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AVANT-PROPOS |
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The Role of Language in the Perceptual Processes [Le rôle du langage dans les processus perceptuels] est le premier écrit d'Alfred Korzybski publié en langue française. Il fut rédigé à l'occasion d'un symposium de psychologie clinique qui s'est tenu à l'Université du Texas pendant l'année universitaire 1949-1950. Douze autres auteurs ont contribué à ce symposium organisé et dirigé par les professeurs Robert A. Blake et Glenn V. Ramsey. Le livre qui naquit de ce symposium, Perception: An Approach to Personality [Perception: une approche de la personnalité], fut publié par Ronald Press Company, New York, en 1951. Le présent article en constitue le chapitre 7. Charlotte Schuchardt Read |
1. N.d.e. Alfred Korzybski est décédé le 1er mars 1950 tandis qu'il mettait la dernière main à la correction de cet article en vue de sa publication. Mademoiselle Charlotte Schuchardt, sa secrétaire de rédaction, a fait la déclaration suivante quant à la forme définitive du manuscrit : «Il faut préciser que Korzybski n'en a pas achevé la correction finale. Le travail que j'ai fait après sa mort n'a été que mineur, et je suis l'obligée de plusieurs collaborateurs de l'Institut [de Sémantique générale] pour leur assistance. Toutefois, il me revient d'assumer la double responsabilité de ma légère révision et surtout celle de n'avoir pas entrepris les corrections que Korzybski aurait pu faire.» |
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LE RÔLE DU LANGAGE DANS |
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N'étant pas moi-même un spécialiste de la psycho-logique2, je considère comme un privilège particulier le fait de participer à ce symposium dont l'objet présente un caractère tellement vital. Le thème et les divisions principales de ce chapitre m'ont été suggérés par les organisateurs du symposium, et c'est bien volontiers que je suis leurs conseils. L'effet du système du langage
L'histoire qui suit, extraite de la clandestinité européenne du temps d'Hitler, pourrait peut-être illustrer mon propos. Une grand-mère américaine et sa jeune et séduisante petite-fille étaient, avec un officier roumain et un officier nazi, les seuls occupants d'un compartiment dans un train. Le train traversait un tunnel sombre et la seule chose que l'on entendit fut le bruit d'un baiser sonore suivi d'une gifle vigoureuse. Lorsque le train déboucha du tunnel, personne ne souffla mot, mais la grand-mère se disait en elle-même: «J'ai quand même bien élevé ma petite-fille. Elle saura se débrouiller dans la vie. Je suis fière d'elle.» La petite-fille, quant à elle, se disait: «Allons, grand-mère est assez âgée pour ne pas s'offusquer d'un petit baiser. D'ailleurs ces garçons sont gentils. Tout de même, je ne lui savais pas la main si lourde.» L'officier nazi méditait: «Ces Roumains quand même, comme ils sont rusés. Ils volent un baiser et s'arrangent pour que ce soit le voisin qui reçoive la gifle.» L'officier roumain, lui, contenait mal son hilarité: «Comme je suis malin» pensait-il, «je me suis baisé la main et j'ai flanqué une gifle au nazi.»
De toute évidence il s'agissait d'un problème de 'perception' limitée, où l''audition' entrait principalement en jeu avec différentes interprétations. On peut donner un autre exemple de 'perception' dont chacun peut personnellement faire l'expérience. Je propose même que cette démonstration facile soit réalisée par tous les lecteurs de cet article. Il faut deux personnes pour effectuer cette expérience. La première, à l'insu de l'autre, découpe des titres d'articles de même dimension, extraits de différents numéros d'un journal. Le sujet ne doit pas changer de place d'un bout à l'autre de l'expérience. Un des titres lui est présenté à partir d'une certaine distance. S'il est capable de le lire, on met ce titre de côté. Ensuite, on lui en présente un autre, différent, à une distance un peu plus grande. Si de nouveau il est capable de le lire, on met ce titre également de côté. On réitère ce processus jusqu'à ce que le sujet ne soit plus capable de lire le titre présenté. On lui en lit alors le contenu. Le fait surprenant de l'histoire est que le sujet est alors capable de voir et de lire le titre dès l'instant qu'il 'sait' ce qu'il contient. De telles illustrations peuvent être multipliées indéfiniment. Ces exemples suffisent pour illustrer l'impossibilité de séparer rigoureusement la 'perception', la 'vision', l''audition', etc., de la 'connaissance'; c'est une division qui ne peut pas être faite, sinon superficiellement à des niveaux verbaux. |
2. Sur l'utilisation particulière du trait d'union et autres symboles de ponctuation en tant que «procédés extensionnels», voir pp. 72-73. |
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Dans une orientation non-aristotélicienne3, nous tenons pour acquis que tous les 'processus perceptuels' impliquent, de la part de notre système nerveux, l'activité d'abstraire à des niveaux de complexité différents. L'expérience en neurologie montre le caractère sélectif des réponses de l'organisme aux situations globales, et les communications présentées au cours de ce symposium corroborent également l'opinion que les mécanismes de 'perception' résident dans la faculté de notre système nerveux d'abstraire et de projeter. |
3. N.d.t. Cf. Glossaire: Aristotélicien, non-aristotélicien. |
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Les processus d'abstraction. Dans l'état actuel de nos connaissances nous pouvons dire que toute vie est de caractère électro-colloïdal, y compris le fonctionnement du système nerveux4. Nous en ignorons jusqu'à présent les mécanismes intrinsèques, mais d'un point de vue électro-colloïdal, chaque partie du cerveau est connectée avec chacune des autres parties et avec notre système nerveux dans son ensemble. Sur une telle base, même s'il devient nécessaire d'examiner en détail les différents aspects des processus d'abstraction à des fins d'analyse, il nous faut prendre conscience que ces différents aspects constituent les parties d'un seul processus global et continu de la vie humaine dans des conditions normales. La plupart d'entre nous identifions en valeur les niveaux I, II, III et IV et réagissons comme si nos expressions verbales à propos des trois premiers niveaux étaient le 'ça' de l'événement (voir pp. 49 sqq.). Quoi que nous puissions dire que quelque chose 'est', ce n'est évidemment pas le 'quelque chose' des niveaux silencieux. En effet, comme l'a écrit Wittgenstein : «Ce qui peut être montré ne peut pas être dit.» Par expérience, j'ai découvert qu'il est pratiquement impossible de communiquer la différenciation entre les niveaux silencieux (in-dicibles) et les niveaux verbaux, autrement qu'en demandant à l'auditeur ou au lecteur de se pincer avec une main, un doigt de l'autre main. C'est alors qu'il se rend compte d'une manière «organismale» que les expériences psycho-logiques directes d'ordre premier ne sont pas verbales. La simplicité de cette constatation pourrait nous induire en erreur si nous ne prenions conscience de ses implications, car dans nos réactions en tant qu'êtres vivants, la plupart d'entre nous identifient en valeur les niveaux entièrement différents, avec souvent des conséquences désastreuses. Malheureusement, en général les gens, y compris de nombreux scientifiques, négligent complètement les niveaux II et III et réagissent comme s'ils n'avaient pas conscience que IV «n'est pas» I. En d'autres termes, nous ne prenons pas en considération les mécanismes du système nerveux humain ou ne «pensons pas de manière électro-colloïdale» à propos de nos réactions. Une telle négligence conduit à des incompréhensions, à d'orageux débats bi-valents ('soit-soit'), à des hostilités, à des préjugés, à l'amertume, etc. Dans l'histoire de la 'philosophie', par exemple, le combat métaphysique à propos du 'solipsisme' cesse tout simplement d'être un problème lorsque nous prenons conscience du fait que la seule connexion possible entre les niveaux silencieux (non-verbaux) et les niveaux verbaux, lesquels sont intrinsèquement différents les uns des autres, se trouve dans leur similarité de structure, exprimée en termes de relations, et sur laquelle le système non-aristotélicien actuel est fondé. Une prise de conscience des processus d'abstraction clarifie la structure d'un grand nombre de nos difficultés interpersonnelles, professionnelles, etc., difficultés qui peuvent devenir de simples bagatelles ou même disparaître, si nous prenons conscience des identifications en uvre. Des problèmes qui se sont créés d'eux-mêmes se révèlent souvent par la suite ne pas en être du tout. Tout énoncé est verbal; il n'est jamais le 'ça' silencieux. Quelqu'un dans un cauchemar peut rêver qu'il 'est' un Staline. Cela peut être bien innocent. Quelqu'un, en plein jour, peut rêver qu'il 'est' un Staline; c'est déjà plus sérieux. Quelqu'un peut proclamer consciemment «je suis Staline», et le croire, et commencer à tirer sur ceux qui ne sont pas d'accord avec lui; en général un tel individu est enfermé dans un asile et son cas, d'ordinaire, est sans espoir. |
4. N.d.t. Cf. Glossaire: Colloïdes, électro-colloïdal. |
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Le diagramme ci-dessus décrit les mécanismes sémantiques humains (d'évaluation) de l'individu moyen qui oscille entre la sanité5 et les troubles sémantiques. Il est bien connu que ce qui serait seulement un rêve pour une personne 'normale', 'est la réalité' pour un sujet atteint de démence précoce, qui se comporte et vit en accord avec cette 'réalité'. |
5. N.d.t. Voir Glossaire: Sanité, non-sanité, folie. |
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En même temps, les niveaux verbaux sont d'une importance unique pour l'homme parce qu'il est capable de passer d'abstraction en abstraction à des niveaux verbaux de plus en plus élevés à partir des niveaux I - II - III, etc. Dans la vie de l'homme, le niveau IV représente le moyen d'inter-communiquer et de transmettre d'individu à individu et de génération à génération, les expériences accumulées par les individus et par l'espèce. J'appelle cette capacité humaine la caractéristique de «time-binding6». |
6. «Time-binding» : la capacité de condenser, digérer et utiliser les expériences et les réalisations accumulées par les générations précédentes pour leur développement dans le temps présent et leur transmission aux générations à venir. |
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Les niveaux symboliques de comportement différencient de façon très nette les réactions humaines d'avec les réactions-signal des formes de vie inférieures et moins complexes. Si les expériences accumulées par l'homme ne sont pas correctement verbalisées, le développement humain risque d'être sérieusement contraint ou même suspendu. |
7. N.d.t. Willard Gibbs : Physicien américain (1839-1903), auteur de travaux sur l'analyse vectorielle et la mécanique statistique à la base de la physique théorique moderne. En physique classique, le degré de liberté d'un corps indique le nombre de possibilités de mouvement qu'il possède dans un système de coordonnées. Ainsi, dans l'espace tridimensionnel le solide libre de tout contact possède 6 degrés de liberté : trois coordonnées décrivent la translation de son centre de gravité le long des axes x, y et z, trois, la rotation de son centre de gravité autour de trois axes de rotation perpendiculaires entre eux. |
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Il y a une différence énorme entre 'penser' en termes verbaux et 'contempler', intérieurement silencieux, à des niveaux non-verbaux, puis rechercher la structure de langage propre à s'adapter à la structure des processus silencieux que l'on suppose avoir découverte, et que la science moderne s'efforce de dévoiler. Si nous 'pensons' verbalement, nous agissons comme des observateurs de parti pris et projetons sur les niveaux silencieux la structure du langage que nous utilisons; en agissant ainsi nous restons embourbés dans notre routine d'anciennes orientations, lesquelles rendent pratiquement impossibles aussi bien les observations ('perceptions'?) rigoureuses et sans parti pris, que tout travail créateur. Par contre, lorsque nous 'pensons' sans mots, ou par images ou par visualisations (ce qui implique une structure et donc, des relations), il nous est possible de découvrir de nouveaux aspects et relations aux niveaux silencieux et par suite de formuler d'importants résultats théoriques dans la recherche générale d'une similarité de structure entre les deux niveaux, le silencieux et le verbal. Pratiquement tous les progrès importants ont été accomplis de cette façon. Question : Il serait très utile, pour une enquête psychologique, de savoir de quelles images internes ou mentales, de quelle sorte de «mot interne» les mathématiciens font usage; et si ces images sont de nature motrice (kinesthésique), auditive, visuelle ou mixte, selon le sujet étudié. Réponse : Les éléments mentionnés ci-dessus sont, dans mon cas, de type visuel et quelques-uns de type musculaire. Les mots conventionnels ou autres signes doivent être recherchés laborieusement et seulement à un second stade, lorsque le jeu des associations en question est suffisamment établi pour être reproduit à volonté ... Pour autant qu'ils interviennent à un stade, les mots sont, dans mon cas, purement auditifs, et ils n'interfèrent qu'à un stade secondaire, ainsi que je l'ai déjà dit. Personnellement, je 'pense' en termes d'images, et la façon dont je parle ultérieurement de ces visualisations est un problème différent. Lorsque j'effectue un travail créateur, je remarque également une forte tension des yeux due à cette visualisation, ce qui semble être lié d'une certaine façon avec la 'perception'. |
8. Les chiffres arabes renvoyant aux pages de Science and Sanity sont valables pour toutes les éditions. Les renvois en chiffres romains correspondent à la troisième édition; il faut soustraire le nombre cinq pour obtenir la page correspondante dans la seconde édition. |
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Dans An Essay on Man [Un essai sur l'homme], Ernst Cassirer (7) discute de «l'avidité pour les noms» que manifeste tout enfant normal d'un certain âge. En apprenant à donner un nom aux choses, l'enfant n'ajoute pas simplement une liste de signes artificiels à sa connaissance antérieure d'objets empiriques immédiatement perceptibles. Il apprend plutôt à former les concepts de ces objets pour pouvoir s'accorder au monde objectif. À partir de là, l'enfant se tient sur un terrain plus solide. Ses perceptions vagues, incertaines et fluctuantes ainsi que ses sentiments diffus commencent à revêtir une nouvelle forme. On peut dire d'eux qu'ils se cristallisent autour du mot en tant que centre fixe, foyer de pensée. Ici, cependant, réside un aspect important de la «dénomination» ou «étiquetage» : L'acte même de dénommer dépend d'un processus de classification ... celles-ci [les classifications] sont fondées sur des éléments constants et récurrents dans notre expérience sensorielle ... Il n'existe pas de schéma rigide et préétabli selon lequel nos divisions ou subdivisions pourraient être fixées une fois pour toutes. Même dans les langages étroitement apparentés et s'accordant dans leur structure générale, nous ne trouvons pas de noms identiques. Comme Humboldt l'a fait remarquer, les termes grec et latin pour désigner la Lune, quoiqu'ils se rapportent au même objet, n'expriment pas la même intention ou le même concept. Le terme grec (mhvn) souligne la fonction de la lune pour la «mesure» du temps; le terme latin (luna, luc-na) met en évidence la luminosité de la Lune ou son éclat ... La fonction d'un nom se limite toujours à faire ressortir un aspect particulier d'une chose, et c'est précisément de cette restriction et de cette limitation que dépend la valeur du nom ... dans l'acte de dénommer nous sélectionnons certains centres fixes de perception dans la multiplicité et la dispersion des données de nos sens (7). Un «nom» (étiquette) met en uvre chez un individu donné toute une constellation ou configuration d'étiquettes, de définitions, d'évaluations etc., unique pour chaque individu, fonction de son environnement socio-culturel et linguistique et de son hérédité, en relation avec ses désirs, ses intérêts, ses besoins, etc. |
9. Pour les travaux sous-tendant cette théorie, voir Science and Sanity.
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La structure de toute 'chose', qu'il s'agisse d'un langage, d'une maison, d'une machine, etc., se résume à des relations. Pour qu'il y ait 'structure', il doit y avoir tout un complexe ou réseau de parties ordonnées et reliées entre elles. Le seul lien possible entre les niveaux non-verbaux et verbaux n'existe qu'en termes de relations; par conséquent, les relations en tant que facteurs de structure, donnent le seul contenu de toute connaissance humaine. Partant de là, nous pouvons mesurer l'importance de la structure d'un langage, quel que soit ce langage. Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein firent uvre de précurseurs en portant une attention sérieuse au problème de la structure (38, 39, 51). Il ne m'est pas possible d'approfondir ici cette question, mais je m'efforcerai d'en transmettre l'importance fondamentale. |
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La citation suivante extraite de Being and Value in a Primitive Culture [L'être et la valeur dans une culture primitive] de Dorothy D. Lee fait apparaître (par les faits plutôt que par des généralisations verbales d'ordre supérieur; voir pp. 66-73) le type extensionnel de la structure du langage des Trobriandais10 (25, p. 402): Si j'avais à me rendre avec un Trobriandais dans un jardin où le taytu, une espèce d'igname, vient d'être cueilli, je reviendrais en vous disant : «il y a là d'excellents taytus, ils sont tout juste à point, grands et parfaitement conformés; ils n'ont pas une brunissure, pas une tache; gentiment arrondis aux extrémités et sans bout pointu; tout a été cueilli d'un seul coup, il n'y aura pas de second glanage.» Le Trobriandais quant à lui reviendra en disant «Taytu»; et dans ce mot il aura dit tout ce que moi je vous ai dit et même plus. Même la phrase «Il y a des taytus» représenterait une tautologie puisque l'existence est impliquée dans l'être, puisqu'en fait elle est un des ingrédients de l'être pour le Trobriandais. Et tous les attributs, même s'il pouvait dans son propre langage trouver des mots, là, sous la main, pour les exprimer, constitueraient une tautologie puisque le concept de taytu les contient tous. En fait, si un seul de ces qualificatifs était absent, l'objet ne serait pas un taytu. Un tel tubercule, s'il n'est pas à un stade de maturité permettant la récolte, n'est pas un taytu. S'il n'est pas mûr, c'est un bwabawa. S'il est trop mûr, vidé, ce n'est pas un taytu ramolli mais quelque chose d'autre encore, un yowana. S'il est taché de rouille, c'est un nukunokuna. S'il a des taches de décomposition, c'est un taboula. S'il est difforme, c'est un usasu. S'il est de forme parfaite mais petit, c'est un yagogu. Si le tubercule, quelle que soit sa forme ou sa qualité, provient d'un glanage d'après saison, c'est un ulumadala. Quand le tubercule trop mûr, c'est-à-dire le yowana, projette des pousses sous terre ce n'est pas un yowana qui germe, mais un silisata. Quand de nouveaux tubercules se sont formés sur ses pousses ce n'est pas un silisata mais un gadena... Il est également significatif de constater que les différenciations temporelles et les généralisations temporelles dont nous disposons sont absentes chez les Trobriandais : Les verbes trobriandais, ne faisant aucune distinction temporelle, n'ont pas de temps. L'histoire et la réalité mythique ne sont pas le «passé» pour les Trobrianders. Elles sont toujours présentes et participent à la vie courante de tout individu, donnant une signification à toutes ses activités et à toute existence. Un Trobriandais parlera du jardin que le frère de sa mère a planté ou de celui que le Tudava mythique a planté, exactement dans les mêmes termes que ceux qu'il utilisera pour parler d'un jardin qu'il est lui-même en train de planter; et cela lui donnera satisfaction ... (25, p. 403). |
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De nombreux et excellents articles et livres ont été écrits par des anthropologues, des psychiatres, des linguistes, etc., sur la façon dont des peuplades primitives différentes ou différentes nationalités dissèquent la nature de diverses manières selon la structure du langage qu'ils utilisent11. |
11. Parmi les documents traitant de ce sujet, voir (25) et d'autres travaux de Dorothy D. Lee; voir également (44). |
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Les caractéristiques principales des structures primitives de langage ou encore structures 'pré-logiques' et 'paralogiques' peuvent se résumer à leurs identifications des différents ordres d'abstractions et à leur absence de termes abstraits. Les 'perceptions' des individus aux niveaux primitifs sont souvent différentes des nôtres, différentes dans la mesure où les abstractions d'ordre plus élevé sont confondues et identifiées avec les abstractions d'ordre inférieur au niveau desquelles elles sont projetées. Les primitifs identifient ou assignent une seule valeur à des ordres d'abstractions divers et essentiellement multi-valents; ce faisant ils deviennent imperméables aux contradictions avec la 'réalité', de même qu'une expérience d'un ordre plus élevé leur est inaccessible12.
Systèmes de langage aristotéliciens
Structure du langage aristotélicien. Au cours de l'évolution culturelle de l'humanité, nos abstractions courantes furent codifiées çà et là sous forme de systèmes dont notamment le système aristotélicien. Le terme «système» est employé ici dans le sens d'«un ensemble de fonctions doctrinales apparentées» (cette notion de fonctions doctrinales étant empruntée au professeur Cassius Keyser [17]). Nous nous préoccupons ici de cette structure à cause de son influence encore énorme sur ceux d'entre nous dont la structure du langage courant est de type indo-européen. La croyance ou la conviction inconsciente que toutes les propositions sont du type sujet-prédicat en d'autres termes que chaque fait consiste en quelque chose possédant quelque qualité a mis la plupart des philosophes dans l'incapacité de rendre compte du monde de la science et de la vie quotidienne... (37, p. 45; 21, p. 85). En règle générale, les philosophes ne sont pas parvenus à observer plus de deux types de phrases, que l'on peut illustrer par les énoncés «ceci est jaune» et «les boutons d'or sont jaunes». Ils supposent incorrectement, d'une part que ces deux énoncés sont d'un seul et même type, et d'autre part que toutes les propositions sont de ce type. La première erreur fut relevée par Frege et Peano; on découvrit que la seconde rendait impossible l'explication de l'ordre. En conséquence, le point de vue traditionnel selon lequel toute proposition attribue un prédicat à un sujet s'effondra, et avec lui tous les systèmes métaphysiques qui étaient fondés consciemment ou non sur ce principe (39, p. 242; 21, p. 131). Des relations asymétriques sont présentes dans toutes les séries dans l'espace et le temps, plus grand et moins grand, le tout et la partie, et bien d'autres parmi les plus importantes caractéristiques de notre monde. Il en découle que la logique réduisant tout à des sujets et des prédicats est astreinte à condamner tous ces aspects comme erreur et pure apparence (37, p. 45; 21, p. 188). Dans cet esprit, je voudrais également rapporter quelques remarques d'Alfred Whitehead, auteur d'une étude de la plus haute importance sur ce sujet: ... les habitudes de la pensée sujet-prédicat ... avaient été imprimées dans l'esprit européen par l'emphase exagérée donnée à la logique d'Aristote durant la longue période du Moyen Âge. Il est probable qu'en regard de cette distorsion de l'esprit, Aristote n'était pas un aristotélicien (49, pp. 80-81; 21, p. 85). Le mal produit par la «matière première» aristotélicienne est exactement cette habitude d'exagération métaphysique concernant la forme de proposition sujet-prédicat (49, p. 45). La position philosophique alternative doit commencer par la dénonciation de cette idée de «sujet qualifié par le prédicat» comme un piège tendu aux philosophes par la syntaxe du langage (48, p. 14; 21, p. 85). Dans Languages and Logic [Langages et logique] Benjamin Lee Whorf procède à une analyse des structures de langage primitif et autres (50, p. 43-52). Les langages indo-européens et de nombreux autres accordent une place prépondérante à un type de phrases comprenant deux parties, chaque partie construite autour d'une classe de mots substantifs et verbes que ces langages traitent différemment dans leur grammaire. ... Les Grecs, et particulièrement Aristote, ont renforcé ce contraste et en ont fait une loi de la raison. Depuis lors, le contraste a été affirmé dans la logique de différentes manières: le sujet et le prédicat, l'acteur et l'action, les choses et les relations entre les choses, les objets et leurs attributs, les quantités et les opérations. Ensuite, conformément de nouveau à la grammaire, s'implanta la notion suivant laquelle l'une de ces classes d'entités peut exister isolément, mais que la classe des verbes ne peut exister sans la présence d'une entité de l'autre classe, la classe des «choses». ... Nos langages indiens [américains] montrent qu'avec une grammaire appropriée nous pouvons obtenir des phrases intelligentes qui ne peuvent pas être décomposées en sujets et prédicats. La structure sujet-prédicat du langage résulta de l'attribution à la 'nature' de 'propriétés' ou 'qualités' alors que les 'qualités', etc., sont en fait fabriquées par nos systèmes nerveux. La perpétuation de telles projections tend à maintenir l'humanité aux niveaux archaïques de l'anthropomorphisme et de l'animisme dans leurs évaluations de leurs environnements et d'eux-mêmes. Une tentative en vue de traiter intégralement du terme est conduirait pour le moins à l'étude de la forme et de la matière de tout ce qui existe, sinon à l'étude de la forme et de la matière possibles de tout ce qui n'existe pas, mais qui pourrait exister. Pour autant que cela puisse se faire, cela donnerait la grande encyclopédie, et son supplément annuel serait l'histoire de l'espèce humaine durant ladite période. Ici, suivant Russell, nous ne pouvons qu'énoncer approximativement que dans les langages indo-européens, le verbe «être» a au moins quatre usages entièrement différents (36, p. 64): |
12. La note qui suit a été rédigée par Mademoiselle Schuchardt : «Pour plus de clarté, il serait peut être utile de développer brièvement certaines des opinions de Korzybski concernant les types primitifs d'orientation et son emploi du terme "primitif", tels que personnellement je les interprète. Pour ma part, il me semble que Korzybski se réfère à certains niveaux de développement complexes socio-culturels, psycho-logico-linguistiques, etc., et aux orientations concomitantes que l'on rencontre dans différentes régions du globe. Si l'on considère notre classe humaine de vie comme un tout, nous pouvons supposer que les développements à partir d'orientations 'primitives' vers des types d'orientation plus avancés 'pré-scientifiques', pour aboutir aux orientations "scientifiques au sens de 1950", se sont accomplis par degrés ici et là, non pas de façon linéaire, mais plutôt en "spirale", conformément à notre compréhension de nous-mêmes et de nos environnements (voir pp. 94-97). En règle générale, les développements d'une culture particulière se trouvèrent finalement confondus avec les transformations d'autres cultures et entraînés avec elles. |
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Les deux premiers usages sont difficiles à éviter en anglais [et en français], et relativement sans danger. Les deux autres par contre sont d'une pertinence extrême pour notre analyse. Si nous disons «la rose est rouge», nous falsifions tout ce que nous 'savons' en 1950 concernant notre système nerveux et la structure du monde empirique. Il n'y a pas de 'rougeur' dans la nature, mais seulement des radiations de longueurs d'ondes différentes. Notre réaction à ces ondes de lumière est uniquement notre réaction individuelle. Un daltonien, par exemple, verra du 'vert'. Un individu atteint d'achromatopsie verra du 'gris'. Nous pouvons dire plus correctement «je vois la rose comme étant rouge», ce qui ne serait pas une falsification.
Ces 'lois' reçoivent différentes interprétations 'philosophiques', mais il nous suffit ici de souligner que (a) la seconde 'loi' représente un énoncé négatif de la première et la troisième un corollaire des deux premières, à savoir aucun tiers n'est possible entre deux contradictoires; et (b) le verbe «être», ou «est», et l'«identité» jouent un rôle fondamental dans ces formulations et les réactions sémantiques résultantes. |
13. N.d.t. Pour des raisons linguistiques, le texte anglais n'est pas adapté pour servir d'exemple en français. |
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Dans la vie réelle, bien des questions ne sont pas si tranchées et c'est pourquoi un système qui érige en postulat la rigueur générale du 'soit-soit', et objectifie ainsi la 'classe' (les 'propriétés', les 'qualités', etc.), est par trop déformé et indûment limité. Il doit être révisé et rendu plus souple pour prendre en compte les 'degrés'. La nouvelle orientation requiert une 'manière de penser' physico-mathématique. Ainsi donc, si par nos présuppositions, nos inférences inconscientes, etc., nous évaluons l'événement, le niveau sub-microscopique du processus, comme s'il était le même que l'objet macroscopique à l'état brut que nous percevons devant nous, nous ne nous dégageons pas de notre routine de 'pensée' bi-valente. Au niveau macroscopique, si nous considérons, par exemple, deux pommes placées côte à côte, nous percevons qu'elles peuvent se 'toucher' ou 'ne pas se toucher' (voir fig. II). Ce langage ne s'applique pas au niveau sub-microscopique du processus où la question de 'toucher' ou de 'ne pas toucher' devient une question de degré. Aux niveaux sub-microscopiques, il se produit entre les deux pommes des interactions continuelles que nous ne pouvons pas 'percevoir'. Si nous voulons nous conformer aux suppositions de la science1950, il nous faut visualiser un processus14. Et c'est bien ainsi que nous devrions 'penser' à une pomme, ou à un être humain, ou à une théorie. |
14. Pour la signification de la date en petits caractères, voir pp. 70-71. |
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MACROSCOPIQUE SUB-MICROSCOPIQUE
Il n'y a pas de 'perception' sans interpolation et interprétation (21, p. xxviii sqq.). Nous ne pouvons pas nous y opposer. Mais nous pouvons visualiser les progrès les plus modernes de la physique mathématique et des autres sciences, et les projeter dans les processus silencieux in-dicibles qui se déroulent autour de nous et en nous. |
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