l'éclat |
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Giorgio Colli, Les cahiers posthumes (n.d.t.)
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« 11 novembre 1976, Dix autres années ont passé. Réalisations créatives, surtout la Philosophie de l'expression (69), la plus grande émotion... Puis un intervalle et l'aspiration à «L'encyclopédie de l'antiquité», longue, vaine et entêtée. En 74, une autre période créative déferle avec Après Nietzsche, plus agitée et plus heureuse, sans effort. Puis ensuite la Naissance de la philosophie. Mais entre-temps mon père est mort, et toute jeunesse s'est achevée. Cette année Andrea a été très malade, et nous l'avons vu s'éteindre ... Maintenant, depuis deux ans, nous sommes aux prises avec de grandes difficultés économiques. Mais ça a servi à me faire accepter une vaste entreprise de travail scientifique, ce dont je ne pensais plus être capable désormais. C'est une nouvelle édition critique des Présocratiques, et le premier volume est presque fini. Le coeur et l'esprit sont encore jeunes ... »
C'est sur ce fragment, quasiment le seul autobiographique, que s'achèvent les Carnets posthumes de Giorgio Colli. La distance philosophique, telle qu'il l'a mesurée dans ces fragments, se parcourt à rebours. La mise au point se fait à partir d'un instant de vie. Ce qui s'est produit il y a un instant ou un millénaire est perdu dans la même mesure. Et c'est cette mesure et cette perte, qu'il convient de creuser. L'excavation est l'action de la philosophie de la distance. La face cachée du philosophe, mineur fidèle à sa caverne, regarde vers les ombres de ses prédécesseurs. Et c'est ce regard qui détermine tout. La théorie n'est-elle pas contemplation? Et que se passe-t-il quand on ne contemple plus que des mots? Quand l'ombre des sages, sur les parois de la caverne philosophique, s'est rétrécie et abstraite au point de n'être que mot? Quand la théorie n'est plus contemplation, intuition, c'est-à-dire elle-même, mais lecture de la théorie de théorie? Quand elle nous incite à croire en notre propre vanité? Quand arrive le moment où nous pouvons dire : voilà, l'obstacle s'est dressé. Mais l'obstacle n'est qu'un mot, un seul regard suffit pour s'en rendre compte. Quantitatif, finalisme, utilitarisme. Ce ne seraient donc que des mots, ces obstacles auxquels nous nous heurtons quotidiennement ? Des mots sans lien avec le vivant? Pourquoi est-ce que ce sont toujours les morts qui nous ramènent à la vie? : mais au-dehors de nous, la mort n'existe pas, ni au-dedans de nous, puisqu'elle n'est qu'une expression. La recherche des expressions humaines impose un mouvement de focalisation. Si l'écrit est un but, il faut s'en éloigner, remonter la trame de l'expression vers l'indestructible intériorité humaine qui seule est vivante. L'écrit n'est pas un point d'arrivée, pour Colli, il n'est qu'un point de départ. Il n'écrit pas pour consigner, il écrit pour retrouver. Il retrouve quelque chose dans le temps. Quelque chose qui importe à tout découvreur de vérité, quelque chose qui l'effacera, mais qui sera la part de lui-même où gît sa plus belle expression, parce que dans une vision non agoniste de la vie, ce n'est pas la personnalité du maître qui importe, mais sa parole. La grande leçon de Colli : apprendre à penser la vertu comme un luxe, le courage comme un privilège, l'amitié comme la suprême valeur, la décadence comme précédant la culmination. Colli avait inventé un mot : «vissutezza». La «vissutezza» écrit son ami Alessandro Fersen, deviendra en 1968, dans Philosophie de l'expression, l'immédiateté. «Vissutezza» est intraduisible. Il contient tous les termes de la philosophie de Colli. Mémoire, énigme, contact, distance, vie, action... «Vissutezza», c'est tout ce qui doit être sauvé par la distance mise entre soi et le cyclone finaliste-utilitariste-quantitatif. P. Farazzi |
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