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Systèmes de langage non-aristotéliciens. Comme il en advient souvent avec l'homme, lorsque nous aboutissons à une impasse et découvrons que des révisions et des approches nouvelles sont nécessaires, nous agissons en conséquence. Dans le cas présent, considérant les énormes progrès de la science, il devint impératif d'adopter une structure de langage qui ne dénaturât pas les découvertes modernes. Comme, à ce jour, je ne connais pas d'autre système non-aristotélicien, je demande l'indulgence du lecteur pour qu'il me pardonne de ne parler presque exclusivement que de mes propres formulations. Bien d'autres que moi ont procédé à des applications, mais je ne traiterai ici que de l'aspect théorique du sujet.
Nous constatons que les vieux postulats préscientifiques violent les deux premières prémisses et ignorent la troisième (20, pp. 750 sqq. ; 24). Il se trouve que la troisième prémisse est une application dans notre vie quotidienne de l'uvre extrêmement importante de Bertrand Russell, qui s'est efforcé de résoudre des contradictions internes dans les fondements des mathématiques par sa théorie des types mathématiques ou logiques. C'est à ce sujet que Josiah Royce introduisit le terme auto-réflexif. La théorie des types mathématiques me fit prendre conscience de nouvelles sortes de confusions linguistiques auxquelles pratiquement personne n'avait prêté attention jusqu'à présent, excepté de rares mathématiciens. La prise de conscience et l'analyse de ces difficultés me conduisirent à la découverte suivante : les principes des différents ordres d'abstraction, le caractère multi-ordinal des termes, les termes sursous définis, les réactions d'ordre second (la 'pensée' sur la 'pensée', le doute sur le doute, la peur de la peur, etc.), l'interaction thalamo-corticale, le caractère circulaire de la connaissance humaine, etc., tous ces facteurs peuvent être considérés comme une généralisation de la théorie des types mathématiques15. PROCÉDÉS EXTENSIONNELS. 1. Les indices, tels que x1, x2, x3, . . . xn; chaise1, chaise2, chaise3, . . . chaisen; Dupont1, Dupont2, Dupont3, . . . Dupontn, etc. Le rôle des indices est de produire un nombre indéfiniment grand de noms propres susceptibles de couvrir la gamme infinie d'individus ou de situations uniques auxquels nous avons à faire dans l'existence. Nous avons donc transformé un nom générique en un nom propre. Si nous prenons l'habitude de recourir à cette indiciation numérique et si elle devient partie intégrante de nos processus d'évaluation, l'effet psychologique ainsi obtenu en sera très marqué. Nous prendrons conscience de ce que l'essentiel de notre 'pensée', dans la vie quotidienne comme en science, est de caractère hypothétique, et cette conscience de chaque instant nous rendra prudents dans nos généralisations; ceci ne peut être aisément communiqué dans les limites de la structure de langage aristotélicienne. Un terme générique (tel que «chaise») se réfère à des classes et souligne les similarités à l'exclusion partielle, au mépris ou sans tenir compte des différences. L'utilisation des indices fait affleurer au niveau conscient les différences individuelles et conduit donc dans un contexte donné à une évaluation voire à une 'perception' plus appropriées. Les identifications pernicieuses qui découlent des vieilles structures de langage seront souvent prévenues ou éliminées; elles pourront être supplantées par des évaluations plus souples, fondées sur une orientation de probabilité maximale. |
15. À ce sujet, voir l'extrait suivant de l'article de Korzybski intitulé Time-binding : The General Theory [Time-binding : la théorie générale] (1926) : «Durant mes recherches personnelles, je rencontrai certaines difficultés qui me mirent dans la position ou de les résoudre ou d'abandonner. Ma solution réside dans la théorie générale et le différentiel structurel. Il se trouve que cette théorie couvre celle des types mathématiques inventée par Russell. ... Je connaissais la théorie des types depuis bien longtemps. ... Je ne pouvais pas l'accepter parce qu'elle n'est pas assez générale et ne cadre pas dans mon système; en ce qui concernait mon travail il me fallait l'écarter. La méthode scientifique me mena automatiquement à une solution de mes difficultés; et personne ne fut peut-être plus surpris ni plus heureux que moi lorsque je découvris que la théorie générale embrasse la théorie des types» (22, second article, p. 7). Voir également Science and Sanity, p. 429 : «L'auteur fut agréablement surpris de découvrir qu'à la suite de la formulation de son système non-aristotélicien, cette théorie non-élémentaliste englobe la théorie des types mathématiques et la généralise» (21). C. S.
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2. Les indices-en-chaînes, tels que dans chaise11, (dans un grenier sec) chaise12 (dans une cave humide) ... chaise1n; Dupont11 (dans des conditions normales) ou par exemple (par terre), Dupont12 (dans des conditions de famine extrême) ou par exemple (dans un avion à très haute altitude). Les réactions de Dupont1 diffèrent complètement à maints égards selon les différentes conditions. Le rôle des indices-en-chaînes consiste à fournir une technique pour introduire des facteurs, des conditions, des situations, etc., liés à l'environnement. Sont concernés au niveau humain les facteurs psycho-logiques, socio-culturels, etc. Dans un monde où une 'cause' donnée produit ou peut produire une multiplicité d''effets', chaque 'effet' devient ou peut devenir une 'cause' et ainsi de suite indéfiniment. Selon la psychiatrie, par exemple, un seul événement au cours de l'enfance d'un individu peut déclencher une série de réactions-en-chaînes, colorant, voire déformant ses réponses psycho-logiques ou même psycho-somatiques pour le restant de sa vie. Les indices-en-chaînes symbolisent aussi les mécanismes généraux des réactions-en-chaînes, celles-ci n'opérant pas exclusivement dans la fission atomique, mais partout dans ce monde. Soulignons que sont couverts ici les processus organiques, les relations inter-personnelles ainsi que les processus de «time-binding» comme l'exprime la «théorie de la spirale16» de notre énergie de «time-binding» (18, 1ère éd., p. 232 sqq.). En résumé, nous vivons pour le meilleur et pour le pire dans un monde de processus, par conséquent un monde de réactions-en-chaînes 'causes-effets'; nous avons donc besoin d'outils linguistiques pour nous-mêmes et pour les autres afin de gérer nos évaluations dans un tel monde. La formulation d'un code linguistique d'indices-en-chaînes pourra peut-être y contribuer. |
16. N.d.t. Théorie de la spirale : «C1 est la base physico-chimique ( ... ) de l'énergie humaine de time-binding. P1 est la pensée produite par un processus physico-chimique (...). La pensée P1 produit à son tour un effet physico-chimique E1 sur la base C1 ( ... ). J'appelle C2 la combinaison de C1 et E1 ; C2 produit P2 qui affecte à son tour la base et produit un effet physico-chimique E2, cette nouvelle combinaison produit l'énergie P3, et ainsi de suite... en théorie sans limites, aussi longtemps qu'il existe une quelconque source d'énergie dans laquelle cette énergie spéciale puisse puiser. Cette théorie, que j'appelle "théorie de la spirale", suggère la manière dont fonctionne l'énergie time-binding ; elle est conforme aux dernières découvertes scientifiques.» Korzybski (18: pp. 232-234). |
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3. Les dates, comme dans Dupont11920, Dupont11940, Dupont11950 ... Dupont1t. L'utilisation des dates nous situe dans un monde physico-mathématique à quatre dimensions (au moins) d'espace-temps, un monde dynamique et changeant, un monde de croissance, de décomposition, de transformation, etc. Cependant les représentations des processus peuvent être immobilisées à un point quelconque à l'aide de moyens linguistiques pour des besoins d'analyse, de clarté, de communication, etc. Cette méthode nous fournit une technique pour manier des réalités dynamiques par des moyens statiques. Ainsi, si nous voulions acheter une voiture, cela ferait probablement une bonne différence de savoir si le modèle est de l'année 1930 ou 1950. En règle générale, nous ne 'datons' cependant pas aussi consciemment nos théories, nos croyances, etc., et pourtant on 'sait bien' combien les dates affectent la science, les théories, les livres, les différentes cultures et coutumes, y compris les gens et toute existence. Autre exemple : nous lisons dans le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels (31) le mot «moderne» à de nombreuses pages. Il est facile d'évaluer «moderne» comme signifiant «1950», ce que font apparemment de nombreux lecteurs. Personnellement, je suggère qu'à chaque fois que nous rencontrons ce mot nous inscrivions en marge la date «1848». En spécifiant la date de cette façon, bien des polémiques apparaîtront vieillies et par suite caduques, puisque nous vivons dans le monde de 1950, ce qui est complètement différent. 4. Etc. L'utilisation de «etc.» comme faisant partie de nos processus d'évaluation nous amène à prendre conscience du nombre indéfiniment élevé de facteurs qui entrent en jeu dans un processus dont nous ne pouvons jamais avoir une connaissance ou une perception totale; elle contribue à la flexibilité et nous procure un degré plus grand de conditionnalité dans nos réactions sémantiques. Ce procédé nous entraîne à éviter le dogmatisme, l'absolutisme, etc. Il nous rappelle la deuxième prémisse (une carte ne couvre pas tout le territoire) et indirectement la première (une carte n'est pas le territoire). 5. Les guillemets simples, tels que dans 'corps', 'esprit', 'émotion', 'intellect', etc. Ces guillemets nous avertissent qu'il ne faut pas se fier aux termes élémentalistes ou métaphysiques, et que des spéculations fondées sur ces termes sont trompeuses ou dangereuses. 6. Les traits d'union. L'utilisation des traits d'union relie linguistiquement les inter-relations complexes et empiriques qui existent de fait en ce monde. Certaines implications structurelles des plus importantes, représentant des progrès récents dans les sciences et les autres domaines du savoir humain, sont signalées par le trait d'union. |
17. Celui qui possède ou se sert de la capacité «time-binding», voir p. 28, note 6.
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En ce qui concerne les termes «psycho-biologique» et «psycho-somatique», les premiers chercheurs n'ont pas compris l'importance du trait d'union et de ses implications. Ils ont employé les deux termes comme un seul, d'où une représentation linguistique inexacte. Ces chercheurs ne se sont pas rendu compte qu'ils masquaient une extrême complexité humaine derrière l'apparente simplicité d'un terme unique. Ils sont partis de l'hypothèse fausse et injustifiée que l'unicité du terme implique une unité; par la même occasion le public a été induit en erreur, car cette interprétation erronée dissimule toutes les complexités inter-agissant. Implications théoriques et pratiques. La simplicité des procédés extensionnels est trompeuse; leur simple 'compréhension intellectuelle', sans leur intégration dans nos processus vivants d'évaluations, n'a aucune sorte d'effet. Il est nécessaire de procéder à une recanalisation et à un réapprentissage de nos méthodes coutumières d'évaluations, ce qui est souvent très difficile pour les adultes bien que comparativement aisé pour les enfants. Comme nous l'expliquons brièvement ici, la structure révisée du langage produit des effets neuro-physiologiques, car elle impose de 'penser' en termes de 'faits', ou de visualiser les processus, avant de passer aux généralisations. Cette façon de procéder entraîne un court délai neurologique de réaction, ce qui facilite l'intégration thalamo-corticale, etc. Ayant catalogué l'enfant comme 'bègue' (ou son équivalent), ils réagissent de moins en moins à l'enfant et de plus en plus à cette étiquette qu'ils lui ont appliquée. En dépit de la preuve réellement décisive du contraire, ils présupposent que l'enfant ou bien ne peut parler, ou bien n'a pas appris à le faire. Ils se mettent donc à l'uvre pour l''aider' à parler. ... Et quand, 'malgré toute leur aide', l'enfant 'bégaie plus que jamais', ils s'inquiètent de plus en plus. ... Parmi les orthophonistes, la cause la plus probable du bégaiement a été et reste encore un grand sujet de controverses. ... Mais personne en dehors de la Sémantique générale n'a suggéré que le diagnostic du bégaiement puisse en être une cause, et cela probablement parce que personne, en dehors de la Sémantique générale, n'a paru se rendre compte à quel point deux personnes parlant du 'bégaiement' peuvent être en désaccord sur ce dont elles parlent, et en même temps l'influencer. Le principe d'incertitude qui exprime l'effet de l'observateur sur ce qu'il observe peut être étendu jusqu'à inclure l'effet de celui qui parle sur ce qu'il nomme (pp. 189-93). Des changements dans nos attitudes, dans nos façons d'évaluer, affectent profondément nos 'processus perceptuels' aux différents niveaux. Il est essentiel de prendre conscience de nos présuppositions inconscientes; ceci intervient dans toute forme de psychothérapie et devrait faire partie de l'éducation en général. À ce propos, les travaux extrêmement importants et pertinents du docteur Adelbert Ames, Jr. à l'Institut de Hanovre et à l'Université de Princeton, etc., sont très utiles pour provoquer cette prise de conscience. Ainsi dans son rapport Executive Training and General Semantics [La formation des cadres et la Sémantique générale], le Docteur J. S. A. Bois (4), psychologue à Montréal et ex-président de l'Association canadienne de Psychologie, écrit au sujet d'une classe composée de sept hauts dirigeants d'une entreprise industrielle, groupe qu'il avait pris en main pour un entraînement de base en méthodologie non-aristotélicienne: J'entrepris de déséquilibrer leur assurance en eux-mêmes en leur démontrant que nos perceptions sensorielles sont sujettes à caution. ... Nous finîmes par accepter le fait que le monde perçu par chacun d'entre nous n'est pas un monde 'objectif' d'événements, mais un monde 'subjectif' d'événements-significations. |
18. N.d.t. À base six. Par exemple, le nombre 8 en numération à base 10 (décimale) s'écrit 12 en numération à base 6 (sénaire) ; en effet, en base 6, la suite des nombres entiers naturels s'écrit : 0, 1, 2, 3, 4, 5, 10, 11, 12, etc.
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Bois rapporte plus loin qu'ils effectuèrent leurs propres évaluations en termes d'efficacité croissante, de maturité et de contrôle 'émotionnel' améliorés, de meilleures techniques de communication entre eux-mêmes et avec leurs subordonnés, etc. Je m'occupe actuellement d'introduire la Sémantique générale dans deux domaines la conduite des interrogatoires et le développement de la personnalité. Le premier domaine fait l'objet d'un cours comptant pour trois unités de valeur que je donne sur la détection du mensonge; ce cours débute par un trimestre de pure Sémantique générale, avec au départ un débat sur la futilité des mots dans la communication, pour conduire directement aux différents procédés extensionnels. La seconde moitié du cours s'intéresse à la relation émotionnelle des mots, illustrée par différents types de détecteurs de mensonge, et à la rédaction de rapports où de nouveau les problèmes de multi-ordinalité, etc., sont largement traités. Un examen de toute la littérature existante nous fait constater une absence totale d'information dans ce domaine; cette approche, fondée strictement sur vos travaux, permet de dégager une notion entièrement nouvelle; elle ouvre le champ à des techniques d'interrogatoire ainsi qu'à des horizons inconnus jusqu'à présent. À la suite d'entretiens avec un certain nombre d'officiers de police, j'ai le sentiment que cette approche produira un des résultats les plus appréciables que l'on puisse obtenir par l'application de la Sémantique générale. J'ajoute que j'enseigne la même matière aux forces de police de Berkeley. |
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Durant la seconde guerre mondiale, Kelley19 appliqua sur le théâtre européen des opérations les principes de base de la méthodologie non-aristotélicienne à plus de sept mille cas. Le rapport qu'il en fit constitue le sujet de son article The Use of General Semantics and Korzybskian Principles as an Extensional Method of Group Psychotherapy in Traumatic Neuroses [L'utilisation de la Sémantique générale et des principes korzybskiens comme méthode extensionnelle de psychothérapie de groupe dans les cas de névroses traumatiques] (15). Ces principes furent appliqués (sous forme de thérapie individuelle et de thérapie de groupe) à chaque niveau de la chaîne de santé, depuis les zones les plus avancées jusqu'aux échelons les plus en arrière, dans les postes de secours sur la ligne de front, dans les centres de repos et les hôpitaux généraux. «Qu'ils furent employés avec succès est démontré par le fait que sur le théâtre européen des opérations, les évacuations pour raisons psychiatriques furent réduites au minimum», affirme le Dr. Kelley (16, pp. vi-vii). «[Les] autres techniques ont évidemment une certaine valeur, mais ces deux simples procédés [l'indiciation numérique et la datation] se sont révélés remarquablement efficaces pour ce type de réaction neurotique» (15, p. 7). Un exemple de pure identification est révélé dans le dégoût de ce vétéran pour le riz. Sa première vision d'un ennemi mort fut celle d'un soldat japonais dont le cadavre était en état de décomposition. Le sac de riz qu'avait porté ce soldat s'était déchiré et des grains de riz, répandus sur son corps, se trouvaient mélangés avec des asticots. Encore à présent, lorsque le vétéran voit du riz, la scène décrite plus haut est revécue avec intensité et il voit en imagination les grains de riz se déplacer dans son assiette. Pour surmonter sa répulsion, il a mangé du riz à plusieurs reprises en s'efforçant de se rappeler que le riz dans son assiette est différent de celui qui était sur le corps du Japonais. Quoiqu'il n'en mange pas avec plaisir, il a réussi à surmonter son réflexe de nausée à la vue du riz (19, p. 262). Ces mécanismes d'évaluation ou de 'perception' des similarités d'une part, de négligence ou de prise de conscience incomplète des différences d'autre part, sont potentiellement présents dans chacun d'entre nous, mais rarement à des degrés aussi extrêmes. Ils impliquent l'absence de différenciation entre les niveaux silencieux et verbaux ainsi que la non-conscience de nos processus d'abstraction. Les différents ordres d'abstraction sont identifiés, une inférence est évaluée comme si elle était une description, une description comme si elle était l''objet' non verbal construit par notre système nerveux, et un 'objet' comme s'il était le processus non-verbal submicroscopique et dynamique. Les enseignants ont rendu compte d'une réduction très appréciable des tensions lorsque les étudiants en vinrent à appliquer ce qu'ils avaient entendu aux divergences d'opinions apparues durant les débats. Les questions «Pourrait-on désigner cela autrement?», «Est-ce une inférence?», «Est-ce quelque chose que l'on peut observer?» posées à un élève qui avait fait une déclaration péremptoire, créa dans l'assistance une sorte d'atmosphère de jeu. Un exemple typique parmi bien d'autres se produisit au cours d'une discussion qui avait pour sujet ce que les gens ont coutume de dire à propos des Noirs. Deux des participants les plus véhéments dans leurs affirmations que «les Noirs ne tireront aucun avantage de l'éducation même si elle leur est rendue accessible» furent amenés à examiner leurs assertions sans manifester l'antagonisme qui surgit des habituels débats pour et contre (28, p. 32). Il est particulièrement intéressant d'étudier les méthodes des illusionnistes qui ont considérablement développé leur art, on peut même dire leur science, dans le but de divertir. Leurs méthodes d'illusionistes font cependant preuve d'une profonde psychologie sous-jacente de la duperie, de l'auto-mystification et de la suggestion trompeuse. Ils possèdent leur propre littérature, d'une si grande valeur pour la psychologie, la psychiatrie et la vie quotidienne. Alors que l'artiste, en pratiquant ses tours de passe-passe, n'hypnotise jamais son auditoire, pas même en Inde, il obtient pratiquement les mêmes résultats par son habileté à créer des illusions, et cela en déviant dans une fausse direction les attentes et les présuppositions de son auditoire. Par ce stratagème, il peut faire que son public manque de voir ce qui est devant ses propres yeux, ou encore qu'il voie ce qui n'y est pas (p. 53). ... La croyance générale, bien qu'inconsciente, dans les trois «lois de la pensée» aristotéliciennes joue un rôle déterminant dans le succès de ces indications trompeuses, puisqu'il existe une tendance générale de nos réactions à se conformer à ces «lois». Le Dr. Kelley explique ainsi : Supposons un chapeau truqué avec un double fond; à l'aide du revêtement intérieur camouflé, il peut être présenté à l'assistance comme un chapeau apparemment vide. Si, alors, il est secoué négligemment dans tous les sens, l'assistance est convaincue qu'il est vide dès lors que rien ne s'en échappe. Puisque, conformément à la «loi» bi-valente «du tiers exclu», une chose existante possède certaines «propriétés» ou ne les possède pas, et puisque, en accord avec cette loi, la plupart des gens s'attendent à voir des objets s'ils sont présents dans un chapeau et à les voir tomber lorsqu'on le retourne, ils sont facilement dupés par cette fausse indication et donc incapables de prédire l'apparition du lapin que l'illusionniste finira par sortir de son chapeau (p. 57). Les illusionnistes constatent d'ailleurs que les enfants sont beaucoup plus difficiles à mystifier que les adultes, étant donné que les implications structurelles de notre langage n'ont pas encore limité à un tel degré leur capacité de 'percevoir'.
LA CIRCULARITÉ DE LA CONNAISSANCE HUMAINE
Les processus électroniques ou électro-colloïdaux opèrent aux niveaux sub-microscopiques. Du nombre indéfiniment grand de caractéristiques de ces processus, notre système nerveux n'abstrait et n'intègre qu'un nombre comparativement limité; nous pouvons les appeler les niveaux bruts ou macroscopiques, ou encore les niveaux «objectifs», tous également non-verbaux. Les niveaux microscopiques doivent être considérés comme des 'informations sensorielles' obtenues à l'aide d'instruments, et je n'en traiterai pas ici. Ensuite, montant en abstraction, d'abord aux niveaux des dénominations ou des descriptions, nous passons aux niveaux des inférences, et nous pouvons essayer de communiquer à autrui notre 'sensation à propos de la sensation', 'notre pensée à propos de la pensée', etc., lesquelles, en fait, se produisent aux niveaux silencieux. Finalement, nous en arrivons au point où il nous faut parler à propos de la parole. Nous déplaçons notre centre d'intérêt d'entités statiques vers des processus dynamiques et l'ordre des événements considérés dans un contexte ou champ d'activité où opèrent des inter-réactions et des processus circulaires ... Bien qu'il puisse être exprimé en termes différents, le concept des mécanismes téléologiques peut être considéré comme un effort pour échapper à ces formulations mécanistes plus anciennes qui paraissent maintenant inadéquates, et pour nous pourvoir de conceptions neuves et plus fructueuses, de méthodologies plus efficaces pour l'étude de processus d'auto-régulation, de systèmes et organismes d'auto-orientation, et de personnalités auto-directrices. ... C'est ainsi que les termes feed-back, servo-mécanismes, systèmes circulaires et processus circulaires, peuvent être considérés comme des expressions différentes mais équivalentes d'une conception de base très sensiblement identique (10, pp. 190-191). Les mécanismes de «feed-back» ont été amenés à leur point culminant chez les êtres humains, et le processus de time-binding lui-même peut être considéré comme un phénomène unique et sans précédent de feed-back organiques en spirale. ... car, une fois ce fait mis en évidence, il est manifeste que le caractère de l'histoire humaine, le caractère du comportement humain, et celui de toutes nos institutions humaines, dépendent à la fois de ce que l'homme est, et dans une mesure égale ou plus grande de ce que nous, humains, pensons que l'homme est (17, p. 424). |
19. Pendant la guerre, le Docteur Kelley fut conseiller en chef en psychologie clinique et conseiller assistant en psychiatrie sur le théâtre européen des opérations; il fut également psychiatre en chef, en charge des prisonniers à Nuremberg. |
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Cette caractéristique de la vie humaine à laquelle on ne peut échapper a été formulée différemment, mais avec tout autant de justesse, par le Dr. Alexis Carrel20 : Pour progresser à nouveau, l'homme doit se refaire lui-même. Et il ne peut se refaire lui-même sans souffrir. Car il est à la fois le marbre et le sculpteur (6, p. 274). Et Arthur S. Eddington s'exprime avec d'autres mots: Et cependant, concernant la nature des choses, cette connaissance n'est qu'une coquille vide une forme de symboles. Connaissance de la forme structurelle et non connaissance du contenu. À travers tout le monde physique circule ce contenu inconnu, qui doit être sûrement la matière même de notre conscience. Ici une lueur apparaît qui fait soupçonner des aspects profondément enfouis dans le monde de la physique, et cependant impossibles à atteindre par les méthodes de la physique. Plus encore, nous avons découvert que là où la science avait progressé le plus loin, l'esprit n'avait fait que retrouver dans la nature ce que l'esprit y avait mis. Nous avons trouvé une étrange empreinte sur les rivages de l'inconnu. L'une après l'autre, nous avons élaboré de profondes théories, pour rendre compte de son origine. Finalement, nous avons réussi à reconstituer la créature qui a déposé cette empreinte. Et voilà ! c'était la nôtre (9, p. 200). |
20. N.d.t. Dr. Alexis Carrel : Chirurgien et physiologiste français (1873-1944), lauréat du Prix Nobel de Médecine en 1912, auteur d'un ouvrage à succès, L'homme, cet inconnu (1935). Korzybski découvrit la pensée de Carrel dans l'édition américaine de cet ouvrage, probablement sans percevoir la dérive malheureuse de Carrel et de ses thèses sous l'Occupation. | |||
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