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La vose de la sera Biagio Marin |
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La voix de Biagio Marin (1891-1985)
Jadis, du haut de sa pique tordue et après une conversation avec le compositeur Paul Hindemith , le violoncelliste Paul Tortelier avait proposé une Solmisation contemporaine : pour une clarification de l'étude des sons par une nouvelle dénomination plus rationnelle et plus précise des notes (Heugel & Cie, Paris, 1965). Le souhait de Tortelier était de rendre perceptible, par la dénomination même des notes musicales, la matière véritable de la note, sa "couleur". Ainsi le do diésé devenait Dé; le do naturel: Da; le Do bémolé: Do ou Dou. Ce principe lui aurait permis de corriger l'erreur de la solmisation traditionnelle qui ne mentionne jamais les altérations affectant les notes. L'altération, selon Tortelier, est un coloris' interne à la note, ainsi l'attribution d'une voyelle différente selon les différentes altérations lui permettait d'intégrer ce coloris dans le nom même de la note et, partant, de supprimer l'altération. "La sonorité doucement assombrie de la voyelle "o" et celle encore plus feutrée de "ou", écrivait-il, conviennent pour exprimer les notes bémolisées et doublement bémolisées". Et plus loin encore: "Les couleurs des voyelles songeait-il alors à: "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu"? étant ordonnées de façon à correspondre au coloris des altérations ascendantes et descendantes, il en résulte une meilleure perception des intervalles et des modulations propres à rendre plus sensibles les tons". Pour Tortelier "les avantages de la solmisation intégrale valent donc bien le sacrifice d'une phonétique pensée pour do majeur uniquement (nous soulignons)". Comment traduire une poésie dialectale, "décidée des terres fermes de la langue commune"? Comment traduire une langue dont le coloris', l'altération, échappe, dès lors qu'on la veut restituer dans une langue en do majeur, dominante, continentale? Comment rendre justice, paradoxalement, prioritairement, à la rime plutôt qu'au mot? Comment plier le mot à la musique des successions de vers, tout en lui conservant une certaine parenté' parenté qui désignât en même temps son éloignement, sa distance irréductible avec son sens dialectal ? La poésie de Marin, comme toute poésie véritable, ne supporte pas la transcription. Il faut s'y résoudre.Il faut se résoudre à ne pas compréhender ce qui la distingue.A ne pas comprendre et appréhender son éloignement d'une langue qui la refuse et qu'elle refuse. La traduction d'une telle poésie met à nu le défaut intrisèque de la traduction même. Elle désigne l'impossible persuasion, la rhétorique du traduire. L'outrecuidance qui est à la base du vouloir tout dire et montrer. Celui qui s'y risque sait que ce qu'il livre à l'il aura perdu sa matière, sa teinte, donnant les seules limites des lettres que le lecteur à sa guise pourra remplir, tout comme l'enfant colorie, toujours en débordant et sans jamais respecter les couleurs du modèle, les pages de son album de coloriage. Le risque est pris ici dans cette traduction de cinq poèmes de Marin, "cinq seulement". La substance du poème, son expression, est irrémédiablement perdue, dans l'instant même de son passage, et pour l'éternité.Il faut se résoudre à Babel dont la punition anticipe la faute qui consiste à vouloir tout dire.Elle s'accroît à mesure que l'homme prétend tout connaître. Elle s'amplifie à la mesure de son savoir. Pas même celui qui "sait qu'il ne sait pas" ne peut prétendre revenir à l'avant Babel. Le dire même est sa faute. Alors faut-il donc simplement "taire, ce dont on ne peut parler"? ou "parler, sans espoir, notamment, de se faire entendre"? Ce silence entendu ouvre la voie du repentir, qui fut créé "avant que ne fussent créées les montagnes, Ps. 90, 2" (Talmud B., Pessahim 54 a), avant que ne fut créé la faute.Apprendre à se taire.Devenir en-fant. C'est le seul salut.La santé nécessaire. La santé de Marin qui parle une langue minuscule, imperceptible. "Modeste" et "sincère". Non plus habitée par le dieu, mais habitant Dieu même, "dans le silence le plus tendu". Ces cinq poèmes sont précédés de deux essais de Massimo Cacciari et d'un hommage d'Andrea Zanzotto au poète de Grado. La vose de la sera a été publié dans la collection "I Garzanti Poesia", Milan, 1985, avec une introduction et une traduction italienne de Edda Serra. Biagio Marin est né le 29juin 1891; il est mort en 1985, laissant une uvre immense. Michel Valensi
Biagio Marin La voix du soir La vose de la sera Ultimes heures grains de perle d'un rosaire, comptés par le vieux solitaire, qui sait qu'il meurt. Mais que de bien en ces heures dorées, odorant le laurier qu'entre ses lèvres il tient. Et que de bien en l'envergure de l'âme sûre que le soleil, avec lui s'en vient. Ultime ore grani de perla d'un rosario contài dal vecio solitario, che 'l sa che 'l more. Ma quanto ben de queste ore ne l'oro, savorando l'aloro che ne la boca el tien. E quanto ben ne la largura de l'anema sigura che 'l sol, co' elo el vien. * Lumière d'été: je goûte encore en mon mode incertain, l'éternité. Lumière d'or suspendue comme psaume en l'église, calme lumière du soir quand se tait le mistral. Ma parole légère, un souffle du soir qui prévient de la nuit et des étoiles pieuses. Luse d'istàe: incora godo inserto 'l mio modo, l'eternitàe. Luse d'oro sospesa comò salmo de ciesa, calma luse serale cô tase el maestrale.
Parola mia lisiera, un súpio de la sera che preanunsia la note e le stele devote. * Le bleu du ciel de novembre est tout de pur velours: un souffle léger de bora l'effleure comme un salut. je reste et le regarde presque troublé et en lui je me glisse de nostalgie tout embrasé. Où veux-je aller, par quel chemin parvient-on à l'éternité alors que c'est déjà l'hiver? El blu del sielo novembrin xe de puro veludo: lisiero fiào de burin lo valisa a saludo. Me stago a vardâlo quasi turbào e in elo me calo de nostalgia avanpào. Indola vogio andâ, per quala strâ s'ariva ne l'eterno adesso che fa inverno? * Nous ne sommes qu'un instant dans le tissu de Dieu: il passe tout entier comme souffle du vent, sans toit sans grève où arriver pour reposer. Souffle de vent jusqu'à ce firmament, qu'à sa façon traverse le plus vide infini. Semo solo un momento de Dio nel tessuto: el passa del duto comò súpio de vento, che no l'ha casa che no l'ha spiasa indola rivâ per riposâ. Súpio de vento perfin el firmamento, che 'l trascore a so modo l'infinito piú svodo. * Moi, je me repose en Dieu et pour cela je renie tout, naissance et deuil, le large fleuve, l'étroit ruisseau. l'absence radicale est espace pour la paix: les âmes envahies du grand Rien arrivent à la sagesse. Que de paix dans le non d'une fleur de basilic: dans la complète obscurité de l'air éternel. Me, me riposo in Dio e per questo rinego duto, nassita e luto la gran fiumana, el breve río. La radicale assensa xe spàssio per la pase: l'aneme dal gran ninte invase ariva a la sapiensa Quanta pase nel no d'un fior de basigò: ne la gran scuritàe de l'arie eternàe. |
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