l'éclat |
Préface à « Encyclopédie» de Denis Diderot par Jean-Marc Mandosio |
PARUTION MAI 2013 Collection«Philosophie imaginaire» ISBN 978-2-84162-304-4 voir du même auteur: les Regrets sur la vieille robe de chambre 196 p. 12 euros |
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La manie des célébrations «mémorielles» est si profondément ancrée en France qu’il suffit que sonne l’annonce du troisième centenaire de la naissance de Diderot pour qu’intellectuels et journalistes entonnent à l’unisson les louanges du grand homme – forcément sublime, «plus important», à les en croire, «que tous les autres auteurs des Lumières». Ils s’en persuaderont pendant toute une année, jusqu’à ce que la prochaine commémoration en efface le souvenir. Les prédécesseurs de ces intellectuels de cour et de ces journalistes de salon aux enthousiasmes de commande étaient beaucoup plus circonspects, voyant en Diderot un écrivain brillant, certes, mais surtout un athée, ennemi de l’ordre et des institutions qu’il contribua à saper avec son Encyclopédie, plus pernicieux encore que l’anticlérical Voltaire et le Rousseau du Contrat social (1). Dans les années 1950, c’était dans la collection «Les classiques du peuple», aux Éditions sociales, qu’on pouvait lire les œuvres de Diderot et les textes choisis de l’Encyclopédie. La captation d’héritage n’était pas moins patente lorsque les staliniens français se réclamaient de Diderot que de nos jours, où tout un chacun affecte de l’apprécier pour ce qu’il n’était pas (2) ; de même que les écrits du marquis de Sade, longtemps diffusés sous le manteau, trônent aujourd’hui en devanture des librairies dans la collection de la Pléiade…
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1. Faut-il rappeler qu’en 1966 un film tiré du roman La Religieuse fut interdit par la censure pendant un an sous la pression des associations catholiques, qui y voyaient (sur la seule foi de la réputation de Diderot) «un film blasphématoire»?
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Lorsqu’il écrit ce long article, Diderot a quarante-deux ans et il est depuis une dizaine d’années à la tête de cette Encyclopédie qui avait connu des débuts relativement modestes. Il ne s’agissait en effet au départ que d’adapter en français un dictionnaire anglais des sciences et des arts publié à Londres en 1728, la Cyclopædia d’Ephraim Chambers – Cyclopædia, or An Universal Dictionary of Arts & Sciences –, qui avait connu un grand succès en Grande-Bretagne (sept éditions entre 1728 et 1751). Le groupement de libraires-éditeurs qui en avait acquis les droits en 1745 confia à Jean-Paul de Gua de Malves le soin de le traduire, et celui-ci recruta Diderot l’année suivante. Denis Diderot était à l’époque un de ces nombreux forçats des lettres sans fortune personnelle qui tentaient de survivre grâce à toutes sortes de travaux éditoriaux ; il avait notamment traduit divers ouvrages de l’anglais. En 1747, Gua de Malves jette l’éponge, et il est remplacé par Diderot et son ami le mathématicien Jean Le Rond d’Alembert. Sous la direction des deux hommes, le projet prend de l’ampleur. Diderot fait paraître en 1750 le Prospectus de l’Encyclopédie, où il explique que l’ouvrage de Chambers était «si imparfait pour tout lecteur, et si peu neuf pour le lecteur français», qu’il a été jugé préférable de partir sur de nouvelles bases, plus méthodiques et plus sérieuses(3). «Que de temps perdu à traduire de mauvaises choses!», se rappelle Diderot dans l’article «Encyclopédie». L’une des différences les plus frappantes, annonce Diderot dans le Prospectus, entre la nouvelle Encyclopédie et les ouvrages d’ambition comparable qui se sont succédé depuis l’Antiquité, de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien à la Cyclopædia, est qu’il ne s’était agi jusqu’alors que d’œuvres individuelles (4): or «celui qui s’annonce pour savoir tout montre seulement qu’il ignore les limites de l’esprit humain». L’Encyclopédie sera donc une entreprise collective, confiée, comme l’annonce la page de titre, à «une société de gens de lettres»(5) – de gens de lettres «et d’artistes», précise Diderot (ce mot est à entendre au sens général d’hommes de l’art, c’est-à-dire de spécialistes des arts et des métiers), «occupés chacun de sa partie, et liés seulement par l’intérêt du genre humain et par un sentiment de bienveillance réciproque», autrement dit n’ayant de comptes à rendre à personne. L’article «Encyclopédie», d’où sont extraites ces lignes, justifie rétrospectivement l’indépendance des rédacteurs, qui ne sont tributaires ni du caprice des princes ni de la lenteur (déjà proverbiale) des académies pour mener à bien leur entreprise ; d’autant que, «parmi ceux qui se sont érigés en censeurs de l’Encyclopédie, il n’y en a presque pas un qui eût les talents nécessaires pour l’enrichir d’un bon article». Le dynamisme de l’économie de marché paraissait alors un appui plus solide que les institutions officielles, la nécessité pour les libraires de rentrer dans leurs fonds garantissant que l’entreprise serait menée à bonne fin dans un délai raisonnable. L’article «Encyclopédie» reprend et amplifie le propos du Prospectus, mais le ton, à cinq années de distance, est nettement moins triomphal. «Jusqu’ici personne n’avait conçu un ouvrage aussi grand, ou du moins personne ne l’avait exécuté», proclamait fièrement le Prospectus. L’expérience montre toutefois, tempère désormais Diderot, qu’«il y aura toujours des défauts dans un ouvrage de cette étendue». L’entreprise s’est en effet révélée plus malaisée à réaliser que prévu, d’abord en raison de sa nature même: un document prétendant «rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre» pour «en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons et le transmettre aux hommes qui viendront après nous» tend à se dilater continuellement. Ainsi, au moment de la publication du Prospectus, l’ouvrage annoncé devait comprendre «pas moins de huit volumes et de six cents planches» – on était déjà loin des deux volumes de la Cyclopædia de Chambers. En 1755, les cinq volumes parus n’arrivent qu’à la lettre E, et le nombre total des volumes prévus est passé à douze, avec «environ mille planches». Mais une fois achevée, l’Encyclopédie comportera dix-sept volumes de texte (sur deux colonnes très denses) et onze volumes de planches, le tout au format in-folio, ce qui représente une masse vraiment monumentale. Le Prospectus prévoyait avec optimisme que «les volumes se succéderont sans interruption» ; de fait, les sept premiers volumes de texte paraissent régulièrement à raison de un par an, de 1751 à 1757, mais les dix suivants ne verront le jour, en bloc, qu’en 1766. Les volumes de planches, quant à eux, paraîtront de 1762 à 1772. |
5. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts & des métiers, par une société de gens de lettres. Mis en ordre & publié par M. Diderot … ; & quant à la partie mathématique, par M. d’Alembert …
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Ces retards n’étaient pas seulement dus aux difficultés propres à la réalisation d’un ouvrage d’une telle ampleur. Ils résultèrent surtout de la censure qui s’abattit sur l’Encyclopédie. Dès la parution du premier volume, l’entreprise suscita de violentes polémiques, orchestrées principalement par les jésuites dans le Journal de Trévoux. L’article «Encyclopédie» s’en fait l’écho, et est en grande partie une défense et illustration de l’Encyclopédie contre ses détracteurs. En 1758, malgré la protection du responsable de la censure royale, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, la situation devient si tendue que d’Alembert renonce à codiriger l’Encyclopédie, et Diderot se chargera seul de la porter jusqu’à son terme (6). Aucun volume ne parut cette année-là ; en 1759, la publication fut suspendue par les autorités et l’Encyclopédie fut condamnée par le pape Clément XIII comme un ouvrage impie. C’est qu’à la différence de la Cyclopædia, l’Encyclopédie n’était pas une entreprise idéologiquement neutre: ses promoteurs, d’Alembert et surtout Diderot, en avaient fait une machine de guerre en faveur de la philosophie des Lumières. Dans le Discours préliminaire sur lequel s’ouvre le premier volume (1751)(7), d’Alembert s’en prend aux «adversaires peu instruits ou malintentionnés» de la philosophie, contre lesquels «quelques grands hommes» – au premier rang desquels figurent Bacon, Descartes, Newton et Locke – ont «préparé de loin dans l’ombre et le silence la lumière dont le monde devait être éclairé peu à peu et par degrés insensibles», si bien que l’heure est venue où l’on peut espérer que «l’obscurité se terminera par un nouveau siècle de lumière »(8). À son tour, Diderot, dans l’article «Encyclopédie», déclare «qu’il n’appartient qu’à un siècle philosophe de tenter une encyclopédie, parce que cet ouvrage demande partout plus de hardiesse dans l’esprit qu’on n’en a communément dans les siècles pusillanimes du goût» ; «ce siècle», ajoute-t-il, «s’est fait attendre» un peu trop longtemps, mais enfin il est arrivé, «aujourd’hui que la philosophie s’avance à grands pas […] et qu’on commence à secouer le joug de l’autorité et de l’exemple pour s’en tenir aux lois de la raison». Diderot lui-même a éprouvé, bien plus que d’Alembert, la force des «adversaires» auxquels ce dernier faisait allusion: il avait fait paraître anonymement, en juin 1749, sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, dans laquelle il professait ouvertement l’athéisme et qui lui valut d’être incarcéré du 24 juillet au 3 novembre. Ayant compris la leçon, il ne s’exprimera plus en public que de façon indirecte (9), dans des ouvrages collectifs, sous des prête-noms, et il fera de l’Encyclopédie le véhicule des idées subversives (10). |
10. Après l’achèvement de l’Encyclopédie, Diderot fera paraître certains de ses textes les plus virulents (contre le colonialisme en particulier) dans l’Histoire politique & philosophique des deux Indes, censément écrite par l’abbé Raynal (1770-1780) ; on les trouve dans le t. IV des Œuvres de Diderot (Paris, Robert Laffont, 1995, p. 587-759). Il procédera de même en publiant, cette fois sous son propre nom, l’Essai sur les règnes de Claude & de Néron & sur les mœurs & les écrits de Sénèque (1778-1782). Cet ouvrage, au titre anodin, contient notamment la fameuse adresse aux insurgents d’Amérique, qui commence par ces mots: «Après des siècles d’une oppression générale, puisse la révolution qui vient de s’opérer au-delà des mers, en offrant à tous les habitants de l’Europe un asile contre le fanatisme et la tyrannie, instruire ceux qui gouvernent les hommes sur le légitime usage de leur autorité !» (Œuvres, t. I, op. cit., p. 1197). |
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Avec le goût du paradoxe et de la provocation qui le caractérise, il vend la mèche – pour ceux qui savent lire – dans l’article «Encyclopédie», au cœur même de l’ouvrage qui paraissait déjà si suspect aux yeux des bien-pensants. L’Encyclopédie, explique-t-il, combine les avantages de l’ordre alphabétique et de l’ordre encyclopédique, la souplesse anarchique du premier étant compensée par l’«enchaînement de connaissances» qui définit le second. Cet enchaînement est rendu manifeste dans l’Encyclopédie de deux manières: par le «Système des connaissances humaines» inspiré de celui du philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626), placé en tête du tome I, juste après le Discours préliminaire, et qui figurait déjà dans le Prospectus(11); et surtout par le dispositif des «renvois» qui tissent des liens multiples entre des articles éparpillés à travers toute l’Encyclopédie. Chaque article pris isolément, explique Diderot, doit contribuer «à dévoiler les erreurs, à décréditer adroitement les préjugés, à apprendre aux hommes à douter […], à dissiper l’ignorance» et «à distinguer le vrai du faux, le vrai du vraisemblable, le vraisemblable du merveilleux et de l’incroyable»: autant d’objectifs communs à tous les philosophes des Lumières, n’ayant de cesse de démasquer les erreurs et les préjugés de la «superstition», c’est-à-dire des institutions chrétiennes, sur lesquelles se fondait l’autorité non seulement spirituelle mais aussi temporelle. Le but affiché n’est rien moins que de «changer la façon commune de penser». Oubliant toute prudence – les censeurs étaient aux aguets, mais l’Encyclopédie n’avait pas encore été formellement condamnée –, Diderot enfonce le clou en expliquant que les renvois «opposeront les notions», «feront contraster les principes», «attaqueront, ébranleront, renverseront secrètement quelques opinions ridicules qu’on n’oserait insulter ouvertement». On ne saurait être plus clair quant à la fonction secrète de ces renvois. Diderot en donne lui-même un exemple: l’article «Capuchon» contraste violemment avec un autre article contenant un éloge des franciscains qui, grâce à ce renvoi, sont tournés en dérision.
L’analogie, précise-t-il encore, est une «espèce de fil qui n’est pas entre les mains de tout le monde». Il en va de même pour le discernement, qui peut «faire soupçonner» que dans certains cas tels que celui qui vient d’être cité, «l’éloge pompeux n’est qu’une ironie, et qu’il faut lire l’article avec précaution et en peser exactement tous les termes» pour en saisir la portée réelle. Le lecteur inattentif est entraîné à son insu dans «les détours nombreux d’un labyrinthe inextricable». Ainsi, il va de soi que des expressions telles que: «L’univers est l’ouvrage infini d’un Dieu», parsemées dans l’article, ne reflètent pas les opinions personnelles de Diderot mais celles qu’il était obligé d’afficher ; ce qui ne l’empêche pas de déclarer qu’«il faut fouler aux pieds toutes ces vieilles puérilités». On notera par ailleurs que, chaque fois qu’il en a l’occasion, Diderot associe dans la même phrase le mot «théologie» avec «mythologie» ou «superstition». C’est une manière insidieuse d’habituer le lecteur à mettre ces notions sur le même plan, pour qu’il en vienne à la conclusion qui lui est suggérée: la théologie est à ranger, avec la mythologie et la superstition, au nombre de ces «puérilités» appelées à devenir, tôt ou tard, de simples objets de curiosité historique ou ethnographique pour les vrais philosophes. Nous sommes ici en plein dans l’art d’écrire théorisé par Leo Strauss, qui invite à «lire entre les lignes» pour percer à jour les intentions cachées des auteurs (12). Le fait qu’une longue note de bas de page soit nécessaire pour comprendre où Diderot veut en venir avec l’exemple du capuchon (13) montre à quel point il dissimule sa pensée, alors même qu’il en livre la clé en expliquant le système des renvois. Les adversaires de l’Encyclopédie ne s’y sont évidemment pas trompés (14), avec les conséquences mentionnées plus haut. Le progressisme des Lumières est tempéré, chez Diderot, par un net désabusement quant au caractère cumulatif du savoir. Une encyclopédie complète et définitive est impossible, à cause de «ces révolutions rapides qui se font dans les choses d’institution humaine» et qui rendent toute entreprise de ce genre rapidement obsolète. «Le moment où nous existons passe» ; «à peine une grande entreprise sera-t-elle achevée que la génération présente ne sera plus». C’est pourquoi il importe que l’Encyclopédie soit commencée et finie dans un bref intervalle de temps ; si son élaboration s’éternisait, «ce dictionnaire serait celui d’un siècle passé» au moment où il paraîtrait enfin. L’Encyclopédie ne peut être que le reflet de l’époque qui l’a vue naître, et elle sera nécessairement jugée imparfaite par la postérité, étant donné que «la vaste enceinte des sciences» est «un grand terrain parsemé de places obscures et de places éclairées»(15). «Les opinions vieillissent et disparaissent comme les mots», ajoute-t-il, et «des ouvrages qui jouissent encore de la plus haute réputation en perdront une partie, ou même tomberont entièrement dans l’oubli» ; c’est pourquoi, alors que «la masse des ouvrages s’accroît sans cesse» au fil des siècles, la plupart des auteurs «qui occupent déjà tant de rayons dans nos bibliothèques […] et qui dans un siècle ou deux rempliront seuls des édifices» ne contiennent «pas une ligne à extraire pour le dictionnaire universel de la connaissance humaine» (16). |
14. Voir ci-dessous, p. 27
15. Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature [1753-54], § 14 (Œuvres, t. I, op. cit., p. 566).
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L’idée de la possibilité d’un savoir absolu renaîtra avec force au xixe siècle chez Hegel, et celle d’un progrès cumulatif et continu dans la vulgate positiviste. Ce n’est donc pas à Diderot qu’il faut imputer ce «rêve encyclopédique» qui ressurgit aujourd’hui sous ses formes les plus naïves à travers le cyberespace, et en particulier dans l’encyclopédie participative Wikipedia. La formule de l’un de ses fondateurs, Jimmy Wales, est caractéristique à cet égard: «Imaginez un monde où chaque individu peut accéder gratuitement à la totalité des connaissances de l’humanité» (17). C’est confondre, comme on le fait souvent à propos d’internet, les possibilités indéfinies de stockage et de consultation des données, offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, avec la maîtrise des connaissances, qui suppose une faculté de jugement critique et une capacité de raisonner dont on ne saurait dire qu’elles sont plus développées aujourd’hui dans l’ensemble de la population qu’à l’époque de Diderot (18). Et il est proprement ridicule de prétendre que, sous prétexte qu’elle «attire chaque mois 350 millions de visiteurs», «Wikipédia semble avoir réalisé cette “société” que le philosophe des Lumières appelait de ses vœux» (19). Diderot parlait d’une «société de gens de lettres et d’artistes» animés d’un intérêt commun pour le progrès du genre humain et travaillant de façon coordonnée; non d’une collection indéterminée d’individus alimentant chacun dans son coin, parfois avec compétence, plus souvent avec ineptie, un site qui se pare abusivement du nom d’encyclopédie, puisqu’il n’y reste pas la moindre trace de cet «enchaînement de connaissances» qui donnait à l’Encyclopédie de Diderot son caractère «raisonné». Quand on consulte Wikipedia, on a envie de dire, comme notre philosophe: «J’exige seulement de la méthode, quelle qu’elle soit»(20). Or il est évident que le grouillement proliférant, qui est la manière dont Wikipedia s’accroît, est incompatible avec l’idée même de méthode. La fonction hypertexte, quant à elle, n’a rien de comparable aux «renvois de choses» dont Diderot expose la théorie dans l’article «Encyclopédie»: mûrement réfléchis, ceux-ci étaient porteurs à la fois de l’ordre encyclopédique et d’un message subversif qui ne pouvait être exprimé ouvertement, tandis que les sauts que l’on peut faire d’un article à l’autre de Wikipedia sont purement mécaniques et s’apparentent tout au plus à ce que Diderot appelle les «renvois de mots». La seule volonté subversive éventuellement à l’œuvre dans cette entreprise, et plus généralement sur internet, est celle des fanatiques en tout genre qui polluent et désinforment à tout-va. En ce sens, Wikipedia est elle aussi le reflet de son époque: une gigantesque poubelle en réseau, pareille à ces continents flottants de détritus vers lesquels les courants océaniques font confluer les monstrueux déchets produits par notre société. Celle-ci finira à son tour, comme tous ces livres vainement accumulés et qui ne signifient plus rien pour personne, par «disparaître et tomber dans l’oubli, comme on voit tomber au fond d’un vaisseau le sédiment d’une fermentation qui s’apaise». |
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