PAOLO VIRNO |
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1. L'angoissante menace. Le sublime dynamique part du sentiment du soulagement qui nous envahit lorsque nous accédons à un refuge contre le déchaînement de telle ou telle catastrophe (qu'il s'agisse d'une épidémie de variole, d'un tremblement de terre, ou des pressions d'un ministre de l'intérieur). Le fait d'esquiver un danger déterminé accentue, d'une part, la conscience de notre faiblesse, mais nous rend, d'autre part, supérieurs au hasard et au destin. Cette supériorité toute provisoire et précaire nous incite pourtant à penser à son équivalent durable : l'indépendance du moi moral par rapport à la nature et au cours du monde. La protection occasionnelle d'un malheur spécifique évoque la possibilité d'un refuge qui soit, au contraire, absolu : « Cette force qui est en nous (et qui n'est pas la nature) à considérer comme insignifiantes les choses qui nous préoccupent (les biens, la santé et la vie) et de ce fait à ne pas reconnaître dans la puissance naturelle (à laquelle nous sommes toujours soumis par rapport à de telles choses) une terrible emprise sur nous et sur notre personnalité. » Dynamiquement sublime est, enfin, le présage empirique de cette immunité inconditionnée que procure la seule obéissance à la loi morale. Selon Wittgenstein, la découverte miraculeuse d'une zone franche, exempte de tout risque, a été décrite « lorsqu'on dit que l'on se sent en sécurité entre les mains de Dieu ». Mais en quoi consiste et, surtout, comment s'annonce le danger qui appelle, comme seul antidote, « l'expérience de se sentir absolument en sécurité » ? Dans le court traité Du sublime, écrit à l'abri et sous l'évidente influence de la Critique de la faculté de juger, Friedrich Schiller écrit : « Le sublime pratique ne se fonde pas sur le dépassement ou sur l'élimination d'un danger qui nous menace, mais sur l'annulation de la condition ultime sous laquelle peut se présenter pour nous un danger. » Or, la « condition ultime » du risque, c'est l'appartenance même au monde, ou, comme l'ajoute Schiller, « la dimension sensible de notre être ». Le monde est un danger absolu, une dangerosité indéterminée et omnilatérale, une pression menaçante qui prélude à toute menace particulière et la rend possible. Sa dynamis irréalisable, à laquelle nous sommes sans cesse exposés, libère une force destructive informe. Heidegger appelle « ngongoisse » la peur anxieuse, irréductible à une cause précise mais pressante, que provoque en nous le contexte supérieur de notre existence : « Le devant-quoi de l'angoisse est l'être-au-monde en tant que tel. » Dans la mesure où il exprime l'impulsion à une sécurité inconditionnée, le sentiment du sublime dynamique a toujours à voir avec l'angoisse, c'est-à-dire avec la situation émotive d'insécurité totale dans laquelle se manifeste le monde en tant que « condition ultime » du danger. Maux et antidotes sont alors en parfaite symétrie. Pour Kant, il y a une profonde différence entre l'abri physique occasionnel, qui nous protège d'une inondation ou d'une conjuration, et la protection absolue de la violence du monde garantie par la loi morale. Pour Heidegger, il y a une différence irréductible entre la peur et l'angoisse. Un événement déterminé, un état de choses précis, un objet défini provoquent la peur. Celle-ci peut être apaisée par de simples astuces factuelles : une protection ad hoc, adaptée aux circonstances, peut suffire. Au contraire, l'angoisse n'est pas liée à tel ou tel état de choses, elle ne surgit pas en des occasions prévisibles, elle se moque de toute tentative raisonnable de la prévenir ou de l'atténuer. Quand nous sommes sous son emprise, « le monde assume le caractère de la plus complète absence de signification ». La menace est aussi pressante qu'elle est générale ; le danger est sans visage et sans nom, il est partout et nulle part : « Le devant-quoi de l'angoisse est complètement indéterminé. » Le sublime dynamique est le sentiment suscité par la disproportion entre la peur et l'angoisse, ou plus précisément encore, par l'écart entre ce qui permet d'atténuer la peur et cette seule sécurité absolue qui pourrait sauver de l'angoisse. Nous avons vu précédemment comment le sublime mathématique, ayant sa racine dans la régression à l'infini, est intimement lié à l'expérience de l'ennui. Nous constatons maintenant l'étroite parenté entre le sublime dynamique et l'expérience de l'angoisse. Celui qui voudrait chercher dans l'uvre de Heidegger un thème correspondant à l'« analytique du sublime » kantienne devrait prendre en considération l'étude sur l'ennui, dans les leçons des années 1929-1930 (publiées sous le titre Concepts fondamentaux) et le paragraphe 40 d'Être et Temps, dans lequel est élucidée la situation émotive de l'angoisse. Selon Heidegger, quand nous sommes plongés dans l'ennui profond, celui-ci ne dépend pas d'un contretemps, ni ne se laisse chasser par des expédients, « nous nous trouvons au milieu de l'être dans sa totalité » ou, plus précisément, au milieu de « l'être qui se nie dans sa totalité », c'est-à-dire « au point où toutes les choses nous apparaissent également indifférentes les unes par rapport aux autres ». Cette totalité négative, c'est le monde, mais le monde dans son « immensité tout entière », compris mathématiquement. D'autre part, l'angoisse qui « nous coupe le souffle » en nous imposant « le mode existentiel du ne-pas-se-sentir-chez-soi » révèle le monde dans sa puissance menaçante, compris dynamiquement. Ici, toutefois, le jeu de miroirs entre les deux philosophes ne nous intéresse pas. Il s'agit simplement pour nous de soumettre à la critique les concepts d'« angoisse » et de « sécurité absolue » comme nous l'avions fait pour la régression à l'infini et l'ennui. Ce qui compte c'est de définir autrement la manière d'être à laquelle ils se réfèrent ; ou, si l'on préfère, élaborer de manière différente l'idée de monde en tant que contingence redoutable.
2. Crainte et refuge. En premier lieu, il faut remettre en question la démarcation entre peur et angoisse, ainsi que la différence correspondante entre sécurité factuelle et refuge absolu. Ces deux couples polaires se fondent sur la persistance, ou tout au moins sur la mémoire vive, de communautés traditionnelles dans lesquelles un réseau d'habitudes consolidées canalise la praxis comme dans un cocon, en la protégeant de l'aléatoire. La nette distinction entre peur et angoisse reproduit la fracture qui oppose un milieu familier, à l'intérieur duquel l'expérience reste cyclique, uniforme et bien répertoriée, au vaste monde indéterminé. Les dangers filtrés et affaiblis par l'ethos communautaire ne provoquent que la peur : on s'en fait une raison, on peut les prévoir, les circonscrire et quelquefois même les faire disparaître. L'angoisse, au contraire, surgit alors que l'on passe, en pensée ou de fait, au-delà de la frontière, dans le monde-contexte informe. Alors la menace devient continue et omniprésente, sans que l'on puisse en comprendre la nature ou en isoler la cause. Mais l'écart entre les deux formes de crainte (et de sécurité) se réduit à la suite de l'écroulement des communautés substantielles restantes ; il se referme avec la fin de toute action sociale ou éthique témoignant de la stabilité quasiment immuable d'un « milieu » s'avérant, par ce fait même, « pauvre en monde » (pour reprendre l'expression par laquelle Heidegger qualifie essentiellement l'habitat des animaux). Le caractère changeant permanent des formes de vie, la décomposition infinie des habitudes déjà artificielles et contingentes en soi, l'habileté à affronter un aléatoire sans entraves, tout cela implique une relation directe avec le monde informe, un vis-à-vis immédiat avec la « condition ultime » du danger. La « peur » est toujours angoissante, dans la mesure où dans le motif particulier qui la suscite converge explicitement le caractère menaçant général et indéterminé du monde-contexte. Inversement, l'« angoisse » est toujours peureuse, c'est-à-dire qu'elle prend un aspect empirique-factuel ; elle s'attache à des objets ou des états de choses, dès lors que ceux-ci, produits par l'intellect abstrait, c'est-à-dire par la science, présentent à leur tour une certaine généralité et indétermination (se conformant ainsi aux caractères typiques du monde-contexte). Il est nécessaire, donc, d'introduire un concept qui rende compte de l'amalgame irréversible entre les deux situations émotives auparavant distinctes. Mais nous parlerons de cela par la suite. Le second point critique est, en réalité, un corollaire de ce que nous venons de dire. L'hiatus entre la peur et l'angoisse a une conséquence déconcertante : alors que la première serait un sentiment communicable, partagé et, d'une certaine manière, public, la seconde favoriserait au contraire l'isolement le plus radical. Pour Heidegger, « l'angoisse isole et ouvre l'être-là comme solus ipse » ; en elle, « l'être-avec-autrui ne peut plus rien proposer ». À la différence de la peur, attisée par un danger qui concerne souvent plusieurs membres de la communauté et auquel on ne peut que s'opposer avec l'aide d'autrui, le dépaysement angoissant semble soustraire à « l'état interprétatif public », rompant les liens entre l'individu et le « on » collectif anonyme (on dit ceci ou cela, on se comporte de telle ou telle manière etc.). Celui qui se retrouve seul avec lui-même, en dehors de la « maison commune » est en proie à une crainte indéfinie, capable de lui couper le souffle. Si ce n'est que lorsque toutes les formes de vie éprouvent, ou même présupposent, le « ne-pas-se-sentir-chez-soi » comme simple condition phénoménale, personne n'est moins isolé, ou plus lié à l'« être-avec autrui » que celui qui se rend compte immédiatement de la terrible pression d'un contexte indéterminé. Le sentiment que l'on ne peut encore nommer, résultant de la coïncidence complète entre « peur » et « angoisse » se distingue par le rapport inéluctable avec la présence d'autrui ; c'est l'affaire du plus grand nombre [i molti'] ; il contribue, même, à fonder le concept de multitude. Le « plus grand nombre » est effectivement tel en tant que ceux qui le composent partagent l'expérience de « ne-pas-se-sentir-chez-soi ». Cette expérience fait exploser toute « maison commune » fictive, bouleverse sa familiarité pleine de mauvaises odeurs, bouleverse les formes de protection « ambiantes » issues de l'intégration dans l'ethnos et dans le demos. Toutefois, comme nous le verrons par la suite, le « ne-pas-se-sentir-chez-soi », c'est-à-dire le sentiment de la multitude, annihile la communion parodique de la « maison » parce qu'elle révèle ce qui est véritablement commun ; parce qu'elle expose, justement, au Commun en tant que tel. Contrairement à ce que pense Heidegger, l'égarement radical soustrait à l'apparence trompeuse du « soi-même » et consigne à un « état interprétatif public » dans lequel on se perd ou on se sauve. C'est la précarité exacerbée du « plus grand nombre » qui ouvre la possibilité d'une sphère publique. Mais nous reviendrons également là-dessus. En troisième lieu, l'aspect sans doute le plus important : il faut mettre en question le couple peur/abri, ou mieux, son prétendu caractère décomposable en deux termes bien distincts, dont l'un vaut comme prémisse et l'autre comme conséquence. C'est une illusion d'optique de croire qu'on perçoit tout d'abord le monde-contexte comme forte dangerosité, et qu'on ne se consacre qu'ensuite à la recherche d'un filet protecteur. Le risque inclus dans l'appartenance à un contenu informe et toujours potentiel n'est jamais perçu en soi, à l'état pur, préalablement. Au contraire, il ne se manifeste que parce que nous sommes déjà toujours préparés à le contenir et à le réduire. De la menace alentour, comme de notre vulnérabilité, nous ne nous rendons compte qu'en tant que nous avons déjà réagi en adoptant telle ou telle stratégie sécurisante. À la rigueur, le terme « réaction » n'est même pas approprié ; il n'est nullement question de renvoi ultérieur à une succession chronologique ou à un rapport de cause à effet. Il n'y a pas un danger-stimulus et un refuge-réponse. Plutôt, la recherche de protection constitue l'expérience originelle et indivisible dans laquelle, en préparant l'antidote, on arrive à trouver le mal. Mais il y a plus. La dangerosité indéterminée du monde se révèle non seulement dans la tentative sans cesse réitérée de trouver un refuge, mais s'exprime pleinement comme refuge atteint. Le risque authentique consiste, en dernière analyse, en certaines manières de « répliquer » au caractère risqué omnilatéral du contexte vital (par exemple, en faisant confiance au souverain, ou en cultivant le cauchemar d'une « petite nation » raciste, ou en se réfugiant dans le succès professionnel, etc.). Ce qui est « angoissant » au sens propre, c'est une certaine manière d'affronter l'« angoisse », ou encore, de tenir tête au sentiment de la contingence commune (par exemple, dans le soin excessif apporté à sa « propre personne », qui « ouvre l'Être-là comme solus ipse »). La dynamis irréalisable du monde-contexte est à la fois source de menace et de protection ; cette ambivalence ne devient évidente, pourtant, que dans le contraste entre les différentes stratégies sécurisantes ; c'est le comportement tendant à préparer un refuge qui peut s'avérer dangereux ou salvateur. Le couple peur/abri se résout, donc, dans l'alternative entre des formes opposées de « sécurité » (une alternative toujours articulée de nouveau par l'action politique). Ce qui est vraiment protecteur, c'est l'abri qui préserve des protections redoutables.
3. Le perturbant. Pour désigner le sentiment dans lequel « peur » et « angoisse » confluent, jusqu'à se fondre et devenir indistinctes, nous utiliserons le terme « perturbant ». Le sens que nous donnons à ce mot-clef n'a pas grand-chose ou même rien à voir avec ceux que Freud lui donne dans son essai célèbre, Das Unheimliche [«L'inquiétante étrangeté »], traduit en italien sous le titre « Il Perturbante ». Nous nous en tenons plutôt à l'emploi ordinaire, selon lequel un événement particulier (l'apparition d'un fantôme ou le fait de ne pas se reconnaître dans un miroir) est «perturbant », dans la mesure où il suscite un état d'égarement complet et met en cause la relation avec le monde dans son ensemble, rendant celui-ci indéchiffrable et terrifiant. Avec un certain opportunisme lexical, on profitera d'une telle acception habituelle pour introduire un concept de crainte qui, indifférent aux fantômes et aux miroirs, concerne, en général, la situation éthique dans laquelle il ne subsiste plus aucune différence entre risque factuel et insécurité absolue. De la même manière, nous appelons « bien-être », ce sentiment d'être à l'abri qui élude et ôte du prestige à toute distinction « sublime » entre une protection empirique (garantie par des communautés aussi stables que « pauvres en monde ») et l'immunité inconditionnée par rapport à la « dimension sensible de son être » (qui, au contraire, serait accordée par la loi morale transcendante). Mais on a déjà dit que le danger authentique se manifeste également comme abri. Certaines défenses par rapport au monde, certaines zones franches horripilantes inspirent une crainte radicale (précisément la crainte, dans laquelle « peur » et « angoisse » deviennent indiscernables). Or, affirmer que le perturbant a son origine dans la recherche de la protection signifie, au moins à première vue, effleurer de très près le dispositif freudien. L'opportunisme lexical initial semble céder la place à une consonance substantielle. Mais ce n'est qu'en apparence. Pour éclairer ce point, évoquons rapidement la thèse de Das Unheimliche, sans prétendre à une véritable confrontation, mais à titre d'expédient rhétorique qui permettra de définir un concept par contraste. Selon Freud, le sentiment du perturbant est lié à l'« éternel retour du même », c'est-à-dire à une répétition. Celui qui est confronté, plusieurs fois dans la même journée, au chiffre soixante-deux peut être saisi d'une étrange inquiétude, s'il croit voir dans ce chiffre l'annonce de l'âge auquel il devra mourir. La rencontre d'un parfait sosie est une autre occasion de crainte panique : le « double » met gravement en danger l'identité du moi, en en usurpant le caractère et le destin. Mais continuons : un étrange étonnement saisit celui qui, au bout d'un long dédale de ruelles, se retrouve tout à coup à son point de départ. De même que l'avènement de ce à quoi on a pu penser en secret engendre un fort sentiment de peur. Mais ces différentes formes d'itération qui ont aujourd'hui le pouvoir de terroriser eurent, jadis, dans des civilisations anciennes ou dans la première enfance, une fonction protectrice. Elles protégeaient du hasard et de l'imprévu, en éloignant ou en affaiblissant les forces destructrices de l'univers. Le sosie par excellence, c'était l'âme immortelle ; la réapparition du même numéro instituait une régularité réconfortante ; le retour périodique au point de départ fondait un principe d'orientation. La conclusion de Freud est connue : ce qui est perturbant, ce n'est pas l'inhabituel, mais « cette sorte d'épouvante qui remonte à ce que nous connaissons depuis longtemps, à ce qui nous est familier ». Plus exactement, ce qui perturbe, c'est le resurgissement inattendu de la répétition qui fut protectrice, mais qui a été ensuite refoulée (si elle est enfantine) ou dépassée (si elle est archaïque). Cette esquisse suffit à préciser, par contraste, l'emploi du terme « perturbant » comme catégorie éthique. Pour Freud, la succession temporelle est décisive : l'ancien abri se représente avec une apparence sinistre parce qu'il a été abandonné ou oublié, ou parce que, depuis un certain temps, il a cessé d'être un abri. Inversement, quand on parle ici de protections redoutables, on se réfère au caractère effrayant de certaines stratégies sécurisantes aussi actuelles qu'efficaces. La transformation de la sécurité en menace n'est pas diachronique, elle ne s'appuie pas sur l'écart entre passé et présent, elle ne présuppose pas une phase médiane où ce qui est connu-familier est caché par le refoulement. Au contraire, le risque consiste en ce que précisément et seulement maintenant il remplit une fonction protectrice : en tant qu'il la remplit, et de la manière dont il la remplit. Le connu qui nous a toujours inspiré confiance produit quelquefois une inquiétude insupportable ; donc, le connu non refoulé, déclaré, plus que jamais exposé à la vue, impossible à ignorer. Sur cette base, on peut proposer une définition plus complète des deux mots-clefs que nous avons introduits précédemment. Le perturbant, c'est la menace aiguë émanant des refuges fréquentés actuellement, ou encore le danger qu'entraînent certaines « réactions » à la dangerosité du monde-contexte. Le bien-être, c'est se protéger du perturbant, soit cet abri au deuxième degré qui protège des abris délétères. Ou, si l'on préfère, le bien-être, c'est la forme de sécurisation par rapport au monde-contexte, alors que le risque qu'il implique se manifeste surtout et essentiellement dans les terrifiantes pratiques protectrices auxquelles on a recours pour l'apaiser. L'opposition entre le perturbant et le bien-être se développe, donc, comme opposition entre des modes alternatifs de se défendre du danger. Considérons à nouveau l'expérience de base de la répétition. Freud : la récurrence d'un même numéro qui, jadis, réconfortait (était heimlich, familière) effraye désormais (devient unheimlich, étrange). Mais, on l'a vu, le bien-être et le perturbant, dont nous discutons maintenant, ne sont pas des stades successifs, mais des possibilités coexistantes et contraires qui se côtoient ou s'élident. Ainsi, il faut penser à deux types de répétition qui, tout en articulant le même besoin de sécurité, donnent pourtant lieu à des résultats divergents. Une répétition perturbante et une répétition qui laisse entrevoir le bien-être, toutes deux déployées en surface ; simultanées et mêmes interactives : dotées d'une même racine, et pourtant antipodiques. Avant de retrouver le fil principal de notre discours, un bref excursus sur les vertus protectrices de l'« encore une fois » sera opportun.
4. Encore une fois. On sait que Walter Benjamin ne détourna jamais son regard de l'enfance. On sait également qu'il détermina avec un admirable à-propos les traits saillants de la reproductibilité technique de l'uvre d'art. Ce qui reste, par contre, dans l'ombre, c'est le lien étroit entre ces deux faits. Benjamin comprit immédiatement les nouvelles conditions de production de la culture (photographie, radio, cinéma, etc.) parce qu'il ne s'interdit jamais l'accès à l'expérience de l'enfant, et y trouva même des enseignements sur les tendances fondamentales de son temps. Seul celui qui s'était arrêté longuement sur le jeu des enfants, caractérisé par l'implacable répétition des mêmes gestes, pouvait comprendre la signification exacte de la sérialité à grande échelle qui caractérise désormais, non seulement l'industrie culturelle, mais chaque parcelle de l'expérience immédiate. Dans cette sérialité, il entrevit, en effet, cette même exigence de protection et d'orientation qui guide cette répétition. Dans le compte rendu d'un livre sur les jouets, Benjamin écrit des phrases qui, par certains côtés, peuvent aussi s'appliquer à l'habitant des métropoles contemporaines : « Nous savons que la loi de la répétition, c'est l'âme du jeu de l'enfant : que rien ne rend plus heureux un enfant que cet encore une fois [ ] Tout pourrait s'arranger remarquablement, si les choses pouvaient être répétées deux fois l'enfant agit selon cette formule de Goethe. Si ce n'est que pour lui, il ne s'agit pas de deux fois, mais de cent, de mille, d'une infinité de fois. Ainsi, non seulement il parvient à dépasser la peur de certaines expériences inaugurales, par l'affaiblissement, l'évocation espiègle, la parodie, mais aussi il a loisir de savourer plusieurs fois et le plus intensément qu'il se peut ses triomphes et ses victoires. L'adulte libère son cur de la peur, jouit doublement, en tant qu'il raconte. L'enfant se crée tout, ex novo, il recommence à chaque fois au début. C'est sans doute la racine la plus profonde du double sens du mot allemand « Spielen » [jouer, en français] : la répétition de la même chose est peut-être l'élément commun aux deux sens du mot. Ce n'est pas un faire comme si mais un faire toujours de nouveau, la transformation de l'expérience la plus bouleversante en une habitude, ce qui constitue l'essence du jeu. » La tendance à l'« encore une fois », typique de l'enfant, est également à l'origine de l'expérience techniquement reproductible. Dans les deux cas, on tente de libérer son propre cur de la peur. Cette constatation aura pu empêcher Benjamin de céder au regret nostalgique des précédentes formes de production et de reproduction de l'uvre d'art : puisque dans la reproductibilité, une exigence profonde et inéluctable semble trouver son dû, il est inutile de la bouder. La véritable question est : comment se fait-il que la société capitaliste développée reprenne un modèle de l'enfance ? Qu'y a-t-il de commun entre l'une et l'autre ? L'absence de fermes habitudes qui amortissent les coups du hasard, qui tracent un chemin dans l'indéterminé, qui apprivoisent la contingence, voilà la réponse. L'enfant et l'habitant de la métropole sont sans traditions ni boussoles. Sans la protection d'une « habitude », ils doivent tous deux recourir à la répétition pour amortir les chocs de l'imprévu et s'orienter tant bien que mal. On a toujours admis que la répétition ludique du premier âge, si elle atteste qu'il n'y a pas encore d'habitudes, prédispose en tout cas à leur acquisition, en est la matrice. Ce n'est plus vrai. À notre époque, ce stade préliminaire, loin d'être aussi propédeutique, devient permanent. L'expérience adulte reste répétitive, il n'en découle pas d'habitudes. Benjamin parle même d'une « pauvreté d'expérience » générale, qui induit à « recommencer da capo, à partir du Nouveau ; à se débrouiller avec le Peu ». L'itération protectrice de l'enfant ne cède pas la place à cet abri bien plus sophistiqué qu'est l'ethos, l'habitude communautaire, se représentant ensuite à son tour comme perturbant « refoulé ». Au contraire, l'« encore une fois » originel est inamovible, il reste en relief. C'est pourquoi, du fait que nous recourons sans cesse collectivement à sa forme typique de protection, l'enfance est considérée comme une catégorie de l'« esprit public ». Ni préambule, ni simple apprentissage, mais paradigme critique, capable d'éclairer d'une lumière ultérieure les relations sociales et les comportements éthiques de la modernité tardive. Pourtant, l'analogie entre « la loi de la répétition » auquel s'en remet l'enfant et la reproductibilité technique sous-entend une opposition radicale, qui finit par tourner à la querelle implacable. À l'intérieur de la même recherche de sécurité, se dessine tant la possibilité du perturbant que celle du bien-être : possibilités synchrones mais opposées. Les formes de vie métropolitaines, dénuées de tradition et pauvres en expérience, font montre de traits puérils, qui, tout en invoquant l'enfance comme leur clef explicative, en restituent uniquement une image dégradée et quelquefois terrifiante. La société du capitalisme avancé brandit l'« encore une fois » pour édifier un Kindergarten cauchemardesque. À la répétition ludique, la reproductibilité technique oppose la contrainte à répéter de la marchandise et du travail salarié. L'industrie culturelle décore la « pauvreté de l'expérience » pour qu'elle passe inaperçue ; elle protège de l'absence d'habitudes, en remplaçant la simple itération par un succédané ; elle instaure des « traditions » subreptices mais contraignantes ; elle nimbe la répétition sérielle d'une aura. Son tort n'est pas de détériorer les âmes, mais au contraire, de les préserver à tout prix et malgré tout. L'antidote de la puérilité perturbante de la société du spectacle c'est le sérieux de l'enfance. L'enfant qui veut entendre la même fable, ou prendre le même jouet, perçoit chaque fois ce qui est égal comme unique. Chaque réplique a valeur de prototype, de pierre milliaire, d'experimentum crucis (« ce n'est pas un faire comme si mais un faire toujours de nouveau »). Dans l'instance de l'« encore une fois », vit précisément celle de l'« une fois pour toutes » : chaque répétition est irréversible, chargée de contingence déchirante ; elle aspire à une sorte de perfection précaire ; elle fait montre d'une unicité sans « aura ». Le geste ludique de l'enfant évoque la possibilité du bien-être parce que, au lieu de la dissimuler puérilement, elle montre au grand jour la « pauvreté de l'expérience », elle s'y installe et tente d'en tirer soit quelque avantage, soit « quelque chose de décent ». À l'époque où cette pauvreté est devenue la règle, ce geste élémentaire acquiert pour la première fois une résonance historique. Elle renvoie à une pratique publique qui sache finalement saisir les opportunités contenues dans l'inéluctable « ne-pas-se-sentir-chez-soi ». On pourrait dire : dès lors que chaque ethos communautaire est détruit et qu'il n'y a plus trace d'aucune habitude, l'action politique est contrainte de reproposer le lien particulier entre répétition et contingence, « encore une fois » et « une fois pour toutes », caractéristique du Spiel enfantin. Tout comme l'« être humain débutant », celui qui agit dans une sphère publique perçoit dans l'« éternel retour du même » l'occasion la plus propice, et même la seule qui lui soit concédée, pour commencer quelque chose qui soit vraiment nouveau.
5. Lieux communs et publicité de l'esprit. L'interprétation matérialiste du sublime dynamique, c'est-à-dire du « sentiment selon lequel on est porté à dire je suis à l'abri, rien ne peut m'arriver, quoi qu'il arrive » doit encore faire un pas tout à fait déterminant. Il consiste à identifier la souche unitaire à partir de laquelle se déploie le perturbant et le bien-être. Pour le moment, nous savons que cette bipolarité exprime le danger et la protection contenues dans la relation avec le monde en général (là où une telle relation affleure, dans toute son ambivalence, uniquement dans la tentative toujours en cours de se protéger du monde même). Nous savons seulement, donc, que le perturbant et le bien-être ont tous deux à voir avec ce « ne-pas-se-sentir-chez-soi » dans lequel on expérimente, en s'en défendant de la manière la plus variée, la pression immédiate d'un contexte informe et indéterminé. Ce n'est pas suffisant. Un état de dépaysement et de vulnérabilité constante n'explique pas, en soi, le développement de stratégies sécurisantes opposées. Manque un moyen terme décisif. Pour l'identifier, il faut se demander quel est le phénomène saillant par lequel se manifeste effectivement le « ne-pas-se-sentir-chez-soi ». « Pauvreté d'expérience », « ne-pas-se-sentir-chez-soi » : ces locutions équivalentes désignent une manière d'être mettant l'accent sur le « plus jamais », sur la perte subie. Il convient, au contraire, d'en signaler le côté convexe, le contenu en haut relief. Ou, plus précisément, on se réfère ici au « ne-pas-se-sentir-chez-soi » comme à la situation qui rassemble la multitude, qui rend inévitable l'« Être-avec-autrui », ouvre véritablement à un « état interprétatif public ». Quel est, en effet, le sens de la répétition à laquelle se confient, faute de mieux, les pauvres d'expérience et les sans-abri ? En elle on saisit et on montre, avec une netteté absolue, tout ce qui, dans un certain milieu vital, est connu, partagé, commun. Pourtant, ce connu-commun n'est pas familier : il ne ressemble en rien à une tradition ou une habitude. La répétition, emblème de l'expérience pauvre, ne se limite pas, pour autant, à séparer le commun de l'habituel, mais affirme le premier au détriment du second. La communauté exhibée par l'« encore une fois » a le singulier pouvoir d'abolir tout familiarité répugnante. Quel est, alors, son contenu ? Pour s'en faire une idée, il suffit de se reporter au rôle qu'Aristote assigne aux « lieux communs » (topoi koinoi) dans la Rhétorique (I, 2, 1358 a). Les « lieux communs » ne sont pas des banalités ou des stéréotypes, mais des formes linguistiques et des structures argumentatives si fondamentales qu'elles conviennent à tous les discours, quels qu'en soient le thème et l'occasion. Si fondamentales, même, qu'elles constituent le présupposé tacite du discours en général. Aristote mentionne, à titre d'exemples, trois topoi koinoi : l'opposition des contraires, le plus et le moins, le rapport de réciprocité. Comme on le voit, il s'agit de fonctions intellectuelles pratiquement indispensables, qui concernent la possibilité même du raisonnement. On pourrait dire : les « lieux communs » incorporent la puissance de l'intellect, ne sont autres que des lieux de l'esprit. Et inversement : la vie de l'esprit, en tant qu'elle se concentre en des « lieux » partagés par tous, montre qu'elle est commune. Mais une telle communauté resté cachée ou négligée tant que l'expérience est, pour ainsi dire, riche d'un usage habituel. Dans le traité aristotélicien, les « lieux communs » n'ont pas de dimension autonome, étant le tissu connectif inapparent des « lieux propres » ou particuliers (topoi idioi). Ces derniers regroupent des arguments, des inférences, des métaphores, des valeurs, des traits d'esprits, qui conviennent à telle ou telle situation discursive particulière (au forum ou à l'académie, au lieu de travail ou à la section du parti, etc.) Ils reproduisent, en somme, l'articulation ornée de l'ethos communautaire, isolant ce qui appartient exclusivement à chaque milieu. Prédominance des « lieux propres », invisibilité ancillaire des « lieux communs », telle est la hiérarchie habituelle éthico-rhétorique dont on ne peut désormais que constater le bouleversement. La pauvreté d'expérience est marquée, en réalité, par la surabondance de monde, c'est-à-dire par un rapport non atténué avec le contexte informe et indéterminé de l'existence. C'est la surabondance de monde qui vide et atrophie les « lieux propres », auprès desquels étaient établis des rôles stables, des identités durables, des habitudes familières. Et c'est encore cette surabondance qui propulse les topoi koinoi au premier plan, devenant eux-mêmes le répertoire thématique décisif. Le puissance générale de l'esprit, illustrée par les « lieux communs », constitue, en effet, la seule source de protection à l'égard d'un monde-contexte, à son tour toujours général et informe. La plus grande exposition au monde implique, par réaction, la plus grande proximité aux lieux de l'esprit, et donc aux topoi koinoi. En bref, il faut tenir compte de deux aspects complémentaires. Primo, l'expérience qui n'a pas d'autre principe d'orientation en dehors de l'intellect pur est pauvre ; une expérience dont la topographie se compose uniquement de paradigmes abstraits, de fonctions logiques étriquées, de catégories des plus générales (telles l'opposition des contraires ou la relation de réciprocité). Secundo, dans la mesure où l'intellect pur représente le seul principe d'orientation de l'expérience pauvre, il acquiert une pleine et immédiate « visibilité ». La puissance de l'esprit devient, pour ainsi dire, extrinsèque et apparente. Son caractère de bien partagé, sa communauté typique, n'est plus un présupposé caché, mais l'aveuglante évidence qui caractérise tout discours et toute action. En plus d'être commun, l'intellect est aussi public. L'idée d'un « intellect public » semble difficilement acceptable et paradoxale dans la mesure où elle contredit une longue tradition selon laquelle la pensée est une activité solitaire, sans manifestations extérieures, en soi étrangère à l'attention aux affaires communes. Tout le monde s'accorde sur ce point, depuis Aristote jusqu'à Hannah Arendt. Tout le monde, à une exception près qu'il est bon de souligner. Le caractère public de l'intellect, son irruption dans le monde des apparences, est soulignée de manière très suggestive par Marx, quand il affirme que « les conditions du processus vital même sont soumises au contrôle du general intellect, et transformées selon ses normes ». General intellect, « intellect général » : il se peut que l'expression soit un correspondant polémique de la volonté générale de Jean-Jacques Rousseau, ou plus probablement l'écho matérialiste du nous poetikos, l'« intellect agent », séparé et impersonnel dont parle Aristote dans le De anima (III 429a-430a). Quoi qu'il en soit, le concept de general intellect désigne, pour Marx, l'esprit en tant que puissance extérieure et collective. Puissance extérieure : le savoir abstrait devient « force productive immédiate », la « capacité scientifique » est « objectivée » dans le système des machines, des constellations conceptuelles entières ont l'épaisseur et l'incidence des faits matériels. Puissance collective : « Dans cette forme écrit Alfred Sohn Rethel, commentant Karl Marx la pensée a la pro cura'intellectuelle de la société, pour employer un terme juridique. Elle pense littéralement pour la société. Ses fonctions sont en forme directement sociales. » La notion de general intellect ne doit pas être réduite, toutefois, à l'application de la science naturelle au processus productif. Ce qui est en question, c'est tout au plus l'apparition ou le caractère public de la pensée pure elle-même, autonome par rapport à des expériences déterminées et indifférente aux applications particulières. De plus, il ne s'agit pas des uvres de la pensée, mais de la simple aptitude à penser. Ce qui est mis en exergue, promues au rang de ressource publique, ce sont les potentialités les plus générales de l'esprit : faculté de langage, disposition à l'apprentissage, capacité d'abstraction et de corrélation, tendance à l'autoréflexion. Par general intellect, il faut entendre, à la lettre, « intellect en général ». Quelle est la forme d'existence liée au caractère public de l'esprit ? Quel est le bíos theoretikos, la « vie intellectuelle », correspondant au general intellect ? Pour répondre à ces questions, il convient de s'attarder sur une ancienne analogie, pour en éprouver à nouveau la portée et la validité. Dans un écrit de jeunesse, le Proprétique (B 56), Aristote compare la conduite du penseur au bíos xenikos, la manière de vivre de l'étranger. Le philosophe se comporte comme un exilé parce qu'il évite les rassemblements publics, met la sourdine à la pluralité de voix dissonantes qui se lèvent dans la cité, réduit au minimum son commerce avec le monde. Pour accéder à la vie de l'esprit, qui est pourtant commune au plus haut degré, il doit déserter la communauté politique, en se séparant de la multitude des autres hommes. Il va de soi que le concept d'« intellect public » s'oppose à une telle configuration du bíos theoretikos. Mais, et c'est ce qui nous intéresse ici, elle s'y oppose en maintenant pourtant (et même en développant outre mesure) l'analogie entre bíos theoretikos et bíos xenikos, penseur et étranger. La communauté de l'esprit n'est pas occulte, mais, on l'a dit, extrinsèque et apparente. Chacun l'atteint en présence des autres, s'exposant à leur regard, en jouissant et en en subissant la compagnie. La communauté de l'esprit se manifeste, donc, dans les rencontres publiques ; elle est attenante aux événements de la cité ; elle inspire telle ou telle forme de l'action de concert, différents types de pratique collective. La vie intellectuelle liée au general intellect concerne toujours une multitude. Quel est-il, toutefois, ce « plus grand nombre » auquel revient le bíos theoretikos (un bíos theoretikos qui, justement, exige l'« Être-avec-autrui », tandis qu'il reste exclu au solus ipse ) ? Bien que sa signification originelle soit complètement déformée, la comparaison du Proprétique reste toutefois pénétrante : le « plus grand nombre » qui participe du general intellect est immanquablement xenos, exilé, étranger. Ou, plus précisément, c'est lui qui tombe dans la situation émotive du « ne-pas-se-sentir-chez-soi ». Pour en avoir confirmation, il suffit de renverser l'ordre d'exposition, en partant de cette situation émotive. Le « ne-pas-se-sentir-chez-soi » est le sentiment qui caractérise le bíos xenikos, la vie de l'exilé. Pour s'orienter dans le monde, les déracinés ne peuvent se fier qu'aux topoi koinoi, aux fonctions de base de la pensée. Les « lieux communs », auxquels renvoient toute rose des vents fiable, coïncident, comme nous le savons, avec les lieux de l'esprit. Pour autant, ceux qui ne se sentent pas chez eux, les xenoi, vivent constamment dans la proximité de l'intellect, tendant vers une sorte de bíos theoretikos. En inversant l'ordre de l'analogie, on pourrait dire : ce sont les exilés qui se comportent comme des penseurs, c'est le bíos xenikos qui témoigne d'une grande affinité avec le bíos theoretikos. Ici, toutefois, surgit la différence radicale par rapport à la position aristotélicienne : en vivant dans la proximité de l'intellect, l'exilé n'accède pas à l'« autosuffisance » l'autarcheia, mais au contraire, est mis en relation avec la pluralité de ses semblables, atteint un « état interprétatif public ». Le point dirimant est le suivant : tandis que le bíos xenikos, dont parle Aristote, s'adapte à une condition exceptionnelle et provisoire (l'étranger a une patrie où il peut revenir, le penseur peut se rattacher à l'ethos communautaire de la cité), le « ne-pas-se-sentir-chez-soi » est, au contraire, une manière d'être inéluctable et irréversible. Donc, une manière d'être du plus grand nombre. Dans la mesure où ils ne disposent jamais de « lieux propres » authentiques, les sans-maison n'ont pas même à décider s'il faut les fréquenter (en adhérant ainsi à la vie associée) ou s'en détacher (à la manière du philosophe ou de l'exilé). Plutôt, il partagent déjà en foule les lieux de l'esprit ; ils recourent déjà, en concours ou contraste réciproques, à la puissance de l'intellect, pour affronter la contingence du monde-contexte, et apaiser la morsure de la précarité. Pour cela, les lieux de l'esprit résonnent du bruissement de la multitude. Pour cela, la puissance de l'intellect ressemble à une partition commune, que chacun exécute en public, ou mieux, devant le « public » composé par d'autres étrangers. Pour cela, enfin, le bíos xenikos est une forme d'existence politique.
6. L'espace de l'intellect. Le but de ces dernières pages était d'identifier la racine d'où surgissent tant le risque angoissant, que nous appelons perturbant, que la sécurité rassurante, que nous appelons bien-être. Cette racine, unitaire mais aussi ambivalente, est située, a-t-on dit, dans le sentiment de « ne-pas-se-sentir-chez-soi ». Mais, pour la repérer, il ne suffit pas de se référer au dépaysement comme à une condition d'inactivité lancinante ou de simple indigence. En effet, puisque le perturbant et le bien-être ne sont pas autre chose que des stratégies rassurantes opposées, leur matrice commune doit consister en une forme de protection de base, en soi encore non compromise. Il était donc nécessaire de définir le refuge primaire que le « ne-pas-se-sentir-chez-soi » ne manque jamais de mettre en évidence ; remonter à ce par quoi le dépaysement réplique à la menace du monde et en diminue la pression. En d'autres termes, il s'agissait de considérer le « ne-pas-se-sentir-chez-soi » à partir de la ressource protectrice qu'il met en lumière. C'est ce que nous avons fait précédemment, en parlant des topoi koinoi, du general intellect, du bíos theoretikos particulier qui concerne une multitude d'exilés. Le « ne-pas-se-sentir-chez-soi » met en relief, et même accorde un caractère public à ce qui est effectivement commun : la puissance de l'intellect, la vie de l'esprit. L'intellect public constitue le principal refuge par rapport à un contexte vital toujours informe et toujours potentiel. Il est une ressource protectrice, justement. Mais, en protégeant de la contingence du monde sensible, l'intellect en intègre l'ambivalence et la reproduit sur le plan éthique : lui-même se présente, en même temps, comme « condition ultime » du danger et comme source de sécurité. Les dispositifs protecteurs qui articulent la défense préliminaire offerte par la vie de l'esprit, dont ils sont issus, peuvent s'avérer, tour à tour, très menaçants ou réellement salvateurs. Le general intellect est, donc, la souche unitaire d'où proviennent tant le perturbant que le bien-être. Dire que la pensée est extrinsèque, introduite dans le monde des apparences, attenante à une multitude, revient à évoquer sa relation éventuelle avec l'espace. Mais est-il même seulement possible de faire l'hypothèse d'une telle relation ? Peut-on discuter sérieusement d'une spatialité de l'intellect pur ? Répondre affirmativement à une question de ce genre est sans doute le point d'honneur de la réflexion matérialiste. Mais, plus encore, ce n'est qu'en examinant de près l'articulation du general intellect avec l'espace (et même l'inhibition ou le déploiement d'une telle articulation) qu'on arrive à saisir la différence effective entre le perturbant et le bien-être. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut comprendre pourquoi le general intellect, qui sauvegarde pourtant et protège, se révèle quelquefois fatal, en déchaînant la terreur panique. La puissance de l'esprit (comme du reste les topoi koinoi dans lesquels elle se concentre) a une nature envahissante et ubiquiste ; on ne peut jamais la situer en un « lieu » précis. Il va de soi que la pensée n'occupe pas une place dans l'espace. Toutefois, elle peut instituer une spatialité propre. L'intellect public n'est pas « ici » ou « là » ou « entre » une chose et l'autre, mais il peut déterminer certains « ici », « là » et « entre » spécifiques. Il n'est en aucun lieu, mais il peut tout de même donner lieu. S'il semble aussi proche, ce n'est pas parce qu'il se trouve à une courte distance, mais parce qu'il peut ouvrir lui-même un espace au sein duquel se dessinent proximité et distance. Cet espace ultérieur (et éventuel) n'est pas métrique, mais politique. C'est-à-dire qu'il s'agit du contexte dans lequel le « plus grand nombre » (les xenoi, les sans-maison) agissent et se distinguent, se rassemblent ou se séparent, prennent des décisions et s'occupent des affaires communes. Du contexte, en somme, dans lequel le « plus grand nombre », y traçant des positions, des paraboles et des carrefours, fait valoir pleinement son « être-en-nombre ». Le general intellect se manifeste spatialement comme communauté politique des exilés, comme République de la multitude. Mais cette manifestation est seulement une possibilité. Elle peut ne pas advenir. Si elle n'advient pas, l'intellect public prend des apparences menaçantes. Ce qui perturbe, c'est, précisément, la spatialisation manquée du general intellect. En ce cas, la description que Heidegger donne du danger angoissant semble lui convenir tout à fait : « Il est si proche qu'il nous opprime et nous coupe le souffle, mais il n'est en aucune lieu. » S'il ne trouve pas d'accomplissement, son attitude spatialisante (son « pouvoir donner lieu ») est ressentie, en effet, comme une proximité atopique, aussi énigmatique qu'elle est effrayante. Mais exposons cela de manière plus précise. Le caractère commun de l'intellect fait peur et même provoque une insécurité absolue, lorsqu'elle ne se traduit pas spatialement, justement en une communauté politique autonome, en restant au contraire une « force productive », c'est-à-dire l'inévitable (et atopique) réquisit du processus de travail social. Le caractère public de l'esprit est angoissant là où il ne donne pas accès à une sphère publique, c'est-à-dire à un contexte dans lequel s'inscrivent les actions et les discours de la multitude, mais qui figure comme une puissance centripète et apodictique, transmise sans relâche dans les appareils administratifs des États. Caractère commun sans communauté politique, caractère public sans sphère publique : voilà le perturbant. Contrairement à ce qu'a soutenu pendant longtemps un épuisant bavardage, la crainte panique n'est pas la conséquence d'une fracture entre la biographie individuelle et les puissances impersonnelles qui régissent la société, mais, au contraire, elle se développe justement à partir de la désastreuse adhésion du singulier au general intellect. Ou, plus précisément, d'une adhésion qui est désastreuse parce que dépourvue d'un ordre spatial. Quel genre de danger et quel genre de peur implique un caractère commun sans communauté (ou, ce qui revient au même, un caractère public sans sphère publique) ? Freud a écrit quelque chose qui peut nous aider à esquisser une réponse, à condition de lui attribuer ici une valeur strictement métaphorique. Parmi les différentes formes sous lesquelles se manifeste le perturbant, Freud, sur la suggestion d'un patient, évoque aussi ladite « domination des pensées ». La conviction que les pensées puissent acquérir une vie indépendante, en se réalisant avec ses conséquences très matérielles, est sinistre et effrayante. Cette croyance s'inspire de l'animisme archaïque (ou infantile), c'est-à-dire de la conception qui reconnaît aux forces psychiques la capacité d'influer sur le cours des événements, en conjurant le danger. Mais si l'animisme resurgit hors de son cadre spatio-temporel (ou à l'âge adulte), il fait peur au lieu de rassurer. Pour une raison simple : grâce au pouvoir extrinsèque de l'intellect, c'est-à-dire grâce à son incidence matérielle immédiate, tout le monde est en mesure d'entamer notre intégrité, de nous frapper et de nous asservir. Une fois apparente, la vie de l'esprit annule dangereusement les distances, produit un amalgame inquiétant avec les autres, expose chacun à la pluralité de ses semblables. Le general intellect donne une consistance objective à la « domination des pensées ». À la différence des phobies examinées par Freud, il ne s'agit pas de la reprise tardive d'une pratique protectrice désuète (et illusoire), mais d'une protection du monde tout à fait efficace et plus que jamais actuelle. Pourtant, lorsque le caractère commun du general intellect ne se manifeste pas dans une sphère publique, celui-ci perturbe de la même manière que les relents d'animisme. De même que l'espace physique rend possible le multiple, l'espace de l'intellect est la condition dont dépend l'existence politique de la multitude. Si telle condition fait défaut, les éléments du « plus grand nombre » sont serrés les uns aux autres par une sorte de lien symbiotique, mais privés d'un milieu dans lequel agir et se distancier, ils fabriquent des relations assez semblables à celles qui s'établissent entre les participants d'une séance de spiritisme. Relations visqueuses, incontrôlables, centripètes. Relations privées de la plus importante des prérogatives terrestres : la spatialité. Relations, donc, qui se caractérisent par la perte de monde. Extrinsèque mais non spatial, le general intellect protège du caractère menaçant du monde-contexte, en privant de contexte et, donc, de monde les liens entre les personnes. Et cette privation est, à son tour, extraordinairement menaçante. Le lien que chacun de éléments du « plus grand nombre » a avec la présence de l'autre s'ourdit de peur. D'une part, le partage de compétences communicatives et cognitives générales devient le fondement effectif de tout type de pratique, à commencer par celle liée au travail. Toutes les formes d'actions concertées (et de socialisation) fondées sur une division préalable se rétractent ; par exemple, sur la division technique du travail. D'autre part, le partage de l'intellect, s'il reste non spatialisé, c'est-à-dire impolitique, favorise un assujettissement direct, non plus par l'intermédiaire des rôles et des attributions. Le caractère commun symbiotique est sillonné par des hiérarchies arbitraires mais vigoureuses, constellé de liens précis : il constitue lui-même le présupposé de leur prolifération continue. La relation inéluctable avec la présence de l'autre, impliquée par le caractère public de l'esprit, se donne à voir comme reproposition universelle de la dépendance personnelle. Personnelle dans un double sens : on dépend de telle ou telle personne, et non de règles dotées d'un pouvoir coercitif anonyme ; ce qui est soumis, c'est la personne tout entière, la simple aptitude à la pensée et à l'action, en somme l'« existence générale » de chacun (pour employer l'expression par laquelle Marx désigne l'expérience du particulier qui reflète en soi et montre de manière exemplaire les facultés fondamentales du genre humain). Le partage impolitique du general intellect implique un « être-la-merci » perturbant. À la merci de ceux avec lesquels on a quelque chose en commun. Exposés avec risque à ce qui permet le commun. Mis en danger précisément par ce caractère commun qui, pourtant, pourrait sauver. Le sentiment de bien-être survient quand le perturbant est rabaissé. C'est le sentiment de sécurité qui surgit du fait d'avoir éludé ou mis en déroute d'atroces stratégies sécurisantes ; du fait de s'être opposé à certains modes, eux-mêmes effectivement angoissants, du fait d'affronter l'« angoisse ». Comme nous l'avons dit, le bien-être consiste à disposer d'un refuge de second degré, qui protège des protections redoutables élaborées pour évacuer les dangers liés à la « dimension sensible de notre être ». Un refuge qui préserve de ces pratiques protectrices dans lesquelles si, d'un côté, le caractère menaçant obsédant du monde alentour est réfréné, d'un autre côté, il resurgit, en changeant d'aspect, avec une plus grande violence et, même, atteint son acmé. Ces définitions, en soi encore trop maigres, se sont pourtant remplies de contenus déterminés. Nous savons maintenant, en effet, quels sont les abris terrifiants auxquels s'oppose l'abri de second degré qui seul peut procurer du bien-être. Rappelons-les synthétiquement : le caractère commun non articulé spatialement et donc symbiotique de l'intellect ; la « perte de monde », qui distingue la relation visqueuse avec la présence d'autrui ; un partage impolitique de la puissance de la pensée, d'où s'ensuit la prolifération de liens hiérarchiques subreptices, basés sur la dépendance personnelle. La nature du danger laisse présager quelle doit être la défense adaptée. Le bien-être se nourrit à la même racine que le perturbant : le caractère commun et public de l'intellect. Elle remonte à la source du risque, pour la simple raison que c'est également la sienne. Elle s'appuie sur ce qui semble souvent menaçant et s'avère quelquefois fatal. Elle ne « transcende pas la condition ultime selon laquelle un danger peut se présenter », mais la partage et, pour ainsi dire, se l'approprie en en tirant des conséquences rassurantes. Nous appelons bien-être la spatialisation du general intellect : la conversion de son caractère commun en une communauté politique, et donc l'inclinaison de son caractère public dans une sphère publique. Le partage politique de la vie de l'esprit, est, justement, cet abri de second degré que poursuit une sécurité non dérisoire (ni également effrayante). La possibilité que la puissance de l'esprit se manifeste comme espace politique ou, mieux, comme République de la multitude, est sans doute une transcription matérialiste plausible de l'instance de protection contenue dans le sublime dynamique. La sphère publique de l'intellect n'est pas, pour autant, une éventualité quelconque, mais la preuve qui contraint de repenser à nouveau les grands thèmes de la philosophie politique moderne : pouvoir, obéissance, démocratie, inimitié, violence, état d'exception. Il suffit de mentionner, à titre d'exemple, la transformation à laquelle est sujette le concept de multitude. Ce concept (par lequel Hobbes désignait le plus grand handicap pour l'État, et Spinoza la racine de la liberté) ne peut jamais être séparé de celui, symétrique, d'unité. Le « plus grand nombre » a besoin en tout cas d'un quid qui soit commun à chacun de ses membres. Tout consiste, donc, à définir quel est le principe unificateur. Pour Hobbes, mais aussi pour la tradition démocratico-socialiste, ce principe, c'est l'État. Si ce n'est qu'une fois soumise au « suprême empire », la multitude, à défaut de trouver une cohésion, cesse simplement d'être telle, débordant en son contraire, le « peuple », dont Hobbes disait : « C'est une sorte d'unité, qui a une volonté unique. » Le concept classique de multitude donc, négatif et passager, n'est utile que dans la mesure où il indique le désordre qui précède l'institution de l'État ou les tumultes qui accompagnent ses crises temporaires. La situation change, et même s'inverse, à peine voit-on le lien entre les éléments du « plus grand nombre » dans leur participation commune à la puissance de l'esprit. Dans cette perspective, la multitude n'est pas une poussière de particules qui manquent encore d'unité, mais la forme durable d'existence politique qui s'affirme à partir d'un « un » radicalement hétérogène à l'État : l'intellect public. L'unité n'est pas une conclusion mais un incipit ; la multitude est un résultat, non un présupposé. Le « plus grand nombre » ne converge jamais vers une volonté générale, parce qu'il partage déjà un general intellect. Persistant comme « plus grand nombre », il met en doute l'ultérieure persistance de ce « monopole de la décision politique » qui porte le nom d'État. La sphère publique de l'intellect corrode et altère le fondement même de l'étaticité. Mais qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit ici que d'une simple allusion à des questions dont l'examen mériterait une uvre en soi. Il faut préciser enfin la relation entre le concept de sphère publique, c'est-à-dire de bien-être, et les autres aspects de l'idée de monde (de sorte que le sens cosmologique de cette sphère, sa contribution à une cosmologia rationalis non métaphysique, soit bien évident). En termes wittgensteiniens, le problème pourrait se résumer ainsi : quelle est l'articulation entre le sentiment de sécurité absolue et le sentiment d'émerveillement pour l'existence du monde ? Et en termes kantiens : quel est le point de confluence ou même de confusion, entre sublime dynamique (supériorité du Moi moral par rapport aux dangers du monde) et sublime mathématique (considération du monde comme « totalité entièrement donnée ») ? Les arguments exposés dans cet essai imposent, pourtant, une formulation différente du même problème. Ce qui est en jeu, désormais, c'est l'unité (et le renvoi réciproque) entre la perception du contexte sensible et l'appartenance à un contexte politique. L'expérience de la sphère publique est liée à l'expérience de la nature informe : elle la reproduit et la redouble. À l'image de la matière informe, qui nous entoure de toute part comme un continuum non décomposable en unités particulières, la sphère publique est aussi « tout alentour », jamais « de face ». Si la première est perçue par le regard du coin de l'il, la seconde, de manière tout à fait symétrique, se fait valoir dans l'exposition omnilatérale du particulier à la vue des autres (de la multitude, qui constitue l'inévitable « tout alentour » de toute personne qui se livre à une action politique). La nature informe comme la sphère publique ont des contours incertains ; elles restent éternellement floues et opaques, elles sont réticentes à toute représentation. Ni l'une ni l'autre ne sont « entièrement données », s'agissant plutôt, dans les deux cas, toujours d'un contexte seulement potentiel : le sensible informe, c'est la « chair du possible », la sphère publique, c'est la puissance de l'intellect. L'analogie vaut aussi en négatif. Comme la régression à l'infini (provoquée par la pensée du monde en tant que « totalité absolue ») distord et occulte la perception du contexte matériel, la spatialisation manquée du general intellect empêche la formation d'un contexte politique. Le caractère public sans sphère publique a son propre correspondant théorétique dans la régression infinie par laquelle on cherche en vain de saisir le monde dans « toute son immensité ». Le sens cosmologique de la sphère publique consiste, donc, à reproduire l'expérience du monde déjà accomplie en relation avec la nature informe. Lorsque nous avions affirmé que le bien-être ne transcende pas la « condition ultime » du danger, mais la partage et se l'approprie, jusqu'à s'en faire un abri, nous nous référions implicitement à une telle reproduction. Ou, en d'autres termes, à la répétition éthico-politique du contexte sensible de la part de l'intellect, dont la puissance se manifeste spatialement comme sphère publique. C'est cette répétition ethnico-politique de l'expérience du monde qui fait en sorte que l'émerveillement se transforme en sécurité. |
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Bibliographie
Nous donnons ici la liste de uvres citées dans le texte, en précisant éventuellement les numéros de chapitres ou de pages auxquels nous nous sommes référé.
Aristote, Rhétorique, (I, 2, 1358a) ; De l'âme (III, 429a-430a) ; Proprétique (B 59). Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie » in Essais I (1922-1934), trad. fr. Maurice de Gandillac, Denoël, Paris, 1971-1983 ; « Expérience et pauvreté », in Gesammelte Schriften, II, 1, Suhrkamp, Frankfurt a.m. ; « Jouets et jeu » (compte rendu du livre de Karl Gröber, Kinderspielzeug aus alter Zeit. Eine Geschichte des Spielzeugs, Berlin, 1928). Sigmund Freud, « L'inquiétante étrangeté », in Essais de psychanalyse appliquée, Gallimard, Paris, 1933. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique, deuxième partie, section I, chap. II, « Le symbolisme du sublime » ; Science de la logique, livre I, section II, chap. II, « L'infinité quantitative ». Martin Heidegger, Être et Temps, paragraphe 40, « La situation fondamentale de l'angoisse comme ouverture caractéristique de l'Être »; Concepts fondamentaux, « Monde, finitude, solitude », première partie, chap. IV, « La troisième forme de l'ennui. L'ennui profond comme l'un qui s'ennuie ». Thomas Hobbes, De cive, XII, 8. Roman Jakobson, Langage enfantin et Aphasie, Éditions de Minuit, Paris, 1969. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, deuxième division, livre II, chap. II, « L'antinomie de la raison pure » ; Critique de la faculté de juger, première partie, livre II « Analytique du sublime » ; « La fin de toutes choses », trad. fr. H. Wisman, in uvres philosophiques, III, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1986. Giaccomo Leopardi, Zibaldone di pensieri (140, 141, 3714, 3715) extraits choisis par Anna Maria Moronio, Mondadori, Milan, 1972. Karl Marx, Éléments fondamentaux de la critique de l'économie politique, Cahier VII, « La contradiction de la production bourgeoise » « développement du capital fixe » ; Manuscrits économico-philosophiques de 1844, troisième manuscrit, « Propriété privée et communisme », in uvres complètes, trad. fr. M. Rubel, Bilbiothèque de la Pléiade, Paris, 1968. Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l'Invisible, Gallimard, Paris, 1964 Willard Van Orman Quine, « Reference and modality », in From a Logical Point of view, Harvard U. P., 1953. Friedrich Schiller, « Du sublime » [Uber des Erhabene, 1793], trad. fr. in uvres, Hachette, Paris, 1880-1910. Alfred Sohn Rethel, Lavoro intelletuale e lavoro manuale. Per la teoria della sintesi sociale, trad. it. Francesco Coppellotti, Feltrinelli, Milan, 1977. Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, tr. fr. G. G. Granger, Gallimard, Paris, 1993 ; « Conférence sur l'éthique », in Leçons et conversations, trad. fr. J. Fauve, Gallimard, Paris, 1971. |
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