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Gershom Scholem : Le prix d'Israël |
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6. Qui sont les diviseurs ? (1931) |
Original hébreu paru dans Sheifoteinou vol. 2, n° 6, août-septembre 1931, repris dans Od Davar, p. 74-82. Une traduction française partielle de cet article a paru dans le volume édité par Denis Charbit, Sionismes, p. 630-632 [Bibliographie 104].
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Les évidences exprimées dans la précédente livraison de Nos aspirations sur la question de la situation du sionisme après le Congrès de Bâle, qui nétaient nullement ambiguës, et ont empêché nos respectables adversaires de continuer à jouer au petit jeu amusant des distinctions entre les différents «courants» du Brit Shalom, comme si le sionisme ne savait pas lui-même ce quil cherche ; ces évidences nont pas sitôt déchaîné contre nous la fureur de ceux qui croient sincèrement quils ne sont pas touchés par la maladie du doute, ni consumés par le désespoir, que Dieu les en préserve!, de ceux pour qui «les anciens auront des rêves et les jeunes auront des visions», que sest déjà abattu sur nous la colère de lun de ces remarquables «anciens», Shmuel Yavnéli, gardien de la flamme du sionisme (ou de ceux qui le couvent en silence?). Et lorsquil a levé le voile sioniste qui couvrait nos visages, et quil y a reconnu ce visage, noir de désespoir comme les bords dune marmite, il sest empressé davertir les lecteurs de Davar de notre nature véritable et de notre ascendance, parce que le Brit Shalom, ne serait en fait quune «sur cadette» de la noire Agoudat Israël, nous informant également, et avec le même empressement, que nous étions désormais exclus du mouvement sioniste! Or ce respectable ancien est allé bien vite en besogne. Supposons quil existe une institution autorisée qui puisse nous exclure de la Histadrout sioniste (chose improbable daprès ses règlements) ; supposons encore quils aient quelque intérêt à nous en exclure, nous serions tout de même très surpris de savoir qui, sinon notre conscience et nos propres décisions, pourrait nous faire sortir des rangs dun mouvement autrement plus important que la Histadrout, et qui nest pas limité par des formules susceptibles de changer demain en fonction de la composition de ses forces. Au contraire, je sais gré à Yavnéli de sêtre donné la peine de vouloir nous alléger du poids de cette responsabilité et de décider à notre place où nous situer et vers où nous diriger, mais je pense quil est plus juste et plus important que nous essayons par nous-mêmes de clarifier notre rapport au mouvement sioniste et de savoir où est notre place dans le mouvement actuel. Une chose est sûre: il y a une petite part de vérité dans les paroles de Ben-Gourion, qui affirme que ce qui nous différencie les uns des autres nest pas la question arabe, mais la question juive. Les deux questions, pourtant, sont liées dans une large mesure, et particulièrement à propos de ces «mêmes bonnes années», au cours desquelles le rapport à la question arabe nétait pas encore défini sur la base de facteurs historiques externes, et lon peut dire que lattitude de mépris à légard de ce problème résulte directement de létat du mouvement et témoigne en fait dune sorte de symbole extérieur de sa position. Il nest peut-être pas exagéré de dire que limportance symbolique de la question arabe comme critère dévaluation de la nature des forces en présence au sein du mouvement sioniste, nest pas inférieure à son importance réelle, mais on ne doit pas nier quune telle importance sefface de manière évidente devant les questions concernant lessence même du mouvement, écartées lors de la discussion sur le Brit Shalom et sur la voie du sionisme. On peut douter que la politique descamotage puisse se transformer facilement en politique réelle, qui discernerait les véritables forces en présence dans les deux camps; un autre doute concerne la possibilité de succès dune nouvelle orientation extérieure qui ne saccompagnerait pas dun tournant, ou plus justement qui ne se concentrerait pas sur un tournant de son orientation interne, mais on ne peut à mon avis rejeter cette possibilité a priori. Nos sages ont dit: «La nécessité ne sera pas dédaignée»; il est possible que ceux qui réaliseront une politique plus ou moins proche de nos exigences concrètes sur le plan de la question arabe, par nécessité et sous la pression des conditions historiques, réussiront mieux que nous. Celui qui se souvient du long chemin qui conduit de la position impérialiste déclarée de lassemblée de lAkhdout-Ha-Avodah à Eïn-Harod au tout dernier programme du Mapaï, celui qui se souvient (ou fait leffort de lire dans les volumes défraîchis du «Kountress») ce quont exprimé, il y a déjà six ans exactement ceux-là même qui apparaissent à présent comme les porte-parole de la méthode «paritaire» des propos que de nombreux membres du Mapaï ne peuvent pas entendre aujourdhui bénie soit la force de lange de loubli! peut prendre la mesure de limportance dune évolution qui nest pas encore achevée; et sil existe une logique interne et une dynamique historique dans lidée socialiste que reconnaissent même ceux qui ne prônent pas une telle évolution, il est alors facile de dire de quelle manière elle sachèvera. Et cest pourquoi il est peut-être préférable de sen tenir ici, non pas aux détails des changements de nos futurs programmes concrets et de faire des compromis, mais aux véritables fondements qui sont à lorigine des désaccords. Il me semble que deux réflexions principales ont mûri chez nombre dentre nous (et pas seulement parmi les membres du Brit Shalom) à propos de la voie historique du mouvement sioniste, deux doutes qui se dégagent de la compréhension de son processus de réussite: le premier, que nous ne sommes pas habitués à prendre en considération, est né de sa réussite «interne», et le second bien connu, est lié à sa réussite «externe». De quoi sagit-il en vérité ? Même ceux dentre nous qui nont jamais considéré le sionisme comme un mouvement politique et ne se sont pas nourris des écrits de Herzl, ont rejoint le grand mouvement, mus par le seul désir dune renaissance nationale: nous avons pris conscience de la nécessité de modifier fondamentalement la situation du peuple juif et nous avons tous pensé que la seule voie pour réaliser ce changement, cétait la création dun centre en Eretz-Israël. Tant que nous naurions pas relevé les ruines de la nation au sein dune structure nationale en Eretz-Israël, le renouvellement du judaïsme aurait été impensable. Plus encore: il ne fait aucun doute que le sionisme ait eu lintention de changer la base instable de lexistence du peuple qui, antérieurement, se transmettait dune génération à lautre. Leffort qui consistait à donner une assise ferme à cette existence précaire a coûté énormément dénergie au peuple, chaque génération exigeant un plus grand effort, sans que nous parvenions à en assurer la pérennité. Vint le sionisme qui voulut changer cet état de choses: assurer, une fois pour toutes, par un effort historique extraordinaire, lexistence du peuple et non plus la poursuite malheureuse de notre existence de génération en génération. Eretz-Israël allait être le moyen de ce bond historique, dont le but était la création dune immortalité nationale. La survie du judaïsme dans notre patrie ancestrale pendant une seule génération ne nous intéressait pas non plus; un tel effort nous paraissait vain, car nous voulions y susciter une force intérieure de nature à lassurer pour toutes les générations, et nous nous moquions des efforts dérisoires des Juifs pratiquants ou des Juifs assimilés qui ne soccupaient, selon nous, que des petites besognes du judaïsme. Nous ne cherchions pas à apporter un remède au mal de la périphérie, mais à celui du centre. Or voilà ce qui sest passé: si nous avons suscité un mouvement puissant avec un certain objectif, nous avons, en vérité, tenu un rôle bien différent! Cest le sñonisme qui a assumé au cours de cette période le rôle quont tenu, il y a une génération, ces mêmes forces auxquelles il est venu se substituer et sopposer. Une puissante capacité de régénérescence a été suscitée par le peuple juif par la volonté de son rassemblement en Eretz-Israël, et non par lacte même du rassemblement. La réalité est quavant dêtre actif en Eretz Israël, comme cela semblait nécessaire, le sionisme a opéré en diaspora. Le sionisme a assuré de nouveau lexistence du judaïsme pour une ou deux générations. Cest une victoire à laquelle nous navions jamais pensé : nous avons vaincu sur un terrain où nous navions pas lintention de nous battre et, ce qui est plus grave encore, cette victoire a coûté au sionisme le meilleur de sa sève vitale, dimmenses forces qui lui manquaient et qui lui manquent encore au moment où il en arrive à ce quil pensait être lessence même de sa mission: la création dun centre national actif. Le fait est que, dune certaine manière, ce centre a «rayonné» et a exercé une activité qui devait rendre son existence inutile dun côté, et impossible de lautre. Telle est la dialectique de la victoire: le chemin, comme le dit le poète, est plus sage «que celui qui lemprunte». Et le chemin choisi a rendu inutile la réalisation de son but. Nous ne discuterons pas ici de la formulation du «but final», mais il est clair que lessence même de ce but impliquait un élément révolutionnaire, une transformation des priorités du judaïsme qui, pour latteindre, exigeait bien évidemment toutes nos forces. Mais lhistoire en a décidé autrement: lessentiel de cette immense force qui résultait de la volonté datteindre un but clair, a été investi dans la réalisation dun but tout à fait autre, concrétisé à travers une diversion et non pas intentionnellement. La position minoritaire et la faiblesse du sionisme dans de nombreux pays est connue et visible: nos écrivains et nos philosophes sen plaignent et sen inquiètent, mais il est à craindre que nous nous leurrions nous-mêmes à nous plaindre de la sorte. Prenons lexemple de lAllemagne. Il ne fait pas de doute, à mon avis, que le sionisme (y compris sous ses formes secrètes) a été la force revitalisante et rénovatrice dun judaïsme allemand dégénérescent. Le sionisme est parvenu à le sauver dun anéantissement spirituel, précédant un anéantissement historique, et il savère quaprès cette opération de sauvetage, quaprès queut été assurée lexistence positive du judaïsme pour une nouvelle génération, il ne restait presque plus de force véritable susceptible dêtre investie dans lédifice principal. Cest-à-dire: seul un objectif doté dune grandeur et dune suprématie absolues pouvait susciter les forces secrètes qui se sont dévoilées dans ce judaïsme. Une fois que ces forces ont été dirigées vers une activité qui navait presque pas dappartenance à lentreprise eretz-israélienne, le sionisme sest trouvé floué ou, plus précisément, il sest avéré que ce sionisme-là navait servi objectivement quà de telles actions. Nous nous sommes trompés en pensant que lémergence de ces forces nouvelles serait un atout supplémentaire pour nous, alors quelles ne furent quune des raisons de notre échec. Plus de quatre-vingt-dix pour cent de lénergie des sionistes allemands ont été consacrés à des tâches «secondaires», provisoires, à un travail de préparation, et il est clair quavec les dix pour cent restant, il est impossible de réaliser la tâche originelle, deffectuer le grand bond historique. Mais ce nest pas tout: la réalisation même de cet objectif est devenue inutile à leurs yeux. Le sursaut relatif du sioniste allemand, a surtout permis de renouveler la vie juive dans son pays et non pas en Eretz-Israël. Il pensait cependant que ce renouveau lui arriverait seulement de là-bas, mais ce moyen nétait pas nécessaire, ou ne devenait nécessaire que sous la contrainte, et non dans la réalité. Laction en diaspora était essentielle, tandis que laction à Sion devenait secondaire: cest lévidence que nous nous cachons à nous-mêmes depuis toutes ces années. Le phénomène nest pas différent dans les autres pays, daprès tout ce que nous apprenons de là-bas. Et il est difficile de déformer la loi historique et de dire que ce processus était le fruit du hasard, comme sil y avait une sorte de culpabilité des sionistes, qui se sentent très bien quand ils sont là-bas et ne souhaitent pas faire le grand saut dont ils parlent. Les sionistes sont restés en chemin. Le désir dédifier Sion na rien créé dautre que lexil, et on peut même se demander si, hélas, il nen avait pas été décidé ainsi depuis le début. Il y a bien longtemps que la majorité écrasante des sionistes sest accommodée de la réalité, et la force du réveil que cette majorité tire de sa croyance abstraite quEretz-Israël est le seul moyen dassurer notre existence, il la fonde sur le fait dassurer son existence là où elle se trouve elle-même, à savoir là-bas. Lextrémisme factice des exigences du sionisme na servi daiguillon et dimpulsion quà des actes qui ne comportent aucun extrémisme, mais qui manifestent seulement la même continuité historique de la vie en diaspora, que semblait dabord désavouer le sionisme et quil voulait précisément briser. En vérité, le mouvement sioniste sest scindé depuis longtemps en deux mouvements encore liés lun à lautre et réunis seulement de manière fictive, par la force de lidéologie, qui pour la première partie (déterminante) du mouvement sest vidée de tout contenu indépendant et dont les slogans les plus solennels ne sont rien dautre que des monstres et des fantômes sans consistance. Lécart entre ces deux types de sionisme ne cesse de croître: le mouvement eretz-israélien nest plus identique au mouvement de rénovation nationale, qui continue, visiblement, à se nourrir et à tirer sa force réelle immense, non pas de la volonté dune émigration révolutionnaire mais, au contraire, des couches profondes de la réalité de la diaspora. Ce nest pas lobjectif qui a influencé le mouvement au cours de toutes ces années, comme les sionistes aiment à le croire en leur for intérieur, ce nest que lorsquils ont commencé à faire leurs premiers pas sur la voie de leur objectif, que cette marche a suscité des forces positives et vitales nouvelles auxquelles nous ne rêvions pas et qui ont commencé à se développer daprès leurs propres lois et non pas daprès les lois du but à atteindre. En dautres termes, le sionisme sest structuré en chemin, les forces qui lont rejoint dans sa marche sont celles qui le retardent et constituent sa réalité. « Doubnov » (si je puis me permettre dutiliser ici ce nom seulement comme symbole) la emporté dans cette victoire du sionisme : voilà, en résumé, le paradoxe du mouvement sioniste. Ne nous trompons pas: le mouvement «sioniste» de la diaspora dans sa forme et sa force réelle (et non dans ses slogans qui, après tout, ne sont pas importants pour son destin interne) continuera dexister même si Eretz-Israël sombre demain dans la mer; depuis très longtemps, la «Sion» de la majorité des sionistes tient davantage de la «tente dassignation», que lon peut dresser partout, que du «Temple». Le courant du sionisme qui ne sest pas arrêté en chemin et qui pense encore ce nest pas quune formule que son action en Eretz-Israël est le seul ou le principal moyen de renaissance nationale, nest quune secte. Et le combat de cette secte est en fait plus difficile que le combat du sionisme « doubnovien » (même quand il est strictement révisionniste), et cest là un des facteurs les plus importants pour aggraver la distance qui existe entre eux: le sionisme pouvait triompher en diaspora dans le cur des Juifs, tant quil ne triomphait pas dans la réalité historique eretz-israélienne. La victoire du sionisme en diaspora relevait dun processus interne et spirituel qui ne fut pas gêné par de puissants facteurs historiques et à plus forte raison par des facteurs extérieurs, ce qui nest pas le cas du sionisme en Eretz-Israël, qui doit bâtir en même temps lédifice physique grâce auquel il veut agir, en dépit des lourdes contraintes de la réalité historique et des circonstances objectives. La plupart des forces spirituelles suscitées par le sionisme furent versées dans le creuset qui était déjà prêt à les accueillir en loccurrence, le judaïsme local des pays de la diaspora, dont seul un petit nombre servit au nouveau creuset dEretz-Israël, auquel il était en fait destiné, de sorte que la création de ce dernier fut retardée. Je défends ici lidée que le sionisme visant une action concentrée sur la renaissance du judaïsme en Eretz-Israël nest plus quune secte, une secte peut-être profondément enracinée dans le sol du peuple et de son terreau, mais une secte tout de même, et non plus un vaste mouvement national. Ce constat na rien de catastrophique à mes yeux. Il est clair que ceux qui mèneront le combat du sionisme jusquau bout seront assez peu nombreux, mais le mot «secte» ne sonne pas bien aux oreilles de nombreux sionistes. Ils y voient comme un affront à «la finalité nationale» du sionisme, et si on analyse la réalité sioniste dans toute sa nudité, ils nont quune seule réponse à la bouche, une réponse toute faite qui est la pierre angulaire de tout cet édifice dauto-persuasion optimiste et de la supercherie dans lequel se sont réfugiés les sionistes au moment critique. Je veux dire que le sionisme na pas encore vraiment commencé, que nous ne sommes que les pionniers de la nation et que le gros des troupes viendra, même sil tarde à se manifester. Et cest pourquoi nous ne sommes pas une secte, car lessence même de notre action est de montrer la voie aux masses qui doivent venir. Celui qui ne croit pas à cela, manque de foi et a désespéré du salut. Ce désespoir nous aurait donc déjà dévorés ! Cest une belle croyance sans doute, mais elle ne repose sur rien. Le mouvement sioniste, qui sest manifesté dans cette génération, a remporté ses victoires et est arrivé à une crise aussi bien interne quexterne, nest pas le «pionnier» de quoi que ce soit, ni de quelque révélation de lumière cachée qui doit surgir, mais il est, en soi, lessence même du mouvement. Le «vestibule» dans lequel nous nous tenons, selon les paroles des prophètes, pour nous préparer à la beauté et à la grandeur du véritable Palais cest le Palais lui-même! La consolation distillée par les beaux parleurs qui nous dirigent, selon laquelle trente ans dans la vie dune nation sont bien peu de choses, est un mensonge. Au contraire: à lheure décisive de la vie dune nation, trente ans sont une très longue période, et nos «consolateurs» ferment trop complaisamment les yeux sur cette dialectique historique qui empêche lunion, par la réalisation de nos objectifs en Eretz-Israël, des grandes forces qui se sont révélées dans le mouvement sioniste. Lheure de vérité a déjà sonné pour le sionisme, elle est même passée, et nest pas éternelle: «laffaiblissement» du sionisme dans la diaspora est un signe quil a rempli son rôle; non pas son rôle idéal, mais son rôle historique. Et lon peut douter fortement que les fondements sur lesquels le sionisme sest établi comme idéal soient encore valides. Par la force des choses, le sionisme court le risque de devenir un épisode dans lhistoire de notre peuple et le signe de cette transformation en est le problème difficile de la transmission de son message à la prochaine génération. Cependant cette difficulté ne provient pas seulement de sa situation interne, mais de la tare dont il sest entaché en se joignant, au plan de laction politique, à ceux qui ont tiré avantage de lissue de la Première Guerre mondiale. Les heures de vérité sont très brèves: un seul jour a suffi à la social-démocratie allemande mais quel jour décisif pour le monde , pour quelle perde son âme, et il sen trouve pour nous dire que lépreuve du sionisme, qui dure depuis quinze ans, dans le creuset brûlant de lhistoire mondiale, aurait seulement commencé et pourrait (et même devrait) attendre «les masses» qui vont arriver, sans que les résultats de son expérience historique dans cette génération ne décident de son destin! Ils ne sont pas désespérés! Ils croient encore que rien nest arrivé et que rien na été décidé ! Ils vivent encore avant le «péché originel» du sionisme ou font aujourdhui comme sils ny avaient jamais participé au moment de laction. Comme sils navaient pas mangé le fruit défendu de Versailles ou comme si lon pouvait effacer dun revers de main les restes de ce festin historique qui se sont gravés profondément sur nos visages. Et notre désespoir, ce désespoir dune victoire qui nest ni à sa place ni à son heure, est ce qui nous sépare deux. Ce désespoir, qui nest rien dautre que la prise de conscience de notre véritable situation, nous stimule et peut devenir une source de nouvelles énergies positives. Le mouvement sioniste a accompli lessentiel de son activité non pas sur le terrain politique, ni, daprès tout ce qui vient dêtre dit, na pénétré sur ce terrain selon ses aspirations. Mais il est clair que ce mouvement na pas pu (et surtout au moment de ses victoires internes) sempêcher dêtre un facteur politique. Toute tentative de réaliser dans les faits ses objectifs en Eretz-Israël (quels quils puissent être dans le futur) lamènera malgré lui au contact avec dautres forces politiques. Mais le mouvement ne sest pas fixé de limites à ne pas dépasser dans ce domaine, il a conservé son entière liberté daction. Cette liberté nexiste plus. Le sionisme a déterminé sa position librement ou contraint et en vérité librement aux côtés de forces déclinantes et non pas de forces montantes. Il a pensé sa réussite au moyen des intrigues de la guerre, Versailles et San-Remo et la signature du Mandat [de la Société des Nations] pour la victoire, et cest cette victoire qui à présent nous cause du tort et devient un obstacle pour tout le mouvement. La puissance à laquelle sest allié le sionisme dans ces victoires était la puissance visible, agressive. Le sionisme a oublié de se rattacher à la puissance cachée, réprimée, qui doit monter et se révéler demain. Un mouvement de renaissance nationale peut-il se tenir aux côtés, ou plus précisément dans lombre des vainqueurs de la guerre? De nombreux socialistes dans notre camp naiment pas ces questions. Ils se mettent en colère quand on leur parle de limpérialisme auquel nous sommes alliés par les liens de la Déclaration Balfour. Alors quil y a dix ans, ils furent les seuls à se réjouir et à jubiler à lidée de cette union, car livresse de la victoire rend aveugle; et aujourdhui, alors quil nest plus possible de fermer les yeux pour ne pas voir le visage de notre partenaire, ils tentent de faire croire que rien ne sest passé, que cette union proclamée devant le monde entier (et même devant les forces que nous avions alors oubliées ou négligées!) na jamais existé. Il suffit pourtant de lire et découter ce que disent les gens du quotidien Davar, et tout particulièrement au cours de ces deux dernières années, pour comprendre à quel point nous ne sommes pas libres de nous débarrasser (si possible: comme si de rien nétait) de cette union. Sans catastrophe historique, il ne sera plus possible de retirer le mouvement des mains de ceux auxquels il sest livré. Terrible alternative: si le sionisme reste aux mains des puissances dominantes, bien naturellement il se brisera, et sil décide de les quitter, et on peut douter quil puisse le faire, cette séparation ne sera possible quau risque dexposer toute notre uvre à une totale destruction. La voie moyenne dont rêvent les socialistes du Mapaï: rester et partir en même temps, ce quils appellent «une triple alliance» , est une invention vide de sens, qui na aucun fondement réel dans cette situation historique. Le sionisme nest pas une puissance céleste, et cest pourquoi il na pas la force dunir leau et le feu: soit il sera emporté par les eaux de limpérialisme, soit il se consumera au feu de la révolution de lOrient qui séveille. Un danger de mort de part et dautre, et malgré tout il appartient au mouvement sioniste de décider. Je doute que le sionisme, cest-à-dire la petite secte qui veut encore bâtir son centre en Eretz-Israël, puisse encore être sauvé et échapper entièrement au terrain politique (ce qui serait naturellement lissue idéale, mais cest apparemment une issue utopique), et cest pourquoi il semble que le choix entre deux dangers soit inéluctable. Cest sur ce choix que nous divergeons. Je ne sais pas sil est encore possible pour le mouvement tout entier de changer de voie et dessayer de se lier aux forces qui détermineront le visage de la prochaine génération. Je sais néanmoins quil ny a pas dautre voie. Le sionisme doit revenir à ses sources quil a trahies au moment où il triomphait; il est préférable que le mouvement redevienne petit, mais sûr de son chemin et de son avenir, plutôt que de demeurer dans cet état de désintégration et de mensonge et de mourir avec les forces de la réaction quil a suivies à loccasion de ce péché originel qui a pour nom: une fausse victoire. Et même si nous ne remportons pas une nouvelle victoire, et que le feu de la révolution nous dévore, il vaut mieux que nous soyons du bon côté des barricades. |
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