Et il ny a quun moyen, amené par le travail à rayonner, qui sera la source du renouvellement: lexistence qui devra être un argument contre une jeunesse qui a dévoyé la parole. Cest là le véritable auxiliaire: que chacun se détourne de livresse des expériences vécues, de la profusion indigente du bavardage et de léducation des autres à laquelle il nest pas destiné, et quen secret, il cherche à mettre de lordre dans sa vie. Pour une telle jeunesse, «hébraïque» est le superlatif de son silence, et Sion nest plus une métaphore symbolique. |
1. Lorsque, au cours du dernier congrès des délégués des sionistes allemands, un orateur exprima cette simple et sérieuse vérité, les jeunes «hébraïstes» présents lui firent une scène bruyante. 2. Le bavardage inscrit au fronton de ses idéologies : «cum ira et studio». Cest cette passion-là qui est livresse. |
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Cette jeunesse rejettera le «vécu [Erlebnis] juif». En effet, du fait que la jeunesse ne sait ni se taire, ni parler, ni voir, ni agir, elle se contentait de vivre des expériences [Erlebnisse]1. Dans les pages de cette revue, on a même fait de la Torah un vécu. Le mysticisme flou, auquel le judaïsme sacrifie sur lautel du vécu, est le véritable couronnement du mouvement de jeunesse. Il ny a rien de grand, quil sagisse du paysage, de Dieu ou de la Loi, qui, dans le vécu, ne soit lié au bavardage. Et même la guerre, quand il était encore temps, fut pour elle une expérience vécue. Car cest bien ce quil y a dinsolite: même sil y avait des expériences vécues, qui pourrait aujourdhui se risquer à en parler? Mais la jeunesse ignore le silence. Pourtant, le vécu est véritablement devenu ce quil y a de plus éminemment chimérique, labsolu qui sest fait bavardage. Il faut admettre que le fondement de ce vécu nest quune fausse relation à la communauté. Le méli-mélo sans limites est supposé être le substitut des structures de la communauté juive qui sy sont effondrées. La jeunesse qui, en toute pureté et chasteté, restaure ces structures dans son existence nen avait nul besoin. Le mouvement de jeunesse, sûr de sa nullité métaphysique, utilisait, à titre de corrélat nécessaire, le concept de Rédemption dans la mesure où il pouvait abuser le mouvement quant à sa signification religieuse: cest ainsi quil proclama le vécu. Or la jeunesse pure se délivre par la lamentation.
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1. N.d.e. Cette allusion aux «expériences» (Erlebnisse) et au «vécu» (Erlebnis) tout au long du paragraphe est une critique à peine voilée de la pensée de Martin Buber, qui exerçait alors une très forte influence sur les mouvements de jeunesse juifs. Sur les relations entre Buber et Scholem, on peut consulter l«entretien avec Gershom Scholem», dans Fidélité et utopie, et le chapitre que David Biale consacre à cette question dans Gershom Scholem, «Martin Buber et les mouvements de jeunesse juifs», p. 26 sq. |
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À partir de ces mobiles, il est facile, bien que peu réjouissant, de procéder, ce dont vous me dispenserez, à une déduction de toute la vie du mouvement de jeunesse jusque dans ses détails. Il ny existe aucun domaine qui ne soit livré à ces gauchissements immanents, aucun désordre qui ne nous soit vanté aujourdhui comme un ordre. Il suffit dobserver! Y a-t-il quelque chose de plus désolant que cette jeunesse depuis quelle est devenue consciente de son importance et de sa signification dont on na cessé de lassurer? Elle sest vue appelée à une action face à laquelle ses critères étaient impuissants. Elle était lavenir du sionisme dont on lui cachait en toute bienveillance quil ne connaît quun présent perpétuel. Elle était censée être lhistoire et trouvait refuge dans lévolution. Car la tâche restaurer Sion menaçait sa pseudo-existence, dont on exigeait quelle eût une réalité effective rigoureuse et reposant sur des fondements premiers, alors quelle en était dépourvue. La croyance en son existence, voilà quel était laxiome où elle cherchait consolation et grandeur. Désormais, cet axiome était menacé, on exigeait une preuve de cette existence et la jeunesse navait aucun espoir dêtre capable de la fournir. Cest ainsi quelle pervertit son revirement, lultime et suprême possibilité dont elle disposait, en le transformant en fuite. Celui qui veut travailler avec elle ressent un embarras sans limite face à ses propres phrases. Ce qui pourrait la tirer de cet embarras, ce sont tous les termes quutiliserait celui qui exigerait delle quelque chose de sérieux, et qui, inévitablement la contredirait expressément. Dans sa détresse, en effet, le mouvement de jeunesse fait vertu de son incapacité à répondre aux catégories de lhistoire. Il réclame un délai, pour pouvoir se «développer», une continuité, afin que personne ne ségare, et il est tout à fait impuissant face à son propre désarroi; ainsi en va-t-il de l«élite», ces sectaires qui oublient que «nous» sommes un mouvement populaire. La jeunesse qui se grise au sein du mouvement «ivre, mais pas de vin1» hypostasie en une valeur les détresses de sa contre-nature. Dans ce monde, qui nest vraiment pas un monde des idées, elle parvient à confondre sa fuite avec le progrès (fidèle à cette vérité selon laquelle ce qui est un contraire dans le bavardage, nest en fait quune seule et même chimère), et cest ainsi que la perversion des idées les plus hautes entraîne insidieusement celle de toutes les autres. En effet, le développement nest pas une catégorie de lhistoire à laquelle seule la jeunesse serait soumise; et lunique continuité qui acquière en elle son sens, cest la continuité métaphysique de la décision. Dans quelle direction la jeunesse se développe-t-elle en fait ? La réponse est aussi terrible que le mérite la question, et nous la connaissons tous: de Berlin à Prague. Sion ny apparaît que sur le mode métaphorique, et, dans le meilleur des cas, ce nest quun point aux confins. Or, les structures où se déroule une existence historique comme celle de la jeunesse sont autres. Une jeunesse qui, dans sa solitude, nest pas parvenue au point où elle découvre un accès au registre supérieur de lhistoriographie juive, pour embrasser ainsi lhistoire, se verra interdire lintuition selon laquelle la vraie continuité du peuple ne se produit que dans la solitude, et le fait de renoncer au bavardage nest pas destructeur mais dévouement à notre tâche: à savoir celle dun peuple, dont la fécondité et la grandeur doivent se développer en moi avant que je puisse prétendre être éducateur. Léducation, développant dans lenseignement et la tradition des structures directement religieuses, exige une vocation quon ne réclame pas à corps et à cri. Que les organisations des éclaireurs et des étudiants, responsables à cet égard du plus grand tapage au sein du mouvement de jeunesse, proclament leur prétention à enseigner quelles quen soient les clauses restrictives , témoigne à charge contre ce mouvement. Cette jeunesse est à ce point dépourvue dune vision de lhistoire qui ne se déroulerait pas dans un cadre chimérique, que la mort de Hermann Cohen la trouvée incapable de la moindre lamentation, de même que son existence navait pas plus suscité son respect. La coïncidence de la jeunesse et de lâge dans la Torah faire du judaïsme le lieu métaphysique de son évolution , cest lorsquelle est présente chez de grands hommes, qui sont la source rayonnante de notre respect. Sur la tombe de Hermann Cohen le judaïsme se lamente, tandis que le mouvement de la jeunesse juive savait seulement que cétait un «ennemi»1.
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1. N.d.e. Isaïe 51:21. Cette citation est également reprise dans un célèbre poème de Yehuda Halévi «Beauté aux beaux yeux...» (Brody II/37; trad. fr. Le Diwan, L'éclat, Paris 1987, poème 13). 1. N.d.e. Hermann Cohen incarnait alors aux yeux des mouvements de jeunesse, le philosophe juif anti-sioniste, en opposition à Martin Buber. «Il est frappant, note Biale (cit. p. 44), de voir Scholem choisir Cohen pour représenter le judaïsme, dautant plus quil a lui-même systématiquement rejeté la conception libérale et rationaliste du judaïsme quincarnait Cohen. Nous avons ici un aperçu significatif de la philosophie scholémienne de lhistoire: son assaut révolutionnaire contre les positions de ses prédécesseurs ne sest jamais transformé en négation. Même quand il réduisait à néant leurs conclusions, il les considérait toujours comme des membres à part entière de la tradition.» |
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Si tout, dans ce mouvement de jeunesse, suscite le désespoir sans quil y ait, dans cette sphère, ne serait-ce que le moindre espoir dun revirement, il faut alors suivre une autre voie. Lancienne ne conduit pas à Sion, mais se perd à travers les innombrables ramifications du bavardage. Il ne peut y avoir de doute quant au but de cette autre voie, qui nest pas nouvelle et na pas besoin de lêtre, mais, simplement, na pas encore été empruntée. Elle ne sera pas lobjet dun bavardage, et si elle est en rapport avec cette jeunesse, il faut que cette relation fasse apparaître ce qui len distingue. Le silence, le travail, la connaissance, la pureté, la rigueur, le renoncement, et quelles que puissent être les autres prescriptions qui devront se développer dans lexistence des sionistes, toutes se réalisent en une seule chose: la responsabilité. La responsabilité est la relation de la vie à la mort. Être responsables face à notre tâche, voilà ce à quoi nous devons aspirer. Si nous mourons au regard de lhistoire, alors notre mort sera une mort juive, car elle sera lenseignement que nous léguerons. Une vie menée sur de telles bases pourra à bon droit être qualifiée de juvénile. Sion est lobjet dune telle vie. Vous proposez à la jeunesse juive de sorganiser. Je ne peux souscrire à votre proposition. La jeunesse qui serait digne dune alliance nest pas encore là; et lorsquelle sera là, comment pouvez-vous croire quelle choisira de sorganiser autrement quen nouant une alliance secrète, lunique possibilité de communauté solitaire, réalisée à lécart de la publicité. Car la puissance de la jeunesse juive ne consiste pas dans sa manifestation ni dans ses revendications, mais dans le retrait où elle saisit la tâche qui est la sienne, et dans la grandeur du renoncement où sa plénitude trouve une forme. Devons-nous mettre un terme à nos associations ? Oui. Ne doit-on plus écrire darticles sur nous ou pour nous ? Non. Empêchez, dans votre domaine, la jeunesse de dégrader continûment le langage ce qui pour un Juif devrait être la chose suprême en alimentant la fontaine publique de ses expériences vécues. Dirigez la passion combative contre vos lecteurs qui menacent denvahir la revue. Mais je fabule. Car les lecteurs et cette revue qui est la vôtre sont, en effet, identiques; ils sont le mouvement de jeunesse contre qui je viens ici de témoigner. Le reste est silence.
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