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Gershom Scholem : Le prix d'Israël |
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4. Le but final (1931) |
«Editorial de la rédaction». Original en hébreu paru sans signature dans la revue du Brit Shalom: Sheifoteinou, vol. 2, n° 5, mois de Juillet-Août 1931, repris dans Od Davar, p. 68-71 [Ne figure pas dans la Bibliographie]. Cet article, comme ceux qui suivent, a été écrit à loccasion du XVIIe Congrès sioniste (voir supra). Le 1er Août 1931, Scholem avait écrit à son ami Walter Benjamin, une lettre dans laquelle il sexprimait longuement sur les questions abordées dans ce texte. Cette lettre, dune très grande importance («Je considère tes pages comme une sorte de document historique» lui écrira Benjamin, Correspondance, vol. II, lettre 206, du 3 octobre 1931, trad. fr. G. Petitdemange, Aubier, Paris, 1979), a été publiée ensuite par Scholem dans Walter Benjamin. Histoire dune amitié, p. 193 sq. Nous en donnons ici de larges extraits, fort instructifs quant à létat desprit de Scholem à cette époque: «... A la question timide posée à la fin de ta lettre, sur ce que je pense du dernier Congrès sioniste, je ne puis malheureusement répondre quen texposant la situation extrêmement peu réjouissante dans laquelle ce congrès nous a laissés. À dire vrai, la divergence radicale qui existe entre ma conception du sionisme, orientée vers un renouveau du judaïsme, et que jaccepte en définitive dentendre qualifier de mystico-religieuse, dune part, et dautre part le sionisme empirique fondé sur la distorsion que représente la perspective, irréalisable et provocatrice, dune soi-disant «solution politique de la question juive», est devenue évidente pour moi au fur et à mesure de lévolution de ces deux dernières années, évolution qui a trouvé son point culminant dans les résolutions du dernier Congrès. Certes, le sionisme en tant que mouvement a toujours représenté bien davantage que sa forme dorganisation empirique. Cependant, au cours de toutes ces années, il subsistait une possibilité, pour les gens comme moi, de promouvoir notre cause qui, à lorigine navait évidemment rien à voir, ni avec les Anglais ni avec les Arabes, au sein de cette organisation. Plus exactement, cela nous était indifférent (...) étant donné que lavènement historique réel du sionisme était en tout cas garanti du point de vue de sa légitimité. Mais depuis que, au cours de ces dernières années, les forces de la réaction pure se sont imposées à leur manière dans le sionisme, politiquement aussi bien que moralement, et quà ce congrès des décisions ont même été prises qui concernent directement cet aspect des choses, il y a une crise aiguë, pour moi-même et quelques autres, dans nos rapports avec le mouvement sioniste. Pour ma part, je ne crois pas quil existe une solution à la question juive au sens dune normalisation des Juifs, et je ne pense certes pas que la question puisse être résolue dans ce sens là en Palestine. Ce qui a toujours été et reste évident pour moi, cest simplement le fait que la Palestine est nécessaire, et cela me suffisait, quelles que fussent les attentes des uns et des autres; dans ce contexte, aucun programme sioniste ne liait ici mes mains à quiconque. Mais maintenant les choses ont changé. Le petit cercle de Jérusalem auquel jappartiens [le Brit Shalom], avait formulé et appuyé lexigence dune orientation nette du sionisme, dont la pierre de touche devait être la question arabe, mais dont le point de départ était une vision des choses complètement différente, qui navait rien à voir avec la politique étrangère. Dautre part, depuis 1929, une campagne extrêmement violente a été lancée contre nous (...). A la suite de tout ceci, le congrès a voté une résolution, ouvertement dirigée contre nous, sur le «but final» du sionisme. Si lon prenait cette résolution à la lettre, il en résulterait automatiquement que nous ne serions plus des «sionistes», au sens de lorganisation. Il est vrai que, bon gré mal gré, on se décidera à faire la politique extérieure défendue par nous (ce «nous» représente moins de vingt personnes, des intellectuels déracinés, comme on dit ici, et qui néanmoins ont exercé une influence considérable). On la fera dailleurs trop tard, et en contestant notre paternité. Et surtout on la fera sans adopter lattitude intérieure correspondante; et puisque en définitive, cest lattitude intérieure qui compte, tout restera vain. Dun autre côté comme je lai dit on a adopté contre Magnes, et les professeurs de lUniversité qui maintiennent, si jose dire, le flambeau dAhad Haam, une résolution formidablement réactionnaire, destinée à nous faire taire une fois pour toutes. (Il y eu, certes, une forte résistance, car les socialistes [du Mapaï] avec lesquels nous sommes, par ailleurs en conflit grave, car nous leur reprochons de faire une politique arabe réactionnaire, et ils nous en veulent à mort pour cela ont tout de même trouvé cette résolution exagérée.) Il faut dire que cette résolution na aucune signification réelle, si ce nest que chaque antisémite allemand pourra sappuyer sur elle, avec succès, pour justifier lexigence dune «épuration» des universités, visant à en chasser les théoriciens gênants (...) Quelles sont les forces qui sont en train de provoquer léchec du sionisme? Ce nest pas difficile à dire, mais je ne sais si tu me comprendras: le sionisme meurt davoir gagné. Il a anticipé sur ses victoires dans le domaine spirituel, et il a ainsi perdu le pouvoir de les remporter dans le domaine physique. Il a en effet rempli, au prix dénormes efforts, une fonction quil navait nullement prévu de remplir. Nous avons gagné trop tôt. Notre existence, notre triste immortalité, que le sionisme a voulu stabiliser de façon immuable, est à nouveau assurée dans le temps, cest-à-dire pour les deux prochaines générations, mais nous avons payé pour cela le prix le plus affreux. Car avant même davoir réalisé et imposé, dans la vie du pays et de la langue, le raccordement au passé, nous avons perdu nos forces sur le terrain où nous navions jamais pensé avoir à combattre. Lorsque le sionisme sest trouvé vainqueur à Berlin, donc dans le vide du point de vue de notre tâche, il na plus été capable de gagner à Jérusalem. Lexigence de lhistoire à notre égard est satisfaite depuis longtemps, mais nous ne lavons pas remarqué; et il savère que la tâche historique du sionisme était tout à fait différente de celle quil sétait lui-même fixée. Le désespoir du vainqueur, voilà depuis un certain nombre dannées, la vraie obsession du sionisme. Celui-ci représente peut-être, dans lhistoire du monde, lexemple le plus significatif de la loi mystérieuse qui régit les effets de la propagande (la substance de notre défaite). Les montagnes darticles par lesquels nos intellectuels ont voulu prouver notre victoire dans le visible, avant quelle fût remportée dans linvisible, à savoir dans le renouveau de la langue, représente le vrai Mur des Lamentations de la nouvelle Sion. Maintenant, certes, il ne sagit plus de nous sauver la consolation dune victoire illégitime ne saurait être trouvée que dans loubli , mais de sauter dans labîme ouvert entre notre victoire et la réalité. En nous livrant à la vaine passion dune vocation publiquement exposée, nous avons sollicité nous-mêmes les puissances de la destruction. À partir du moment où cette vocation a été profanée et galvaudée, où lon a renoncé à développer la communauté dans sa légitime obscurité, où la trahison vis-à-vis des valeurs secrètes qui nous ont attirés ici est devenue un aspect positif de la propagande diabolique, notre catastrophe a commencé. A partir du moment où notre cause est devenue trop visible, elle sest trouvée exposée à la destruction. La rencontre avec la Belle au bois dormant sest produite devant trop de spectateurs pour pouvoir se terminer par une étreinte. Le sionisme a méprisé la nuit. Il a transposé lengendrement, qui aurait dû être son but suprême, sur un forum mondial où il y avait trop de lumière, et où lexigence du vivant allait dégénérer en une prostitution des derniers restes de notre jeunesse. Ce nétait pas là le lieu que nous étions venus découvrir; ce nétait pas le feu auprès duquel nous pouvions nous enflammer. Entre Londres et Moscou, nous nous sommes égarés sur le chemin de Sion pour nous retrouver dans le désert dArabie. Par notre présomption, nous avons nous-mêmes barré le chemin qui conduit au peuple. Ainsi tout ce qui nous reste, cest la productivité de celui qui sombre, et qui le sait. Cest à elle que je madonne ici depuis bien des années. Car enfin: où le miracle de limmortalité se serait-il caché si ce nest ici? (...)»
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Le Congrès sioniste a statué, si lon peut dire, sur le but final du sionisme. Or cette décision suscite un certain nombre de questions. Le sionisme aspire à résoudre la question juive en Eretz-Israël et, par conséquent, celui qui ne croit pas à cette formule définitive, celui qui, comme beaucoup dentre nous, se contente de croire que la création dune entité nationale juive en Eretz-Israël est un besoin essentiel et une nécessité vitale pour notre peuple, et que la tentative est nécessaire, même sil nest pas en son pouvoir de «résoudre» la question juive, celui-là nest pas sioniste selon la nouvelle définition. Auparavant, toute personne qui pensait que la création dun foyer national était une chose nécessaire, était appelé sioniste, et non-sioniste celui qui la jugeait comme une chose probablement désirable, mais non nécessaire. Cest pourquoi certains dentre nous devront se reposer la question sur la base de cette nouvelle définition. Autant le dire demblée: nous nacceptons pas ces propos arrogants. Personne ne connaît le sens de cette formule solennelle, «la solution de la question juive», même si chacun pense y découvrir quelque chose de concret. Celui qui nest pas prêt à se laisser abuser par de tels mots sublimes (particulièrement appréciés par les délégués ouvriers) ne doit pas désespérer: beaucoup de ceux dont le sionisme shonore de lestime, ny ont pas cru et ont même ouvertement renié ce principe. Si lavis du Congrès est que Ahad Haam ne doit pas être compté au nombre des sionistes, il est préférable quil le dise franchement et nous nous consolerons. Cela fait des années que nous, membres du Brit Shalom, avons demandé une nouvelle orientation du sionisme qui envisagerait aussi une sorte de renonciation claire et nette à la création dun «État juif». Nous avons dit que la réalisation pacifique du sionisme est sans issue aussi longtemps que nous ne dirons pas clairement ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Notre requête nest pas le fruit dune pensée par trop hâtive ou légère, mais de la reconnaissance dune nécessité historique: en période de crise, le sionisme est interpellé malgré lui sur cette question par le monde alentour, sinon par le peuple juif lui-même. Aussi la politique du Mapaï, qui préférait fermer les yeux pour ne pas voir la nécessité de cette question, nétait pas la bonne: il pensait échapper ainsi à une réponse claire, en insistant sur le travail concret comme si ce travail ne se faisait pas au nom dun but reconnu et comme si lon pouvait tromper tout le monde par de tels escamotages et se taire au moment où il faut parler, comme si ce silence lui même nétait pas déjà un aveu de culpabilité. Quand les délégués ouvriers ont été sommés de sexprimer clairement au Comité politique du Congrès, ils nous ont rendus responsables de cette discussion malheureuse. Sans les interventions des «réducteurs du sionisme» qui ont ouvert le débat, comme le dit Ben-Gourion, il naurait pas été nécessaire de se battre aujourdhui contre les formules creuses et dangereuses des Révisionnistes; ceux qui ont voulu la clarté sont ceux-là mêmes qui ont réveillé le loup prompt à déchirer le mouvement sioniste par ses paroles grandiloquentes. Quelle que soit la véracité de cette «accusation», il nous semble que cest cet aveuglement et cette indécision, caractéristiques de la conception politique du Mapaï au cours de ces dernières années, qui ont fait en sorte que lon considère essentiellement cette clarification nécessaire comme un fait accidentel, auquel on aurait pu échapper, neût été les «réducteurs» qui ont permis au côté adverse de se faire entendre ! Pour autant, nous navons pas à en rougir. Comment se fait-il que cette discussion nait pas été voulue par le plus grand nombre? Pourquoi a-t-on accepté finalement une formulation équivoque sur le «but final du sionisme», qui peut se comprendre dune centaine de manières et ne veut rien dire, parce que chacun pourra y trouver ce qui lui plaît? Se fait jour ici la terrible réalité mentale qui conduira à la destruction du mouvement et à sa dissolution: la grande majorité du Congrès veut un État juif, mais elle nest pas prête à le reconnaître ouvertement. Doù toute cette manigance, tous ces escamotages auxquels nous avons assisté lors de ce Congrès et qui ne sont pas dignes dun grand mouvement. La liste des travailleurs ne sest pas battue contre les formules d«état» et de «majorité», parce que ces formules ne sont pas les principes du sionisme cest clairement notre position , mais pour des raisons stratégiques. En dautres termes: ce nest pas leur conviction, mais leur analyse politique et leur crainte pour le destin de lentreprise qui ont parlé par la bouche de la majorité des opposants à cette définition. Cette démarche ne doit pas être négligée. Et tout ce qui a eu lieu au cours de ces dernières années nen reste pas moins évident: la pression externe de lhistoire, les circonstances et les vicissitudes de lévolution obligeront le mouvement ouvrier à adopter de fait, même en grinçant des dents, une politique d«alliance pour la paix», non pas parce que telle est leur volonté ils se défendent de vouloir, à Dieu ne plaise, «couper les ailes du rêve», ce dont nous accuse Moshé Shertok dans Davar , mais parce quil nexiste pas dautre solution pour la poursuite de lentreprise. Les choses en sont arrivées au point que de bonnes âmes parmi les opposants déclarés du Brit Shalom se sont manifestées lors du Congrès et ont montré que la question de la majorité nétait pas décisive, que le sionisme pouvait se réaliser même sans majorité, que ce nétait pas la seule quantité, mais aussi la qualité qui comptait1. Cest le signe quils ont appris quelque chose, bien quil y a un an et demi à peine, les mêmes personnes aient exprimé dans leur polémique avec nous des propos complètement différents. Voici la question qui se pose à nous à présent: peut-on penser ou espérer que la position stratégique adoptée à contre-cur par les travailleurs, se transforme chez eux en croyance et en reconnaissance authentique? Est-ce que le Brit Shalom peut être daccord avec le contenu de la décision prise au sujet du «but final»? Il est clair que non, comme il est tout aussi clair quil est de notre devoir de nous battre contre cette formulation bancale et creuse. Qui donc ses auteurs voulaient-ils duper avec leurs escamotages? Les termes en sont très incertains et vides, sans quon sache précisément sils constituent une paraphrase ou une réfutation des mots interdits «état» et «majorité», ou encore les deux à la fois. Cette décision na pas permis de clarifier lambiance interne du mouvement sioniste. Elle se réfère à nous dans son dernier paragraphe: elle proteste contre «toutes les tentatives daffaiblir limage du sionisme». Ce nest quune rhétorique creuse que nous navons pas à reconnaître et à accepter. Nous navons nullement lintention daffaiblir limage du sionisme, mais de sortir les sionistes dun rêve inutile et dangereux, un rêve qui na aucun rapport avec lessence du sionisme comme mouvement de renaissance du peuple juif, et nous devons continuer cette guerre avec dautant plus de vigueur et daudace. Si le rêve du sionisme est fait de chiffres et des «frontières», et sil ne peut pas exister sans cela, eh bien il est voué à léchec, ou plus exactement il a déjà échoué. Et même si les mots «esprit» et «force intérieure» sont devenus aujourdhui objets de raillerie et de dérision dans le camp sioniste, nous devons dire clairement et redire encore que sil est vrai que le travail du sionisme dans la réalité est un travail externe, un travail de chiffres, le rêve attaché à cette réalité est dune autre nature. Le mouvement sioniste ne peut plus se libérer du visage réactionnaire et impérialiste que lui ont assigné non seulement les Révisionnistes, mais tous ceux qui ont refusé de prendre la mesure de la réalité de notre mouvement dans lOrient qui se lève. Notre devoir est de forcer le mouvement à découvrir son vrai visage à lintérieur du formidable fatras des idées confuses dans lequel il sombre maintenant, un fatras qui a trouvé son expression dans la composition de la nouvelle direction, où la liste des Travailleurs a envoyé Arlozorov siéger aux côtés de deux Révisionnistes camouflés et même non camouflés, parce que nous attendons encore quon nous dise quelle est la différence entre Farbstein et les Révisionnistes. Comment définir une voie pour la paix avec les Arabes en collaborant avec de telles forces cest apparemment le secret des dirigeants du Mapaï, et lon peut supposer aisément que ni eux, ni la réalité, ne pourront nous le révéler. Si la résolution du Congrès ne dit pas clairement ce que nous voulons vraiment, elle ne dit pas pour autant ce que nous ne voulons pas. De même quils nont pas dit sils veulent dun État juif, ils nont pas dit non plus quils nen veulent pas, cest pourquoi tout est resté dans sa confusion antérieure. La démarche officielle et courageuse consistant à renoncer ouvertement à ce qui est inutile, na pas été accomplie. Elle nest encore pour nous quun vu qui, pour notre propre malheur, ne se réalisera probablement que sous la pression dune réalité encore plus sombre, et après que sera passé le moment favorable où le mouvement sioniste ne pourra plus échapper à cette renonciation qui aura été profitable à notre projet. Ceux qui ressentent déjà le besoin de cette renonciation et nul doute quils sont nombreux dans le mouvement ouvrier ont payé par leur silence pour parvenir à l«union» du camp, par crainte que les Révisionnistes et leurs semblables ne quittent la Histadrout, et ils ont retardé ainsi la convalescence du mouvement sioniste.
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